Destruction du barrage de Kakhovka en Ukraine : la guerre fait des ravages, c’est son rôle

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Le barrage de Kakhovka en Ukraine sur le fleuve Dniepr a été détruit ce 6 juin. Il est situé juste sur la ligne de front entre les Ukrainiens et les Russes. Il était occupé par les forces russes, et ce qui en reste l’est toujours. L’inondation qui s’ensuit ravage des milliers de kilomètres carrés et entraîne l’évacuation de milliers d’habitants. On ne connaît pas encore le nombre de victimes et on ne sait pas qui a procédé à cette destruction, des Russes ou des Ukrainiens.

Les plateaux télévisés européens désignent la Russie responsable mais le silence des autorités occidentales est troublant, il l’est tout autant pour ce qui concerne la responsabilité de la destruction des deux gazoducs Nord Stream dans le fond de la mer Baltique en septembre 2022. On sait que les deux parties sont capables d’exécuter de tels actes et on est capable de démontrer que chaque côté pouvait avoir intérêt à ces destructions et vice-versa. L’avenir dira bien un jour qui a ordonné et réalisé ces destructions.

En attendant on constate que cette guerre joue le rôle habituel fixé à une guerre : la destruction des hommes et des matériels. C’est la raison pour laquelle il faut y mettre fin avant que l’on en perde complètement le contrôle et que le chaos soit total en Europe. Il est indéniable que le mieux aurait été de ne pas la commencer. Personne ne semblait vraiment croire à cette hypothèse jusqu’à quelques semaines avant qu’elle ne soit déclenchée, mais l’invasion a bien été lancée par la Russie qui occupe aujourd’hui une partie de l’Est de l’Ukraine. Aucune des parties ne souhaite aujourd’hui mettre fin à cette guerre puisque chacune espère encore améliorer ses positions.

Arrêter la guerre maintenant voudrait dire accepter la partition du territoire ukrainien et l’acceptation du fait accompli de la conquête russe au détriment du concept de « droit international » sur lequel est basée l’organisation du monde depuis 1945 mais que ne reconnaissent désormais plus nombre de pays. L’ouverture de négociations avec Moscou serait une décision difficile à prendre, dont personne ne peut aujourd’hui anticiper les effets politiques internationaux qui seraient peut-être moins lourds que les inconvénients générés par la poursuite de la guerre, ou peut-être pas…

Evidemment, les deux parties sont en principe déjà allés trop loin pour arrêter mais il faut pourtant l’envisager puisqu’aucune d’entre elles ne semble devoir écraser l’autre à court terme. Ce serait pourtant une position raisonnable. Imaginons un instant une victoire totale de l’Ukraine, elle serait suivie d’un chaos probablement dévastateur en Russie aux conséquences mondiales imprévisibles, et de règlements de compte sévères en Ukraine puisqu’une partie de la population de l’Est est pro-russe. A l’inverse, une victoire totale de Moscou verrait les troupes russes stationnées directement à la frontière est de l’Europe, un peu comme à Berlin avant la chute du mur, et l’Occident perdre sérieusement la face et donc de sa puissance, et le droit international définitivement enterré.

Les accords de Minsk, hélas jamais appliqués par les parties, prévoyaient déjà d’octroyer une autonomie constitutionnelle aux régions ukrainiennes de Donetsk et de Lougansk. Pourquoi ne pas envisager de repartir sur une base similaire, en y ajoutant la Crimée, susceptible de prendre en compte la volonté des Ukrainiens prorusses. Un processus de consultation sous contrôle international des populations locales du style de celui qui aboutit à la partition du Soudan avec la création du Soudan du Sud en 2011, ou de celui mis en place par la France pour décoloniser la Nouvelle-Calédonie, pourrait permettre de faire s’exprimer de façon démocratique les populations locales sur leur volonté d’être rattachées à la Russie ou à l’Ukraine.

Evidemment, il faudrait pour ce faire détricoter l’annexion de ces régions par la Russie qui pourrait demander en échange de détricoter aussi les processus d’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne et à l’OTAN. Bien sûr le processus serait long, douloureux, semé d’embûches, entraînant des déplacements de population une fois le choix entériné. Mais peut-être faut-il tenter l’expérience plutôt que de continuer à détruire.

Le parallèle avec les accords de Munich de 1938 qui entérinèrent l’annexion des Sudètes (en Tchécoslovaquie où vivait une forte minorité d’origine allemande) par l’Allemagne nazie, sans éviter finalement la seconde guerre mondiale, est troublant. L’alternative à l’époque aurait été que les alliés entrent en guerre contre l’Allemagne dès 1938, et les Etats-Unis étaient loin d’y être prêts en 1938… Pas sûr que la suite aurait été fondamentalement différente. Aujourd’hui l’Occident, représenté par l’OTAN, a clairement énoncé son refus d’engager des soldats sur le terrain ukrainien pour éviter une confrontation directe avec l’armée se la Russie dotée de la puissance nucléaire. Ce choix se défend.

En tout état de cause, la Russie est et restera une puissance malfaisante pour l’Occident, et vice-versa, qu’elle que soit l’issue de la guerre. Après les espoirs déçus d’intégration de la Russie au système international post-perestroïka/glasnost de la fin des années 1980, l’Occident sait de quoi est capable ce pays rongé par ses ambitions de puissance et ses frustrations post-Empire soviétique. Il se réorganise en conséquence et réarme de façon significative pour parer à toute aventure militaire de Moscou contre son propre territoire, quitte à reconstruire un mur, fictif ou réel, entre la frontière russe, quelle qu’elle sera à l’issue de potentielles négociations, et l’Occident.

Alors que s’ouvre à Londres une deuxième conférence pour la reconstruction de l’Ukraine, on parle de plus de 400 milliards d’euros nécessaires à ce stade des destructions, il va bien falloir faire preuve à un moment ou un autre d’audace diplomatique et de sens de l’intérêt général. Qui en sera capable ?

Rehve-06/2023