Catégorie : Neurones

  • DUGAIN Marc, ‘La Volonté’.

    DUGAIN Marc, ‘La Volonté’.

    Sortie : 2021, Chez : Editions Gallimard – folio 7238.

    Avec « La volonté » le romancier Marc Dugain (né en 1957) s’éloigne (un peu) de la fiction pour le récit, celui de la vie de son père et de la relation agitée qu’il partagea avec lui. Fils d’un marin breton qui passe plus de temps en mer qu’à la maison et d’une mère austère, ce père est frappé par la poliomyélite alors que, adolescent durant la seconde guerre mondiale, il est déjà actif dans la résistance.

    Il mène alors un long combat contre les effets de cette maladie qui lui paralyse les deux jambes. Il va en récupérer une et réussira à mener une vie physiquement à peu près normale, à force d’énergie et de volonté. Il se marie avec la fille d’un grand invalide de guerre et ensemble ils partent en Nouvelle-Calédonie (il est ingénieur spécialisé dans l’étude des minéraux) puis au Sénégal où ils auront leur deux enfants. Ils fuient ainsi leurs deux familles à l’amour pesant, et pour assouvir leur envie de grands espaces et le besoin d’une vie hors de la norme.

    Ce livre est surtout l’histoire émouvante d’une relation complexe entre un père exigeant qui a connut la guerre et son fils aîné Marc, enfant des trente glorieuses et de l’apparition de la consommation de masse. Beaucoup d’incompréhension, parfois de violence, de longues périodes d’incommunicabilité et de séparation. Puis l’intervention affectueuse d’une marraine va apaiser l’adolescent Marc qui va retrouver le dialogue avec son père et faire émerger l’amour filial qui se dissimulait sous la révolte. Marc accompagne son père jusqu’au bout sur son lit de mort. Il va ensuite de rapprocher de sa mère, autour du souvenir de cet homme qu’ils ont passionnément aimé tous les deux, sous un jour différent.

    Dugain déroule la vie de sa famille à travers la grande histoire et décrit l’existence des siens comme un roman plus qu’un récit en précisant en avant-propos :

    La plus belle des fictions est celle qu’on entretient sur ses proches dans des souvenirs qui jalonnent une mémoire flottante. Ce n’est pas la biographie d’inconnus, c’est un vrai roman.

    Cet hommage brûlant aux anciens lui a forgé la conviction que nous sommes aussi et surtout ce qu’ils nous ont transmis. Il laisse ce livre émouvant à ses petits-enfants pour qu’ils sachent de qui ils viennent. C’est un noble ouvrage !

  • Buddy Guy– 2023/07/11 – Paris l’Olympia

    Buddy Guy– 2023/07/11 – Paris l’Olympia

    Buddy Guy, musicien américain né en Louisiane en 1936, émigré à Chicago, légende du blues et de la guitare, 87 ans, passe à l’Olympia ce soir dans le cadre de son « DAMN RIGHT FAREWELL TOUR », à ne surtout pas manquer ! Père d’une discographie impressionnante, 50 opus répertoriés par Wikipédia, dont le premier date de 1967 et le dernier de 2022, l’artiste est toujours productif même si le titre de cette tournée semble indiquer que l’on s’achemine doucement vers une fin…

    Buddy entre, habillé d’une resplendissante chemise à poids et d’une casquette grise, sa guitare crème en bandoulière. Il est accompagné d’un guitariste (Ric “Jaz” Hall) et d’un bassiste (Orlando Wright) qui pourraient être ses enfants, d’un batteur aux cheveux gris (Tom Hambridge) et d’un jeune claviériste (Dan Souvigny), tous deux blancs, qui ont d’ailleurs assuré la première partie.

    Le bonhomme déclenche son petit succès lorsqu’il apparaît, auréolé de sa légende du blues. C’est le dernier des survivants de tous ces guitaristes que l’on croirait sortis d’un champ de coton de la guerre de Sécession dans l’Alabama. John Lee Hooker, Muddy Waters, B.B. King, Albert King… tous partis. Alors ce soir Buddy Guy est un peu le dernier des mohicans, rôle qu’il assure avec aisance. Bavard comme une pie, malicieux avec son public, il mime les gestes de l’amour avec son bassin contre sa guitare sur She’s Nineteen Years Old, il pose celle-ci à plat sur une enceinte pour en jouer avec une baguette de tambour… mais le meilleur est quand il en joue normalement et là, c’est un déchaînement de virtuosité mêlé de sensibilité. On y retrouve ces années de blues où cette musique était écrite et jouée comme sa vie en dépendait. Mais Buddy Guy ne s’est jamais départi de son bonheur de vivre en trimballant sa guitare sur les scènes du monde entier même si pour les musiciens de sa génération la guitare et le blues étaient aussi, et surtout, des alternatives à la lutte pour les droits civiques dont les résultats furent des plus modestes au siècle dernier.

    Ce soir il interprète plus de reprises que de chansons originales, hommage à ses pairs, tous ces blueseux qui parcourent l’Amérique avec leur guitare pour s’extraire de leur condition misérable et, au passage, défendre l’émancipation des noirs dans leur pays. Cet extraordinaire sens musical leur a amené la reconnaissance et quand on voit leur influence sur le rock depuis des décennies on comprend la puissance de cette musique et l’incroyable talent de ceux qui l’ont créée et fait prospérer à travers les décennies. Il a joué avec les plus grands : Janis Joplin, The Grateful Dead, Eric Clapton, les Rolling Stones… Il a inspiré tant de groupes de rock et de guitaristes que l’on peinerait à les énumérer tous.

    Entre deux pitreries il redevient sérieux en évoquant les conditions de son enfance miséreuse en Louisiane, interpellant les premiers rangs d’un « vous ne savez sans doute même pas où est la Louisiane ! ».

    Mais il revient toujours à la musique et enchante l’assemblée lorsqu’il décline des solos avec une incroyable facilité. Et, lorsqu’il laisse la scène à son jeunot de guitariste, celui-ci développe une incroyable virtuosité, presqu’à l’égal de son Maître au meilleur de sa forme. Clou du spectacle : au terme d’une de ses envolées magiques, Ric « Jaz » fait tournoyer sa guitare comme une hélice de moulin ; elle est manifestement fixée sur un pivot accroché à sa bandoulière… Succès garanti !

    Après avoir convoqué et joué tous ses grands anciens, Buddy tire sa révérence sur I Let My Guitar Do the Talking, le premier titre de son dernier disque de 2022 :

    I left Louisiana
    Some 60 years ago
    Bought me a one way ticket
    To sweet home Chicago
    When I lost my way
    My fingers did the walking
    I don’t say too much
    I let my guitar do the talking

    Il quitte la scène un peu brusquement, signe quelques autographes sur des vinyles tendus à bout de bras par les spectateurs des premiers rangs, distribuent ses médiators et rejoint les coulisses. Il n’y a pas de rappel mais qu’importe, nous avons communié avec l’un des derniers soldats du blues, cause qu’il défend depuis toujours avec le même talent empreint d’une joie communicative. Bravo l’artiste ! Reverra-t-on Buddy Guy sur scène ?

    Dehors, une nuée de jeunes filles dorment sur le trottoir du boulevard pour être au premier rang du concert du groupe de bogoss britanniques The 1975 prévu demain. Avant-hier elles occupaient ce même trottoir pour assurer leurs places au concert de l’américaine Lana del Rey qui s’est déroulé hier. Pas sûr qu’elles connaissent Buddy Guy ?

