Nick Cave & the Bad Seeds – 2017/10/03 – Paris le Zénith

par

dans Catégorie :


 

Tragique, forcément tragique !

Sublime, évidement sublime ce concert de Nick Cave & The Bad Seeds, beau, profond et puissant, après la sortie de leur dernier disque Skeleton Tree et du film documentaire One more time with feeling, tourné sur l’enregistrement de cette œuvre magistrale au cours de laquelle son fils Arthur, 15 ans, est mort en tombant d’une falaise de Brighton sous l’emprise de LSD, dans un remake du final de Quadrophonia des Who.

Le film, émouvant, était déjà un sombre voyage autour de l’enregistrement du disque. Le drame n’y était évoqué que tout à la fin bien que présent partout. La tournée est la suite de cette introspection dans la perte et le chagrin.

L’homme est toujours extérieurement le même, grande tige habillée d’un costume noir brillant sur une chemise blanche, sa masse de cheveux tout aussi noirs, rejetée en arrière dans le cou, il se déplace à grandes enjambées sur la scène, micro en main, avec quelques incursions au piano. Warren Ellis, son frère d’armes depuis si longtemps, est fidèle au poste, sur la droite de la scène, en costume et longue barbe grise, entre guitares et violon, jouant de ce dernier souvent dos au public mais avec flamboyance, jetant son archer en l’air pour finir ses morceaux. Musicien et compositeur il mène une vie artistique également en dehors des Bad Seeds mais retrouve toujours son complice avec bonheur pour les étapes de son parcours exceptionnel. Le reste du groupe assure avec retenue et efficacité le soutien à ce show dirigé par le fiévreux Nick Cave.

La voix de l’artiste s’est embellie avec le temps, profonde, caverneuse, elle se pose magnifiquement sur ses textes exprimés dans un chanter-parler qui est devenu sa marque de fabrique. Sa musique s’est éthérée, ses textes devenus plus mystiques, c’est la transformation d’un artiste confronté au temps qui passe. Aujourd’hui Nick Cave se rapproche de son public comme jamais, dans une espèce de carthasis pour expurger ce terrible quotidien. Sur l’incroyable Higgs Boson Blues il raconte cette balade à travers Genève où s’entremêlent Robert Johnson et sa guitare à dix dollars (l’un des premiers créateurs-inspirateurs de ce qu’est devenu le blues), Lucifer, la femme aimée et le fameux boson de Higgs, cette particule élémentaire à l’existence théorique qui ne fut confirmée que récemment et serait à l’origine de l’Univers. Et lorsqu’il chante: If I die tonight, bury me/ In my favorite yellow patent leather shoes/ With a mummified cat and a cone-like hat/ That the caliphate forced on the Jews/ Can you feel my heartbeat?/ Can you feel my heartbeat? il se penche vers les premiers rangs, juste soutenu, par leurs mains tendues posées sur sa poitrine, sur son cœur…

Jubilee Street marque un sommet du concert avec sa montée en puissance régénératrice et tellement rock : Warren démarre à la guitare sur des accords en glissando alors qu’il raconte l’histoire de Bee qui écrivait le nom de Nick sur toutes les pages de son cahier mais tout ceci s’est mal terminé sur Jubilee Street et la montée en tension de l’instrumentation porte à merveille le paroxisme du récit : I am alone now, I am beyond recriminations/ Curtains are shut, the furniture is gone/ I’m transforming, I’m vibrating, I’m glowing/ I’m flying, look at me/ I’m flying, look at me now.

Et puis, bien sûr, vient le déchirant I Need You écrit pour son fils disparu, la seule chanson qui serait directement reliée au drame familial, les autres morceaux étant supposés avoir été écrits avant, même si parfois réadaptés au contexte. C’est l’instant ultime où le public porte l’artiste qui s’est assis pour cette interprétation douloureuse.

Ce public qu’il fera monter sur scène sur Stagger Lee, deux cents personnes pour partager la musique du Maître. Ce public dont il parcourra les rangs, de gauche sur Weepong song, puis à droite sur le sublime final de Push the sky away nappé par un clavier obsédant, debout sur la barrière d’un gradin, soutenu par tous, porté par les nappes de claviers, il chante de sa voix de crooner triste : And some people say it’s just rock and roll/ Oh but it gets you right down to your soul/ You’ve gotta just keep on pushing/ Push the sky away…

Evidemment il y a de la mise en scène dans tout ceci et les concerts de la tournée seront plus ou moins bâtis sur le même format, mais que peut faire de mieux un artiste de cette trempe que d’organiser sa rédemption avec un public qui le vénère dans les bons et les mauvais moments ? Alors ce soir, chacun a conscience d’avoir assisté à un concert unique par son élégance, poignant par son actualité et tout simplement beau et pur dans sa douleur retenue mais transcendée ! Entre messe noire et ode envoutante, Nick Cave & the Bad Seeds ont délivré sans aucun doute le show de l’année.

Setlist : 1/ Anthrocene, 2/ Jesus Alone, 3/ Magneto, 4/ Higgs Boson Blues, 5/ From her to eternity, 6/ Tupelo, 7/ Jubilee Street, 8/ The ship song, 9/ Into my arms, 10/ Girl in amber, 11/ I need you, 12/ Red right hand, 13/ The mercy seat, 14/ Distant sky, 15/ Skeleton tree, 16/ The Weeping song, 17/ Stagger Lee, 18/ Push the sky away