Un pédégé en prison

par

dans Catégorie :

Carlos Ghosn, pédégé (ou assimilé) de trois groupes automobiles : Renault + Nissan + Mitsubishi est embastillé au Japon pour divers soupçons de délits financiers et fiscaux. Le dirigeant qui dispose de trois nationalités : française + brésilienne + libanaise a régulièrement fait parler de lui dans la presse économique, d’abord pour la réussite de son concept d’alliance qui a permis à ces trois groupes de mettre en commun toute une série de départements et d’activités, sans pour autant fusionner dans un groupe tentaculaire et ingérable, chaque partenaire gardant une relative indépendance, au moins juridique. C’est ainsi ces trois entreprises qui étaient plutôt en mauvaise santé prises séparément, mais pas au même moment, se sont ragaillardies sous la direction de l’impétrant. C’est bien.

Cependant, le garçon a fait aussi parler de lui pour de moins bonnes raisons et tout d’abord pour les rémunérations indécentes qu’il cumulait aux trois sources et sous différentes formes, l’ordre de grandeur est d’une quinzaine de millions d’euros par an. L’Etat français qui reste actionnaire de Renault a toujours voté « Non » en assemblée générale à la résolution informant de la rémunération de son chef. C’était avisé. Celle-ci étant présentée « pour information », ces votes négatifs n’ont jamais empêché Renault de verser ces sous à son pédégé. Il était également connu pour n’avoir pas su ou pas voulu préparer sa succession. C’est l’un des travers assez fréquents de ce genre d’ambitieux.

Il semble qu’il soit en train de tomber au Japon à cause de sa voracité financière : on l’accuse, entre autres joyeusetés, d’avoir dissimulé des rémunérations au fisc local, d’avoir facturé à Nissan des pertes d’investissements personnels et de s’être fait attribuer des résidences de prix exorbitants dans ses différents pays d’origine.

Toute ceci doit évidement se doubler de règlements de comptes et de différences culturelles entre les dirigeants de Nissan, japonais et étrangers, comme c’est souvent le cas à ce niveau de pouvoir et de responsabilités. Bref, il est à craindre qu’au moins une partie de ces accusations ne soient vérifiées et l’on verrait alors Carlos Ghosn tomber par où il a péché, pour avoir eu les yeux plus gros que le ventre. Qu’avait-il besoin de gagner et de dissimuler tant d’argent ? Au-delà de son cas personnel qui n’a finalement que peu d’importance, on voit là l’une des faiblesses du capitalisme financier d’aujourd’hui : verser de pareilles rémunérations n’a aucun sens ni justification (et encore les banquiers de la crise financière de 2008 pouvaient percevoir 2 à 3 fois ces montants) mais au contraire génère des risques significatifs de déconnection de leurs bénéficiaires qui, obnubilés par l’argent, peuvent perdre complètement la raison et oublier l’intérêt social de l’entreprise qu’il gouverne au profit de leur propre intérêt. On a vu des cas similaires chez Lehman Brothers, Enron, Vivendi… Heureusement cela reste plutôt exceptionnel mais il est navrant de constater que le court-termisme des actionnaires de marchés pousse au crime. Ils se disent : « Carlos nous a fait verser beaucoup de dividendes donc donnons lui ce qu’il demande, ce n’est finalement qu’une goutte d’eau dans la marée des milliards de dividendes, il suffira d’avoir revendu nos actions avant qu’il ne tombe ». Nous en sommes là.

La vérité c’est que ces hauts dirigeants mercenaires sont interchangeables et il était sans doute aisé de trouver à temps un clone de Carlos sur le marché des pédégés mondialisés, et pour bien moins cher. Cela n’a pas été fait en temps utiles. L’histoire dira comment et pourquoi le clan japonais a mené cette cabale. Il aurait été plus efficace et moins dangereux de débarquer le pédégé en conseil d’administration comme n’importe quel mandataire social, ou tout simplement de lui refuser ces rémunérations vertigineuses. Mais sans doute tous ces gros poissons se tiennent par la barbichette et ils ont estimés la voie judicaire plus certaine et définitive. Gageons que Carlos Ghosn ne va pas se laisser faire, il a du répondant et des moyens pour financer de bons avocats. Le procès, s’il a lieu, sera intéressant.

Que la justice japonaise passe !