Alanis Morissette – 1999/06/15 – Paris le Zénith

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Ce soir, Alanis Morissette a enflammé Paris. Le Zénith comme un seul homme a acclamé toute l’énergie et la fraîcheur venues du Nouveau Monde pour déferler sur les bords de Seine. The Junkie Tour égale la fureur des hautes eaux du Saint Laurent se jetant dans l’Atlantique, charriant les blocs de glace de textes très personnels.

Les musiciens jouent une longue intro musicale faisant monter la tension pour préparer le débarquement d’Alanis sur Baba, moitié chantante, moitié récitante : long déroulement sur la prétention des apprentis gourous occidentaux à la recherche du nirvana sur les plages de Goa. C’est le début d’un superbe show qui déclenchera l’enthousiasme d’un bout à l’autre. La troublante canadienne est vêtue de couleurs vives et d’un accoutrement vaguement indien : tunique mi longue sur pantalon noir en soie, juste au corps avec une manche mauve et l’autre orange, gilet patchwork multicolore et ses longs cheveux bouclés descendant jusqu’au bas du dos dont elle joue comme d’une parure. La décoration de la scène est également à forte connotation indiennisante, à base de tissus néo-baba. Alanis parcourt le vaste espace que lui réservent ses musiciens et sur lequel ils se gardent bien de s’aventurer. Le micro dans une main, l’autre est parcourue en permanence d’étranges contorsions sur la soie multicolore de ses parements exotiques. Elle se dirige à l’aveuglette, avançant, reculant, dansant. Elle semble ignorer l’état d’immobilité. Elle s’agite, tressaute et mouline ses longs cheveux pendant des moments d’abandon avant de revenir, toujours fraîche, au centre de la scène. Parfois elle danse proche de l’hystérie, telle un sorcier bantou aux rythmes des tam-tam. Ses vocalises et autres effets de voix sont stupéfiants de perfection, des aigus aux graves, du chant à la diction, elle nous offre le contrôle parfait de ses cordes vocales. La musique est réglée au quart de tour avec un groupe dont l’enthousiasme n’a d’égal que le professionnalisme, avançant sans concession dans le plus pur style rock pour soutenir cette voix d’anthologie selon une dévorante alchimie. Deux guitares (parfois trois quand Alanis ajoute la sienne), une bass, un clavier-percussions et une batterie, pas un mot, pas un regard, mais tout défile avec un naturel digne des vieux routards du rock circus.

La quasi-totalité de sa dernière production Supposed Former Infatuation Junkie est reprise sur scène, sans fioritures mais avec la magie et le volume du live. De longs textes en prose, intimistes et brouillés. Une succession de mots sans fin qui se percutent sur un mode introverti et psychotique. Ce qu’est la vie, ce qu’elle devrait être, les conflits relationnels, les destructions sentimentales, les générations qui s’affrontent, la nécessité de l’autre pour définir sa route, les rêves et les compromissions, les amours que l’on a voulu et les amants que l’on a perdu. Tout çà est léger et profond, cosmique et réel. L’artiste si extérieurement lisse et bien élevée nous dévoile le cataclysme des troubles qui agitent sa conscience. C’est poignant et sombre. La violence des mots et la hargne des rythmes sont balancées par la fluidité des mélodies et la justesse de la voix. L’équilibre est instable mais le bouillonnement est certain. Elle nous délivre le côté obscur de la Force dans sa quête de la lumière.

Alanis utilise la scène comme le canapé d’un analyste. L’un de ses textes s’appelle d’ailleurs « The Couch », elle ne le jouera pas ce soir. Pas la peine, elle a 5 000 psy pour l’écouter, l’acclamer, l’adorer… Ce manque de pudeur est délicatement enrobé dans les notes. Belle performance que des textes si touffus se mêlent à la mélodie avec tant d’harmonie. La cohérence est remarquable. La fusion lyrique est totale. Un ego torturé émerge des décibels.

Le show se termine par un set acoustique devant un rideau tiré sur le devant de la scène et sur lequel est imprimé un texte d’inspiration « peace and love » : ne volez pas, ne tuez pas, n’agressez pas etc. On aurait pu se passer de cette fin guimauvisante pour rester sur l’énergie vitale des morceaux rock. Mais Alanis est spirituellement plus inspirée par Ravi Shankar que par Sid Vicious. On ne se refait donc pas.

Les lumières sont rallumées et l’artiste nous a quittés. Il nous reste heureusement son site Internet pour revenir surfer dans l’univers complexe où elle nous a entraînés. Dans un style « On the road » on y trouve des photos live mélangées à celles de gamins des rues de Calcutta, les dates de ses concerts, des poèmes manuscrits écrits de sa douce main, et même une boîte aux lettre électronique pour communiquer avec notre princesse. Tout ceci fleure un peu le marketing mais enfin, c’est Alanis, un sommet de fraîcheur, de naturel, d’élégance, on voudrait dire de douceur si l’on ne venait d’entendre deux heures de riffs rageurs pour accompagner ses compositions. On aimerait bien l’inviter à dîner, alors on s’invite sur www.alanismorissette.com.