    Setlist : Damn Right, I’ve Got the Blues/ I’m Your Hoochie Coochie Man / She’s Nineteen Years Old/ I Just Want to Make Love to You (Willie Dixon cover)/ Love Her With a Feelin’ (Tampa Red cover)/ Fever (Eddie Cooley cover)/ How Blue Can You Get? (Johnny Moore’s Three Blazers cover)/ Grits Ain’t Groceries (Little Milton cover) (with snippets of « Sunshine of… more)/ Boom Boom (John Lee Hooker cover)/ Voodoo Child (Slight Return) (The Jimi Hendrix Experience cover)/ Strange Brew (Cream cover)/ Drowning on Dry Land (Albert King cover)/ Skin Deep/ I Let My Guitar Do the Talking

  • WEIL Simone, ‘L’Enracinement – prélude à une déclaration des devoirs envers l’être humain’.

    WEIL Simone, ‘L’Enracinement – prélude à une déclaration des devoirs envers l’être humain’.

    Sortie : 1943, Chez : Editions Gallimard.

    Simone Weil (1909-1943) est une philosophe française « humaniste » qui a cherché à expliquer la condition ouvrière à l’aune de l’analyse marxiste mais sans être véritablement « révolutionnaire ». Née juive, elle adhère (sans se convertir) à la spiritualité chrétienne. Normalienne, agrégée de philosophie à 22 ans, elle enseigne puis travaille en usine, fréquente l’Espagne aux temps de la guerre contre le franquisme, compagnonne un temps avec l’anarchisme, le trotskisme, visite l’Allemagne pour mieux comprendre l’hitlérisme dans les années 1930, elle se plonge dans les textes grecs, chrétiens, hindouistes, bouddhistes… Elle écrit le fruit de toutes ces multiples réflexions. La majorité de ses écrits sera publiée après sa mort. Elle s’exile à Londres en 1942 où elle écrit son œuvre majeure : « l’Enracinement ». D’une santé fragile, elle est tuberculeuse, épuisée physiquement et psychiquement, elle meurt d’une crise cardiaque à l’âge de 34 ans.

    C’est évidement son jeune âge qui frappe en premier lieu à la lecture de L’Enracinement, on reste stupéfait devant l’accumulation de lecture et de savoir sur laquelle elle forge ses analyses, ainsi que par la puissance de sa pensée. Comment à seulement 34 ans a-t-elle pu incorporer toute cette connaissance de la philosophie et de l’Histoire ? Par quelle intelligence supérieure arrive-t-elle à ordonner sa pensée et restituer ses analyses de façon aussi claire pour un lecteur non initié à la philosophie ?

    Dans la première partie intitulée « Les besoins de l’âme », Mme. Weil différencie la notion d’obligation de celle de droit qui lui est « subordonnée et relative », puis liste les « besoins de l’âme » à ne pas confondre avec « les désirs, les caprices, les fantaisies ou les vices » et de définir l’ordre, la liberté, l’obéissance, la responsabilité, l’égalité, la liberté d’opinion, la vérité… Bref, une sorte de vade-mecum de ce qui devrait être la ligne de conduite des démocraties.

    Dans la seconde partie « Le déracinement » elle déplore la « maladie du déracinement » lorsqu’un peuple ou une classe sociale n’a plus accès à ses racines morales, intellectuelles, spirituelles. Ces racines viennent soit de son milieu soit elles infusent par échanges entre les classes. Il y a déracinement, notamment, lors des conquêtes militaires : les Celtes en Gaulle, les Maures en Espagne, les Allemands en Europe ou la France en Océanie, les conquérants cherchant systématiquement à effacer l’histoire des nations conquises, à les déraciner. De ce fait, la conquête militaire est assimilée au mal.

    L’argent est aussi un puissant facteur de déracinement au sein d’une même société. Pour éviter celui-ci, Weil expose sa conception d’une organisation idéale du travail, ouvrier comme paysan, qui « serait éclairé de poésie », un système ni capitaliste ni socialiste qui abolirait la condition prolétarienne et dont l’orientation serait non pas « l’intérêt du consommateur » mais « la dignité de l’homme dans le travail, ce qui est une valeur spirituelle ».

    Elle explique aussi l’apparition de ce déracinement nuisible par la disparition du sens des collectivités qui correspondaient à des territoires, aujourd’hui balayé par celui de la nation « c’est-à-dire l’Etat » qui s’est substitué à tout pour « assurer à travers le présent une liaison entre le passé et l’avenir ». Et d’illustrer dans une vaste fresque historique, de l’empire romain à l’Europe de la première moitié du XXème siècle les notions de patrie, de nation, d’obéissante et de désobéissante, des contradictions insolubles du concept de patriotisme, de la brutalité des conquérants en relativisant leurs cruautés respectives.

    La troisième partie, L’Enracinement, débute par une analyse de l’effondrement de la France en 1870 malgré le fait que c’est elle qui ouvrit les hostilités contre la Prusse, jusqu’à la rédemption initiée par le mouvement gaulliste susceptible de restaurer le génie du pays au-dessus du chaos (rappelons que le livre est écrit entre 1940 et 1942, époque où la guerre est loin d’être terminée) :

    La vraie mission du mouvement français de Londres est, en raison même des circonstances politiques et militaires, une mission spirituelle avant d’être une mission politique et militaire.
    Elle pourrait être définie comme étant la direction de conscience à l’échelle d’un pays.

    S’en suivent de complexes déroulements sur la force, l’histoire, la poésie, la tradition, la spiritualité qui enracinent la puissance d’une nation. Si l’univers entier est régi par la force, comment l’homme pourrait-il s’en soustraire ? Elle constate ensuite l’incompatibilité entre religiosité et science et ramène le christianisme à « une convenance relative aux intérêts de ceux qui exploitent le peuple » où l’esprit de vérité est absent.

    La philosophe écrit fiévreusement sur les voies à emprunter pour élever l’inspiration de la nation et la spiritualité de son peuple en évitant les dérives constatées dans l’histoire, dont le cas Hitler n’est pas des moindres. Nombre de sujets résonnent encore aujourd’hui d’une brulante actualité : la spiritualité des nations, la science et la religion, la dévastation générée par les conquêtes militaires… Il faut faire quelques efforts pour pénétrer la pensée de la philosophe mais ceux-ci sont très largement récompensés par l’impression d’en partager la saveur.

    NB : le livre a été publié par Albert Camus.

    Lire aussi : La Corse déracinée

  • « Vers un avenir radieux » de Nanni Moretti

    « Vers un avenir radieux » de Nanni Moretti

    Un joli film de Nanni Moretti qui se met en scène lui-même dans « Vers un avenir radieux » dont il est l’acteur principal, Giovanni, réalisateur. Le film raconte le tournage d’un film par Giovanni au sujet d’une cellule du parti communiste italien en 1956 (cellule « Antonio Gramsci ») alors que les grands-frères soviétiques envahissent le « peuple frère » de Hongrie.

    Dans le même temps le réalisateur se montre embourbé dans les problèmes financiers de sa production, la psychanalyse de sa femme qui n’arrive pas à se séparer de lui, sa fille qui lui annonce son projet de mariage avec l’ambassadeur de Pologne de trois fois son âge, le monde du cinéma qui évolue au-delà de ce que Giovanni peut comprendre avec notamment un moment hilarant où une productrice Netflix lui annonce que son film est bon mais manque de moments « what the fuck! ». Les yeux ronds désespérés qu’ouvre Giovanni devant cette remarque attestent de son décalage avec le monde moderne dont il commence à prendre conscience.

