« 68, mon père et les clous » de Samuel Bigiaoui

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Un documentaire émouvant sur la fin du magasin de bricolage de la rue Monge dans le Vème arrondissement parisien : tourné par Samuel Bigiaoui, le fils de Jean, patron de Bricomonge, il relate les dernières semaines de cette boutique fourre-tout, emportée dans la tourmente des nouveaux circuits de distribution. On y achetait des clous à l’unité et du bois au mètre, le tout commercialisé par une équipe de trois fidèles sous la direction de Jean, un patron à l’ancienne, depuis 25 ans. La boutique croule sous un entassement de boîtes, de sachets, de factures collées derrière la caisse… mais on y trouve généralement ce que l’on cherche (et le chroniqueur peut en témoigner). Tout a une fin, il y a de moins en moins de clients, Jean vieillit et il faut mettre la clé sous la porte. Bien sûr aucun repreneur ne serait assez fou pour continuer ce business de quincaillerie en plein Paris, alors c’est Carrefour qui va reprendre la surface.

Samuel filme cette fin mélancolique avec beaucoup d’émotion, interrogeant les clients et les employés, sur l’avant et le futur. Il en profite pour convoquer le passé de son père, ancien militant de la Gauche Prolétarienne (GP) en 68 et un peu après. Mais Jean ne s’exprime qu’en pointillés sur cette expérience sur les bords de la violence… On se souviendra peut-être que cette GP fondée et dirigée par Benny Levy, maoïste, ancien secrétaire de Jean-Paul Sartre, fut dissoute quand son inspirateur renonça justement à franchir le pas de la violence politique pour… partir se consacrer à l’étude de la Torah en Israël jusqu’à sa mort en 2003. Jean Bigiaoui fut lui aussi de cette expérience trouble avant de se recycler dans les clous, après avoir été l’assistant de Joris Ivens, autre documentariste (et mari de Marceline Loridan-Ivens, ancienne déportée et écrivaine). Bref, tout ce petit monde de la révolte, voire de la révolution s’est croisé et recroisé, sur le pavé parisien et dans les luttes du XXème siècle.

Puis le rideau tombe sur Bricomonge après quelques larmes échangées entre les employés et Jean que l’on voit disparaître au bout de la rue des Ecoles, au cœur de ce quartier désormais sérieusement boboïsé mais qui fut longtemps fréquenté par des révolutionnaires de tous bords et une jeunesse assoiffée d’idéaux et d’idéologies.