LAURENS Henry au Collège de France, « Crises d’Orient : les origines de l’autoritarisme à partir de 1949 » 2/6.

Henry Laurence poursuit son analyse des temps agités moyen-orientaux post-défaite de la coalition arabe en guerre contre Israël en 1948.

1950 : la Jordanie (alors Transjordanie) annexe « provisoirement » la Judée et la Samarie, y compris Jérusalem Est, qu’elle rebaptise Cisjordanie, tout en menant des négociations secrètes avec Israël sur un corridor d’accès à la mer Méditerranée qui n’aboutiront pas. Elle adhère à l’Organisation des Nations-Unies (ONU) en 1955. Israël continue à revendiquer l’intégralité de la Palestine. Les pays arabes continuent eux à affirmer qu’Israël est une « création » de l’Occident et menacent en conséquence de se tourner vers l’Union soviétique. Malgré tout, le caractère fondamentalement anti-communiste de l’islam les empêchera de mettre véritablement leur menace à exécution. Tout au plus ne voteront-ils pas la résolution de l’ONU sur la guerre de Corée. En réalité, Staline ne voulait pas intervenir au Moyen-Orient, préférant limiter le territoire d’influence soviétique aux zones occupées par l’armée rouge en 1945.

Les problèmes de frontière persistent (et sont d’ailleurs toujours d’actualité…) : zone démilitarisée, ligne verte, lac de Tibériade… Une déclaration tripartite des Etats-Unis, du Royaume-Uni et la France donne une garantie aux accords d’armistice israélo-arabes de 1949 en échange de ventes d’armes occidentales… Durant ces années Israël reçoit et intègre un nombre important de réfugiés, migrants ou exilés, ce que les puissances arabes échouent à faire de leurs côtés.

En 1948, l’intervention soviétique (le « coup de Prague ») met fin à la « rébellion » tchécoslovaque. Selon le mot de de Gaulle : « l’armée rouge est à deux étapes du Tour de France de nos frontières » ! Une union militaire occidentale se met en place qui deviendra l’OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord »), approuvée en 1950 sans la Turquie ni la Grèce. L’OTAN ne mentionne pas l’Europe pour ne pas effrayer les citoyens-contribuables américains qui ne veulent même pas envisager d’intervenir une troisième fois pour empêcher l’Europe de se suicider. Evidemment, ni la Grèce ni la Turquie, pays méditerranéens, ne sont concernées par « l’Atlantique Nord ».

Malgré tout, la Turquie, craignant l’URSS, souhaite intégrer le plan Marshal. Le pays se libéralise progressivement après la mort de Kémal et, comme gage de sa bonne volonté, envoie un bataillon combattre en Corée côté occidental. Après 1950, le réarmement est général et Grèce et Turquie seront acceptées au sein de l’OTAN afin de bloquer l’URSS dans le Caucase. Le Royaume-Uni est contre cette intégration qui diminue son influence propre au Moyen-Orient en donnant un label occidental à la Turquie. Londres privilégiait une alliance militaire moyen-orientale réunissant Turquie, Royaume-Uni, France, Australie et Nouvelle-Zélande (les puissances coloniales), en dehors de l’OTAN, sur laquelle elle aurait gardé la haute main.

C’est aussi à cette époque que des évolutions considérables touchent le marché pétrolier. Le principe du partage de la rente pétrolière 50/50% entre Etats producteurs et compagnies occidentales est généralisé, parfois même dépassé. Certains Etats comme l’Arabie Saoudite et l’Iraq voient leurs ressources financières propres augmenter considérablement. En octobre 1950 le président américain Truman garantit la sécurité de l’Arabie Saoudite mais des problèmes de délimitation des frontières de ce pays avec les anciennes possessions britanniques (Oman, futurs Etats Arabes Unis, etc.) ne sont toujours pas réglés et donnent lieu à des conflits locaux jusqu’en 1952 dans lesquels sont impliquées les compagnies pétrolières concessionnaires.

En Iran le Shah dirige un pays troublé et sous-développé. Il s’oppose à son premier ministre Mossadeq qui nationalise l’Anglo-Iranian Petroleum en 1951 qui sera évacuée par les britanniques mis devant le fait accompli après une vaine tentative de médiation américaine.

L’Egypte réclame le départ des britanniques et l’intégration du Soudan. Une forte hostilité contre le Royaume-Uni se développe dans le pays. L’Egypte dénonce ses accords avec Londres puis désigne le roi Farouq roi d’Egypte et du Soudan ! Des attentats ont lieu dans le pays contre les britanniques. En janvier 1952 l’armée coloniale veut réduire les policiers égyptiens d’Ismaïlia et attaque leur caserne. Cette intervention plutôt mineure, déclenche de violentes réactions de la population égyptienne du Caire contre l’occupation et, d’une manière plus générale, contre la monarchie considérée comme corrompue. C’est ce qu’on appellera « l’incendie du Caire ». Il ouvre la voie à des changements fondamentaux dans ce pays…