    A défaut de se satisfaire du présent, il se jette à corps perdu dans le passé évoqué par son film dont il reprend la fin pour la rendre heureuse : le chef de la cellule « Antonio Gramsci » au lieu de se suicider devant la félonie du grand frère soviétique va prendre la tête d’une rébellion communiste pour forcer le PCI à prendre position contre l’invasion soviétique de la Hongrie de 1956. La vraie vie fut toute autre…

    Le film est délicieux et amère. L’humour de Moretti est toujours désopilant pour aborder les sujets légers comme tragiques. C’est le portait d’un septuagénaire et le tableau d’une époque qui s’effacent doucement, sans drame, avec l’élégance italienne.

  • « La Musique dans les camps nazis » au Mémorial de la Shoah

    « La Musique dans les camps nazis » au Mémorial de la Shoah

    Le Mémorial de la Shoah revient sur l’utilisation qui a été faite de la musique dans les camps de concentration et d’extermination allemands durant la décennie du pouvoir nazi. Pour la patrie de Brahms et de Beethoven la musique était, bien sûr, un élément fondateur de la culture aryenne, partie prenante de l’éducation de ses enfants et de son environnement militariste. Elle a accompagné la logique des camps et a été utilisée par leurs dirigeants pour ponctuer les entrées et sorties des camps, mais aussi des séances de tortures ou d’exécutions publiques, voire des fêtes organisées par les soldats « SS » pour un anniversaire ou une célébration quelconque.

    Les prisonniers devaient aussi apprendre des chants de guerre allemands pour marcher au pas et en rythme. Une vidéo hallucinante extraite du film « Shoah » de Jacques Lanzmann (tourné à la fin des années 1970) montre l’adjoint d’un camp de la mort chantonner l’hymne du camp écrit par son supérieur et dans lequel il est question de discipline, de bonheur par le travail et de lendemains enchanteurs…

    Les déportés musiciens bénéficiaient d’un statut légèrement favorisé par rapport aux autres. Du fait de leur faible nombre, les Allemands voulaient les garder en vie afin qu’ils assurent cette fonction orchestrale, à la fois « divertissante » mais aussi marquant la discipline qu’ils voulaient imposer à leurs prisonniers. Les nazis déifiaient Wagner, Beethoven, Strauss (décédé en 1949, son hymne olympique est joué aux Jeux Olympiques de Verlin en 1936, il est acquitté en 1948 par le tribunal de dénazification) qu’ils interdisent de jouer aux musiciens juifs de ces orchestres des camps !

    Manquant d’instruments et de partitions, les nazis en commandent à l’extérieur aux frais des déportés. Une contrebasse fabriquée à Mauthausen avec les moyens du bord est exposée.

    Immuablement, nous jouons matin er soir, par n’importe quel temps, qu’il gèle, qu’il neige ou qu’il vente ; il semble impossible aux Allemands d’envisager la sortie ou la rentrée des commandos sans notre concours. Lorsqu’il y a du brouillard, les commandos ne sortent pas avant qu’il ne soit dissipé : le brouillard favorise les évasions. Nous devons alors rester de longues heures à jouer des airs divertissants jusqu’à ce que l’ordre d’attaquer nos marches soit donné.

    Simon Laks, René Coudy, Musiques d’un autre monde, 1948

    Mais la musique est aussi un moyen de réconfort pour les déportés qui s’organisent pour en jouer et en composer à l’abri des regards et des oreilles allemands, dans l’intimité de leurs baraquements sinistres. Certains des poèmes mis en musique à l’époque sont exposés et des bandes-son sont proposées. Une des chansons bouleversantes a été écrite par un des membres du commando en charge d’incinérer les corps des prisonniers assassinés et qui reconnait celui de son fils.

    Qui a visité le camp d’Auschwitz-Birkenau se souvient de cette dalle, tout juste à droite après le portique d’entrée « Arbeit mach free » sur laquelle se tenaient les « musiciens » lorsque les déportés entraient ou sortaient, et se pose toujours la même question sans réponse de savoir comment la patrie de Brahms a-t-elle pu engendrer une telle horreur ?

  • Dans un bistrot du Vème

    Dans un bistrot du Vème

    Street Art

    Un philosophe a décoré les toilettes de ce bistrot.

  • Chris Isaak – 2023/07/07 – Paris l’Olympia

    Chris Isaak – 2023/07/07 – Paris l’Olympia

    Chris Isaak nous revient cette année l’Olympia sans que le temps ne semble faire effet sur lui. A peine quelques rides viennent marquer le beau gosse de Stockton (Californie), il a 67 ans tout de même, habillé d’un costume rockabilly, plutôt moins flashy que d’habitude, noir à parements verticaux argentés, bottes cloutées et petit médaillon fermant son col de chemise blanche. Ses quatre musiciens sont en costumes noirs et chemises blanches de rigueur.

    Pas de production discographique récente sinon un énième Christmas record sans doute de peu d’intérêt. Chris et son groupe tournent pour le plaisir et, peut-être un peu, pour remplir les caisses. Après tout la musique c’est aussi leur job.

    Le show démarre sur un dynamique American boy suivi d’un enchaînement romantique Somebody’s Crying/ Waiting dans lequel Chris joue de sa voix en or pour nous enjôler et de ses mots mélancoliques pour serrer nos cœurs :

    I know somebody and they cry for you
    They lie awake at night and dream of you
    I bet you never even know they do, but
    Somebody’s crying

    A peine remis de ses émotions, le public entend Chris démarrer Don’t Leave Me on My Own en descendant sans sa guitare dans l’une des allées de l’Olympia qu’il remonte doucement en chantant avant de monter dans la mezzanine en poursuivant sur I Want Your Love puis de revenir sur la scène. Les spectateurs sont attendris oubliant que l’artiste est coutumier du fait, un petit truc qui réussit toujours bien pour se mettre le public dans sa poche.

    Plutôt bavard ce soir, il prend le temps de nous remercier de soutenir la musique live par notre présence. La salle est pleine et disposée en format « senior » avec places assises dans l’orchestre dont les quinquas/sexas vont régulièrement se lever, parfois sur instruction de l’artiste, pour suivre le rythme.

    Une fois Chris revenu sur scène son guitariste historique, James Calvin Wilsey, embonpoint sous costume croisé, entame la mélodie lancinante de Wicked Game, devenu un hit mondial après avoir été utilisé par le réalisateur David Lynch dans Sailor and Lula. C’est encore une histoire d’amour sombre, de sentiments trop violents, de ruptures inévitables, de renoncement face au monde qui ne fait que briser les cœurs :

    Nobody loves no one

    Une partie du show se joue ensuite avec les cinq musiciens assis sur des tabourets sur le devant de la scène. Viennent les reprises de Roy Orbison : Oh, Pretty Woman et Only the Lonely, et le souvenir de la rencontre d’Isaak avec Orbison dont il assurait la première partie et qui insistât pour que tous deux figurent sur la photo de presse. Sa guitare acoustique est siglée CHRIS ISAAK sur la table là où celle de Woody Guthrie affichait THIS MACHINE KILLS FASCISTS.

    Il laisse ensuite cette guitare à son bassiste Rowland Salley, costume noir et chaussures rouges, pour interpréter une de ses propres compositions, Killing the Blues, rendue célèbre car reprise par un autre guitariste dont il feint d’oublier le nom, Robert Plant qui l’interpréta dans son duo avec Alison Krauss.

    Help Falling in Love reprise d’Elvis, Blue Hotel et San Francisco Days nous enchantent. Le final Notice the Ring est l’occasion de derniers déhanchements de Chris derrière sa guitare et d’une chorégraphie des trois guitaristes en ligne mimant des mitrailleurs montant au front.

    Nous sommes à Paris alors Isaak nous raconte avoir joué avec Johnny Halliday un immense rocker qui… lui faisait peur et avoir enregistré, il y a des années, Don’t leave me this way avec Etienne Daho dans un hôtel désert de Nashville dont il joue les premières mesures sur sa guitare. Le public adore.

    Pour le rappel il revient comme à son habitude dans son habit de lumière, pantalon-veste recouverts de petits miroirs, pour entamer Baby Did a Bad Bad Thing avec une voix grave, menaçante et contenue qu’il libère en criant sur le refrain, et ponctue le final avec gourmandise de la ritournelle musicale de James Bond. Le dernier rappel est une reprise de James Brown avant laquelle nous avons droit une nouvelle histoire de Chris jeune chanteur attendant devant la loge de Brown après l’un de ses concerts pour se présenter : « bonjour je suis auteur-compositeur-interprète à la Warner Bros compagnie » et son interlocuteur de lui répondre d’un borborygme « Hhhngnn » que Chris cherche encore à interpréter aujourd’hui.

    La musique d’Isaak est toujours un délicieux mélange entre rockabilly et pop mélancolique. Sa voix de velours lui permet de tout interpréter avec ses décrochements caractéristiques et sa montée en « voix de tête » dont il est capable de garder les notes très longtemps. Rien ne change vraiment dans l’ordonnancement de ses concerts sinon la couleur de ses costumes à motifs imprimés. L’homme est séduisant (élu en 1990 dans les 50 hommes les plus sexy par un magazine pipole américain, il est toujours célibataire), le musicien accompli, l’artiste émouvant… laissez agir, le plaisir des spectateurs est toujours aussi intense.

    Setlist : American Boy/ Somebody’s Crying/ Waiting/ Don’t Leave Me on My Own/ I Want Your Love/ Wicked Game/ Go Walking Down There/ Speak of the Devil/ Oh, Pretty Woman (Roy Orbison cover)/ Forever Blue/ Two Hearts/ My Happiness (Elvis Presley cover) (first verse only)/ Only the Lonely (Roy Orbison cover)/ Dancin’/ Killing the Blues (Rowland Salley cover)/ Can’t Help Falling in Love (Elvis Presley cover)/ Blue Hotel/ San Francisco Days/ Big Wide Wonderful World/ Notice the Ring

    Encore : Baby Did a Bad Bad Thing / Bye, Bye Baby / James Bond Theme/ Can’t Do a Thing (To Stop Me)/ The Way Things Really Are

    Encore 2 : I’ll Go Crazy (James Brown & The Famous Flames cover)

    Lire aussi : Chris Isaak – 2012/10/12 – Paris le Grand Rex

    Warmup : Haylen et son guitariste « Diogène ».

  • « Promenade à Cracovie » de Mateusz Kudla et Anna Kokoszka-Romer

    « Promenade à Cracovie » de Mateusz Kudla et Anna Kokoszka-Romer

    Roman Polanski (89 ans), réalisateur célèbre, rescapé du ghetto de Cracovie à l’âge de 7 ans, se promène dans cette ville avec son ami d’enfance Ryszard Horowitz (84 ans), photographe de renom, rescapé d’Auschwitz à l’âge de 5 ans. Tous deux sont originaires de Cracovie et s’y trouvaient lorsque les Allemands ont envahi la Pologne en 1940.

    Filmés par Mateusz Kudla et Anna Kokoszka-Romer, on les voit déambuler dans la Cracovie d’aujourd’hui, retrouver leurs appartements familiaux, la synagogue qu’ils fréquentaient, sans être particulièrement croyants, les anciennes traces des murs et barbelés qui cernaient le ghetto. Pour la première fois de leur longue amitié ils évoquent ensemble cette tragique tranche de vie vécue dans ce pays dévasté par les années de guerre et d’antisémitisme.

    La mère et la grand-mère de Polanski sont assassinées à Auschwitz en 1943. Juste avant la liquidation du ghetto en mars 1943, son père lui fait fuir Cracovie et il va se retrouver seul à errer entre des familles rurales voulant bien cacher un enfant juif. Miraculeusement son père rentre vivant de Mauthausen. Polanski raconte ceci devant sa tombe au cimetière juif de Cracovie, y compris l’épisode burlesque de sa mise en terre pour laquelle l’aidait son ami Andrzej Wajda. Mais aussi de sa solitude de gamin se battant pour sa survie.

    Horowitz et sa famille furent déportés à Auschwitz. Ils échappèrent aux chambres à gaz car faisant partie de la célèbre « liste » de l’industriel allemand Oskar Schindler qui fit travailler des prisonniers dans ses fabriques. A la libération, alors que la famille éclatée n’est pas encore réunie, sa mère voit son fils apparaître sur un film sur la libération du camp d’Auschwitz, elle sait qu’il est vivant et ils vont se retrouver.

    Dans l’appartement de sa sœur de 90 ans, qui vit toujours à Cracovie, Polanski mime la scène où il retrouva son père de retour du camp, attablé à la table de cuisine, avant de le prendre sur ses genoux. Ces deux personnages martyrisés par la vie reviennent sur ces épisodes douloureux en adoptant un ton plutôt rigolard où parfois perce l’émotion quand ils évoquent ceux qui ne sont pas revenus.

    Un documentaire émouvant sur ces deux survivants. Quels destins !

    Le documentaire est présenté dans un nombre limité de salles « art & essai » dont cette bonne vieille salle de « L’Arlequin » rue de Rennes, opérée par la sympathique chaîne des cinémas indépendants « Dulac ».

  • « Love Life » de Kôji Fukada

    « Love Life » de Kôji Fukada

    Un charmant film du réalisateur japonais Kôji Fukada, plein de douceur et de longueur, qui raconte les aléas vécus par un couple du fait d’une tragédie familiale et du retour des « ex » qui rodent sur les lieux et dans les âmes des acteurs de ce drame. Dans ce monde asiatique où chacun veille à surtout ne pas exprimer ses émotions et à afficher toujours la même froideur face aux évènements, le réalisateur fait apparaître les failles que ses personnages ne vont pas réussir à masquer. Entre trois courbettes on voit se confronter l’amour passé entre le Soleil levant et le Matin calme, les difficultés de communication entre les êtres, la trahison évoquée et la solitude de chacun face à son destin. La fin est laissée à l’appréciation des spectateurs qui voient ce couple douloureux marcher, ensemble mais chacun sur sa ligne, vers un futur à définir sur le fond musical de la chanson japonaise, un peu dégoulinante de bons sentiments, Love Life :

    Quelle que soit la distance qui nous sépare, rien ne m’empêchera de t’aimer,

  • Depeche Mode – 2023/06/24 – Paris le Stade de France

    Depeche Mode – 2023/06/24 – Paris le Stade de France

    Ils ne sont plus que deux, les deux derniers membres historiques du groupe britannique d’électro-pop Depeche Mode fondé en 1980 : Dave Gahan, le chanteur charismatique et Martin Gore guitariste et principal compositeur. Vince Clark et Alain Wider (qui l’a remplacé) sont partis depuis longtemps, Andrew Fletcher est mort l’an passé mais le duo résiduel est toujours actif. Martin et Dave ont tous les deux 61 ans. Leur dernier disque, Memento Mori, est sorti au printemps et Fletcher a participé à son écriture.

    Lire aussi : Mort d’Andy Fletcher, membre fondateur de Depeche Mode

    Lorsque les roadies descendent le rideau noir qui cache le fond de la scène, un M gigantesque en relief apparait, comme collé sur un immense écran, les branches du M servant également de rampes de lumière. Deux autres vastes écrans entourent la scène. Les derniers rayons du soleil dardent les tribunes est quand les quatre musiciens apparaissent et que résonnent les premières notes de My Cosmos Is Mine, premier titre de Memento Mori.

    La formation est réduite, Fletcher n’a pas été remplacé numériquement. Les deux musiciens additionnels pour la tournée sont Christian Eigner à la batterie et Peter Gordeno aux claviers. Dave Gahan est habillé en noir avec des santiag blanches et un gilet au dos est jaune canari. Martin Gore est toujours vêtu d’habits noirs à mi-chemin entre un équipement de motard et une tenue sadomasochiste, il y a des chaînes et des sangles qui pendouillent, dont l’une lui reliant les deux mollets. Il alterne entre sa guitare et ses claviers.

    Le concert démarre avec deux morceaux du dernier disque Memento Mori, sorti récemment, envahi de noirceur, dont le titre signifie « Souviens-toi que tu vas mourir ». Il mérite certainement une écoute plus attentive pour l’apprécier à sa juste valeur mais le Stade de France attend pour l’instant les hits légendaires du groupe. Et ceux-ci arrivent avec Walking in my Shoes accompagné des premiers déhanchements torrides de Dave.

    Les morceaux se succèdent, entrecoupés des nouveautés de Memento Mori. Comme c’est la tradition, Gahan laisse la scène à Gore pour une interprétation solitaire de Home et Soul with me. Sa voix plus fluette et aigue que celle de son compère, grave et puissante, apaise le stade. Il a l’air un peu perdu seul au milieu de cette immense scène. Autant Dave tourne dans tous les sens, emplissant l’espace démesuré, agitant les bras en moulinets, alternant à droite de la scène, à gauche, et sur l’avancée au milieu des spectateurs, autant Martin est avare de ses gestes, statique derrière son micro. Des cheveux blonds-gris coiffés en brosse, des rides qu’il ne cherche plus à cacher, une démarche hésitante avec un costume compliqué qui de toute façon contraint ses mouvements, on est tout de même face à l’une des plus grands créateurs de hits électroniques de ces quatre dernières décennies. Sur Enjoy the silence il termine le premier set avec un solo de guitare sur le manche de laquelle il préfère en général déployer des arpèges en mode mineur, quand il n’est pas derrière ses synthétiseurs. Lorsqu’il chante avec Gahan, il l’accompagne à l’octave supérieure mêlant leur voix en un superbe duo affichant une complicité vocale reposant sur des années de partage, de disques et de tournées.

    Sur Word in my Eyes, les écrans affichent une image fixe en noir-et-blanc d’Andy Fletcher, encore jeune et le groupe lui rend ainsi hommage :

    Let me put you on a ship
    On a long, long trip
    Your lips close to my lips
    All the islands in the ocean
    All the heavens in motion
    Let me show you the world in my eyes

    Le show se termine sur un redoutable enchaînement, dansant et dynamique : Wrong/ Stripped/ John the Revelator et l’ultime Enjoy the Silence.

    Pour le rappel, Dave revient avec un gilet à dos rose… pour entamer un émouvant Waiting for the Night en duo avec Martin, tous deux sur l’avancée de la scène. Leurs deux voix sont parfaitement posées sur un fond de piano mélancolique :

    I’m waiting for the night to fall
    I know that it will save us all
    When everything’s dark
    Keeps us from the stark reality
    I’m waiting for the night to fall
    When everything is bearable
    And there in the still
    All that you feel is tranquillity

    La nuit est tombée maintenant sur Saint-Denis et les Depeche Mode vont bientôt nous rendre à notre tranquillité non sans nous avoir menés une dernière fois sur les grandes cavalcades de leurs tubes électro légendaires avec Just Can’t Get Enough/ Never Let Me Down Again/ Personal Jesus pour un feu d’artifice final.

    Un joli concert présentant la musique du groupe sous un jour un peu nouveau. Le non-remplacement de Fletcher donne plus de place aux voix qu’aux instruments, cette situation est encore accentuée par le dépouillement de la scène et du light-show. On s’y fait d’autant plus rapidement que le chant de Dave Gahan se bonifie avec le temps et sa voix puissante remplit sans effort l’enceinte du Stade de France. Il n’a pas perdu une once de technique, l’émotion ou le rythme affleurent à chaque couplet avec toujours autant d’énergie. Sa présence monopolise l’attention et ses pirouettes sont menées avec l’élégance d’un danseur classique. Les compositions de Martin Gore sont le réceptacle parfait pour les performances de ce personnage hors du commun. La scène semble lui faire oublier les phases troubles par lesquelles il est passé au long de sa carrière, de sa vie. Quarante ans après leurs débuts le groupe manifeste toujours un même enthousiasme, continue à composer et à remplir les stades. Ces Anglais ont la joie et la musique communicatives, c’est admirable et permanent.

    Setlist : Speak to Me (Outro)/ My Cosmos Is Mine/ Wagging Tongue/ Walking in My Shoes/ It’s No Good/ Sister of Night/ In Your Room (Zephyr Mix)/ Everything Counts/ Precious/ Speak to Me/ Home/ Soul With Me/Ghosts Again/ I Feel You/ A Pain That I’m Used To (Jacques Lu Cont Remix)/ World in My Eyes (Dedicated to Andrew Fletcher)/ Wrong/ Stripped/ John the Revelator/ Enjoy the Silence

    Encore : Waiting for the Night (Peter and Christian on keyboards)/ Just Can’t Get Enough/ Never Let Me Down Again/ Personal Jesus/ Happy Birthday to You (Mildred J. Hill & Patty Hill cover) (Dedicated to « Paris » after a spectator asked DM via a sign to sing « Happy Birthday » for a friend.)

    Warmup : Jehnny Beth, ex-chanteuse française du groupe britannique féminin Savages

    Lire aussi :
    > Depeche Mode – 2013/06/15 – Paris le Stade de France
    > Depeche Mode – 2010/01/19 – Paris Bercy

  • Jack Lang (83 ans) reconduit à l’IMA

    Jack Lang (83 ans) reconduit à l’IMA

    A l’occasion du renouvellement de son président en 2020 l’Institut du monde arabe (IMA) avait communiqué sur son site :

    L’ancien ministre socialiste de la Culture Jack Lang a été reconduit pour trois ans à la tête de l’Institut du monde arabe (IMA), a annoncé vendredi l’institution, dans un communiqué.

    Le Haut conseil de l’IMA qui rassemble tous les ambassadeurs des pays arabes, puis le Conseil d’administration se sont réunis dans la matinée à Paris.

    « Jack Lang a été reconduit à l’unanimité par le Conseil d’administration », a précisé le communiqué. Le Conseil, dans lequel un plus grand nombre de femmes font leur entrée, a aussi nommé un nouveau bureau comprenant six membres.

    https://www.imarabe.org/fr/actualites/l-ima-au-jour-le-jour/2020/jack-lang-reconduit-comme-president-de-l-institut-du-monde
    06/03/2020

    M.Lang s’agite depuis plusieurs mois pour bénéficier d’un autre renouvellement et il semble que l’Etat français a cédé devant l’insistance indécente de cette personne âgée de 83 ans, les cheveux noirs de teinture (sauf le bout de ses pattes où il laisse apparaître un peu de blanc…), qui s’estimait indispensable à l’avenir de l’IMA qu’il préside déjà depuis déjà plus de dix ans, sans avoir démérité d’ailleurs. De quels moyens de persuasion, voire de pression, peut disposer un cacique socialiste de 83 ans, sur le retour, pour imposer sa personne à l’Etat ? C’est un mystère ! La République ne peut-elle imposer un nécessaire renouvèlement et rajeunissement pour nommer les titulaires à ce genre de maroquins ?

    A priori non, et c’est là un des drames français, pas le plus grave, bien sûr, des multiples maux qui font régresser le pays, mais symbolique de l’inertie et de l’immobilisme qui rongent la République. Le plus troublant dans cette affaire est que ce type de problème est facile à régler, il suffit de shooter sur un marronnier du Vème arrondissement pour qu’en tombent une multitude de candidats tout aussi compétents, sortis des meilleurs écoles, arabisants, acceptables pour les administrateurs de l’Institut, et avec 40 années de moins. Eh bien non, on préfère renouveler un vieillard qui a déjà servi plus de 10 ans à ce poste pour d’obscures raisons de copinage ou de crainte de polémiques en une période qui n’en manque pas.

    Déprimant !

    Lire aussi :

  • « Forever Sixties, l’esprit des années 1960 dans la Collection Pinault » au Couvent des Jacobins à Rennes

    « Forever Sixties, l’esprit des années 1960 dans la Collection Pinault » au Couvent des Jacobins à Rennes

    François Pinault, citoyen breton, capitaine d’industrie, collectionneur d’art contemporain compulsif, a ressorti de ses innombrables collections ce qui se rapprochait des années 1960 pour les exposer au Couvent des Jacobins de Rennes, par ailleurs magnifiquement rénové. L’exposition s’organise autour d’un cloître extérieur transformé pour l’occasion en salle de musique dans laquelle passe la bande son des années 1960 dont les visiteurs peuvent profiter bien installés au fond de transats multicolores. La setlist est composée par Etienne Daho, rennais d’adoption et enfant de ces années.

    Les salles présentent une classique succession des artistes de l’époque du Pop art, connus et moins connus : Andy Warhol, Gilbert & George, Richard Avedon, Richard Prince, Niki de Saint Phalle, mais aussi des artistes français, dont Martial Raysse. Toute ce petit monde surfe sur le consumérisme et ses couleurs vives, l’image des femmes véhiculées par la publicité, l’association de la photo publicitaire, de collages, de la sérigraphie… et, surtout, de la diffusion en masse à travers les magazines, le cinéma, la télévision. Raysse dira :

    Les Prisunic sont les nouveaux musées de l’art moderne.

    Sur fond du festival de Woodstock, de la conquête de la Lune et de la libération sexuelle, c’est l’explosion de ces nouvelles images mises parfois aussi au service des luttes pour la décolonisation, pour les droits civiques aux Etats-Unis, contre la guerre du Vietnam. Ce sont aussi les images qui marquent le début de la fin de l’American dream et un atterrissage parfois rude sur la réalité.

    « Belles des nuages » – Martial Raysse

    Un beau moment à passer au Couvent des Jacobins.

    Dans la boutique de l’exposition trône toute la littérature underground : Guy Debord (« La Société du Spectacle » – 1967), Edgard Morin (« Journal de Californie » – 1970), James Balwin et bien d’autres.

  • de SAINT-PHALLE Niki, ‘ Mon secret’.

    de SAINT-PHALLE Niki, ‘ Mon secret’.

    Sortie : 1994, Chez : des Femmes / le rayon blanc (réédition 2023)

    Niki de Saint-Phalle (1930-2002) est une artiste franco-américaine, plasticienne-peintre-graveuse-sculptrice-réalisatrice, rendue célèbre, notamment, par ses sculptures « Nanas », sorte de poupées géantes aux couleurs chamarrées et aux représentations naïves.

    Lorsqu’elle avait une dizaine d’années, donc dans les années 1940, elle a été violée par son père et ne s’est jamais vraiment remise de ce drame intime qu’elle a gardé pour elle, malgré nombre de cures psychiatriques et de dépressions profondes. En 1992 elle se résous à écrire (et publier) cette lettre à sa fille Laura pour lui révéler ce crime commis par son grand-père.

    Le texte manuscrit est imprimé comme tel, en grandes lettres rondes avec des ratures et des fins de phrases débordant verticalement sur les côtés. C’était un été en Nouvelle Angleterre près de New York. Il y avait des serpents dans le jardin auxquels il fallait faire attention. Et il y avait surtout ce père séducteur, citoyen respectable et moraliste, qui commit l’irréparable. Niki s’est soudain retrouvée ballotée entre l’amour pour son père et la haine qu’elle éprouvait pour cet acte. Elle ne voulait pas le dénoncer pour ne pas le perdre… Même le psychiatre qu’elle visitât après sa première dépression à 20 ans ne voulut pas la croire.

    Bien plus tard en 1973 elle a réalisé le film « Daddy » évoquant ce traumatisme. Dans la même période elle eut l’occasion d’aborder ce sujet avec sa mère pour découvrir qu’elle était au courant car son mari lui avait avoué. Elle demanda à sa mère de ne jamais voir le film et cette dernière respecta son vœux.

    C’est une histoire d’inceste au cœur d’une famille bourgeoise et cultivée, tragiquement banale, comme il doit en exister tous les jours et que Niki de Saint-Phalle a su narrer à sa fille avec des mots simples et touchants, lui permettant ainsi de mieux comprendre le parcours de sa mère dont cet inceste subi dans sa plus tendre enfance est certainement l’un des fils conducteurs, hélas ! Dans ses dernires lignes elle regrette de n’avoir pas pu lui en parler alors qu’elle était adolescente, pour la protéger.

    NB : elle ne parle pas de son patronyme si étonnant et sans doute difficile à porter. Certainement ses psychiatres y auront vu des liens avec l’évènement.

  • JéGOU Valérie, ‘ Le Yaudet – Autobiographie d’un village du Trégor (1914-1945)’.

    JéGOU Valérie, ‘ Le Yaudet – Autobiographie d’un village du Trégor (1914-1945)’.

    Sortie : 2014

    Valérie Jégou est l’arrière petite-fille d’Alexandre Le Tourneur dit « Zanté », pêcheur à la fin du XIXème siècle dans un petit village breton des Côtes du Nord, Le Yaudet, donnant sur la baie de Lannion, à l’entrée de l’estuaire du Léguer. Voyant la roue tourner, elle décide d’interroger les anciens sur la vie « d’avant » dans ce petit coin de l’Ouest. Cela donne ce charmant livre dans lequel sont restitués les interviews de ces personnages truculents, illustré de photos et cartes postales d’époque.

    Ce sont les thèmes de la vie courante qui sont abordés sur la période 1914-1945 : l’habitat extrêmement modeste, l’école, la langue bretonne défendue par le curé, l’agriculture, la pêche, l’embarquement au long cour des hommes pour gagner de l’argent, les bistrot-hôtels, l’arrivée du tourisme avec les congés payés de 1936, la religion et les injonctions du curé, l’arrivée de l’électricité en 1930, celle de deux lignes de téléphone pour le village à la même époque, etc.

    Et puis bien sûr, la mer est présente à toutes les pages. Le Yaudet contrôle l’entrée vers le port de commerce de Lannion et dispose d’un poste de douane. Les bateaux anglais s’y arrêtent avant de remonter le Léguer et, en attendant la marée, les marins montent au bistrot du Yaudet pour boire un coup.

    Voir aussi : Le Yaudet

    Le livre montre un petit peuple pugnace, accroché à ses traditions et ses rochers bretons, menant une vie austère mais joyeuse. Avant la seconde guerre mondiale la Bretagne était une région délaissée par Paris, à la limite du sous-développement. Les choses ont bien changé aujourd’hui, la péninsule a rattrapé son retard à marche forcée mais ses natifs restent un peuple attachant, forgé par la mer et ses paysages éblouissants.

  • Jean-Louis Murat est mort

    Jean-Louis Murat est mort

    Le musicien français Jean-Louis Murat (1952-2023) est mort ce 25 mai à l’âge de 71 ans. Rocker bougon et poète, il était fermement attaché à son Auvergne natale où il réside et enregistre ses disques. Ses textes sont empreints de poésie et sa musique souvent originale, empruntant parfois des voies électro intéressantes.

    Lire aussi :

  • « L’amour et les forêts » de Valérie Donzelli

    « L’amour et les forêts » de Valérie Donzelli

    L’histoire d’un couple, commencé dans l’amour fou, se terminant dans la violence, puis devant le juge. Tout avait pourtant bien commencé : rencontre dans une soirée, premier enfant, mariage suivi d’un second enfant… Mais le mari, sorte de gendre idéal manœuvre pour éloigner sa femme Blanche de sa famille normande et de sa sœur jumelle Rose qui avait déjà pressenti que quelque chose ne tournait pas rond avec ce mari.

    La suite révèle ce dernier jaloux, possessif et violent. Le film montre cette dérive et l’enfermement dans lequel sombre Blanche, coincée avec ses deux enfants dans l’Est de la France, effrayée par le comportement de son mari dont elle découvre progressivement les errements. Cela ira jusqu’à une tentative de suicide dont elle se relèvera avec l’aide de sa jumelle qui montera sa fuite et celle de ses enfants pour un retour en Normandie. Blanche reverra son mari au tribunal devant lequel la réalisatrice laisse de spectateur inventer la fin.

    C’est un film sur l’enfermement de la femme dans la spirale de violence où peut l’entraîner un mari à la dérive. La séparation n’est pas dilemme facile à trancher lorsqu’on ignore jusqu’où peut aller ce conjoint et que deux enfants et une situation professionnelle sont également en jeu. Le comportement pathologique de ce mari est minutieusement décrit et doit s’approcher de la réalité de bien des couples dévastés par la violence. A la fois charmeur et dramatiquement possessif, après chaque éclat il tente de se faire pardonner de sa femme à laquelle il est désespérément attaché. Le scénario montre qu’elle n’est pas dupe et n’a plus d’espoir de le voir s’amender positivement tant il est incapable de contrôle sur lui-même. Un excès qui relève de la médecine psychiatrique ou d’une cure psychanalytique, plus que d’une énième réconciliation. Elle n’est manifestement pas tombée sur le bon numéro et ne sait comment s’en sortir.

    Le combat féministe est loin d’être gagné si l’on en juge par le nombre de féminicides et de violences conjugales constatés chaque année en France. La très grande majorité de ces violences est exercée par l’homme sur la femme, et non l’inverse ; sans doute le fruit de millénaires de patriarcat menés par une société machiste et satisfaite d’elle-même, sous le regard bienveillant des religions. Ce film apporte son écot à une meilleure compréhension de ce phénomène destructeur. Il est bienvenu.

  • « L’Île rouge » de Robin Campillo

    « L’Île rouge » de Robin Campillo

    Campillo a réalisé en 2017 le film-choc : 120 Battements par minute, sur le combat mené par l’association Act-up pour la reconnaissance de la maladie du Sida et l’accélération de la recherche en vue de traitements efficaces. Avec LÎle rouge il présente un film plus intimiste sur les années 1970 dans une base militaire française à Madagascar dix années après l’indépendance de l’île, ex-colonie française.

    La petite communauté militaire française mêle des acteurs de la période coloniale française : pieds noirs, anciens des guerres d’Indochine ou d’Algérie, ils ont tourné dans les différentes bases militaires que la Paris a conservé sur les territoires décolonisés. Ils ne sont pas foncièrement mauvais mais n’ont pas encore complètement tourné la page d’une puissance française passée. Ceux qui ont connu l’expatriation en Afrique reconnaîtront dans ce film les petites choses qui émaillèrent leur vie protégée sous les tropiques : les boys, les amours à la dérive, les coups d’Etat locaux et les uniformes français ! Un film dispensable mais agréable.

  • « Vermeer, la plus grande exposition » au cinéma

    « Vermeer, la plus grande exposition » au cinéma

    L’exposition Vermeer au Rijksmuseum d’Amsterdam était à peine en train de se terminer au printemps 2023 qu’un film sur l’exposition était diffusé dans les salles. Les tableaux présentés sont magnifiquement filmés, vues d’ensemble comme gros plans sur les détails. Les commentaires et explications des spécialistes du peintre néerlandais du XVIIème siècle (1632-1675) et des commissaires de la rétrospective éclairent intelligemment le spectateur.

    On se laisse aller à plonger dans cette superbe transcription d’une époque passée des Pays-Bas et de ses habitants. Vermeer fut le peintre d’une quarantaine d’œuvres, seulement, mais chacune d’elle est éclairée d’une lumière qu’il sait rendre de façon magique et sophistiquée donnant une apparence très caractéristique à ses couleurs. Voir la peinture au cinéma est une bonne idée, d’ailleurs le petit cinéma de quartier où le film était présenté en matinée ce dimanche était complet.

  • « Basquiat x Warhol, à quatre mains » à la fondation Louis Vuitton

    « Basquiat x Warhol, à quatre mains » à la fondation Louis Vuitton

    1983, New York, la Factory d’Andy Warhol (1928-1987) a déménagé, le Velvet Underground a raccroché des guitares depuis longtemps, Basquiat (1960-1988) a transformé la culture populaire du graffiti mural en une explosion de peinture magistrale, il rencontre enfin Warhol qui l’a toujours profondément inspiré. Une génération les sépare et ils décident de travailler ensemble sur des toiles gigantesques. Ils en produiront 160. Les locaux de la Factory, vides, sont encore disponibles et servent d’atelier à la mesure des ambitions de nos deux compères qui partageait les services du même marchand d’art. La fondation Louis Vuitton expose le résultat de ce travail dans onze salles déployées sur trois étages.

    Leur méthode est détaillée : Andy démarrait la toile en y inscrivant un élément d’actualité ou une marque commerciale, sérigraphiée ou peinte (ce travail à quatre mains l’a fait revenir à la peinture), sur laquelle intervenait ensuite Basquiat avec, généralement, ses thèmes favoris : ses origines africaines (haïtiennes en fait) illustrées par des masques d’homme noir, des mots raturés, des nombres, des prix en $, des instruments de musique… Les premières toiles exposées sont également cosignées par le peintre italien Francesco Clemente, acteur de cette période new-yorkaise débridée et créative.

    Jean-Michel Basquiat et Andy Warhol, 6,99, (1984)

    Les conceptions du monde l’art des deux artistes s’affrontent, Warhol sans doute plus impliqué dans le business joue avec les marques quand Basquiat les conteste. Ils dialoguent et se répondent par pinceaux et couleurs interposés. Ils se portraiturent l’un-l’autre, l’un avec l’autre, jouant avec les symboles qu’ils ont contribué à créer. Warhol est décliné à plusieurs reprise mêlé à la fameuse banane dessinée pour la couverture du premier album du Velvel Underground. On se croirait dans un article du Village Voice.

    Les toiles à deux sont immenses, à la fois infantiles et complexes, aux couleurs vives. A première vue elles ressemblent à du Basquiat tant son dessin est caractéristique mais l’intervention de Warhol, généralement plus discrète, est aussi notable. Il faut se perdre dans les détails quand le regard veut prendre du recul, fasciné par l’ensemble coloré éclatant. Les deux artistes ont fait preuve d’une incroyable productivité et une exposition sera montée à New York en 1985 avec une (petite) partie de ces créations et dont l’affiche est celle des deux boxeurs, reprise par la fondation Louis Vuitton près de quarante années plus tard. Ces tableaux réjouissent le visiteur tant ils sont représentatifs du foisonnement de l’art à New York à cette époque, sous toutes ses formes. Ce fut une véritable explosion de créativité dans laquelle ces deux là ont pris une place de choix.

    La mort inattendue de Warhol en 1987 surprend et peine son premier admirateur qui a su s’émanciper du maître avec beaucoup de talent. Il produit une installation en sa mémoire : « Gravestone », une porte beigne sur laquelle est incrit deux fois la mention « Perishable », entourée de chaque côté de deux petits panneaux joints à la porte par des charnières, une croix et une fleur sur celui de gauche, un masque africain sur celui de droite. Hélas, Basquiat lui succédera dans l’au-delà un an plus tard. Il reste leurs œuvres, sublimes !

    La fin de l’exposition revient justement sur l’atmosphère de ces années 1980 avec moulte photos où l’on reconnait, outre Warhol et Basquiat, les acteurs de la scène artistique du downtown new-yorkais de ce temps : Keith Haring, David Hockney, William Burroughs, Timothy Leary, mais aussi Brian Ferry, Madonna, Grace Jones, Nick Rhodes et Simon Le Bon (du groupe Duran Duran), Julian Schnabel… On se croirait dans un article du Village Voice.

    Keith Haring & La II (1987)

    Une dernière vidéo montre les deux artistes, émouvants, Basquiat aux cheveux courts lui donnant un air adolescent, Warhol, énigmatique et souverain, posant des questions absurdes à son « élève qui l’a dépassé [en $] » et qui y répond dans de grands éclats de rire.

    Lire aussi : Basquiat-Shiele à la Fondation Louis Vuitton

  • LONDON Arthur, ‘L’Aveu 1/2’.

    LONDON Arthur, ‘L’Aveu 1/2’.

    Sortie : 1968, Chez : Editions Gallimard.

    Arthur London (1915-1986) fut un militant et homme politique tchécoslovaque qui connut le parcours classique des engagés communistes de l’époque et fut victime du « procès de Prague » en 1952. Il signe des aveux de « conspiration contre l’Etat » arrachés sous la torture. Condamné à la prison à perpétuité il sauve sa tête, ce qui ne fut pas le cas de onze de ses treize co-accusés qui furent exécutés. Il est réhabilité et libéré en 1956. Il s’exile alors en France avec sa famille, sa femme étant une communiste française.

    Dans « L’Aveu » London revient sur l’incroyable mécanisme des purges communistes du XXème siècle consistant à broyer les militants que l’on veut éliminer sur la base de leurs propres aveux, extorqués par les pires méthodes et reposant, dans la majorité des cas sur une reconnaissance de « culpabilité » totalement fictive. Inspiré des purges staliniennes des années 1930, le procès de Prague permit au président Gottwald de se débarrasser de ses principaux opposants avec l’aide idéologique de conseillers soviétiques.

    London s’engage dans le communisme dès son adolescence et est d’ailleurs emprisonné dans les années 1930 par le régime libéral en place à l’époque car il a participé à la création du parti communiste tchécoslovaque. Entré dans la clandestinité il rejoint Moscou (le pays du bonheur communiste, de « l’homme nouveau » et de « l’avenir radieux »), participe à la guerre d’Espagne dans les brigades internationales, entre dans la résistance en France durant la deuxième guerre mondiale, est déporté à Mauthausen (il est de confession juive), revient en Tchécoslovaquie après la guerre où il est nommé vice-ministre des affaires étrangères avant d’être « purgé » par le régime en 1952 puis réhabilité en 1956. Les autres accusés furent également réhabilités, mais un peu tard pour onze d’entre eux qui avaient été exécutés par le régime.

    La description du régime judiciaire et carcéral en vigueur contre les « traîtres à la patrie » est édifiante. L’obsession développée par les « référents » pour obtenir des « aveux » des accusés est terrifiante et se traduit par des mois, parfois des années, d’interrogatoires, d’auto-accusations, de trahisons, de procès-verbaux pour arriver à la version qui correspond au désir du parti. Le plus souvent, épuisés moralement et physiquement, les accusés cèdent et finissent par signer n’importe quoi pour mettre fin à leur calvaire. La seule différence entre eux réside dans le temps qu’ils mettront avant d’abdiquer de la vérité.

    Mais le plus monstrueux dans tout le processus est l’espèce de « foi communiste » qui ne s’éteint jamais, même au pire des accusations mensongères. Arthur London lui-même continue à annôner que si le parti, « qui ne peut pas se tromper », le soupçonne de complot contre l’Etat c’est qu’il doit bien être coupable de trahison, même s’il ne s’en aperçoit pas. Sa femme française, fille de communistes, elle-même communiste pure et dure écrit à son mari (dans une lettre qui ne lui sera communiquée qu’après ses « aveux ») :

    J’avais une telle confiance en toi, mon Gérard. Est-il possible que tu en étais indigne ? Je t’aime Gérard, mais tu sais qu’avant tout je suis communiste. Malgré mon immense douleur, je saurai t’arracher de mon cœur si j’ai la certitude de ton indignité.

    En t’écrivant ces mots, je pleure comme une Madeleine, nul mieux que toi ne sait combien je t’ai aimé, combien je t’aime. Mais je ne puis vivre qu’en accord avec ma conscience. »

    Comme London fut condamné par la justice du parti, il était donc coupable aux yeux de son épouse qui demanda le divorce avant d’annuler sa demande après la réhabilitation de son mari par le parti. Le parti ne peut pas se « tromper » ! C’est sans doute la plus grande réussite du monde communiste au XXème siècle : avoir réussi le plus étrange et pernicieux lavage de cerveaux de toute l’histoire de l’humanité. « L’aveu » en est un des innombrables récits et fut mis en image par Costa-Gavras. Yves Montand et Simone Signoret y jouaient le couple London, ce qui ne manque pas d’ironie quand ont sait que les deux acteurs furent également victime de l’illusion du communisme avant de revenir sur leur engagement.

    Lire aussi : « L’Aveu » de Costa-Gavras (1970)