Maintes fois annoncée, toujours retenue, l’invasion du nord de la Syrie par l’armée turque a débuté cette semaine, appuyée par des supplétifs locaux, plus ou moins islamistes. Le motif officiel est de sécuriser sa frontière sud où, coté syrien, existent des organisations kurdes considérées par Ankara comme ennemi intime depuis des décennies. Officiellement le gouvernement turc souhaite également réinstaller au nord de la Syrie les 2 à 3 millions de réfugiés syriens accueillis sur son sol.
Le chaos syrien s’aggrave, personne ne sait vraiment comment va évoluer la situation que l’Occident a échoué à régler. Ce pays déchiré est maintenant laissé à la dérive avec de nouveaux alliés que sont la Russie et l’Iran. La Turquie s’installe dans sa partie nord et il n’est pas dit que le gouvernement syrien y soit véritablement opposé puisqu’il s’agit de combattre les kurdes, pas vraiment pro-régime syrien.
Les forces kurdes ont mené la plus grande part des combats au sol contre le groupe Etat islamique, les forces de la coalition internationale restant essentiellement aériennes. Elles détiennent toujours un certain nombre de terroristes de ce groupe dont beaucoup sont des étrangers (on parle de plusieurs centaines de français) que leurs gouvernements respectifs rechignent à récupérer. Le risque est aussi de les voir s’égayer de nouveau dans la nature, à moins que les forces turques ne récupèrent la gestion des camps dans lesquels ils sont détenus ?
Les organisations kurdes crient à la trahison des occidentaux qui laissent la Turquie venir les combattre sur le terrain syrien. Les alliances se font et se défont ! L’Histoire hélas est riche en abandon : les harkis laissés en Algérie lors du retrait de la France, les sud-vietnamiens laissés par les américains en 1973 après les accords de Paris, etc. Lorsqu’une force étrangère s’installe dans un pays, pour une bonne ou une mauvaise raison, elle va bien en partir un jour et ceux qui ont « collaboré » avec elle auront sans doute des comptes à rendre s’ils restent dans ledit pays. C’est ce qui est en train de se passer au nord de la Syrie en cours d’évacuation par les forces occidentales.
On peut toutefois gager que les forces turques vont en partir un jour, peut-être plus tôt qu’elles ne pensent elles-mêmes d’ailleurs. Tous les éléments d’un profond chaos sont en mis en œuvre pour remplacer l’équilibre, certes instable, qui subsistait avec la présence de quelques centaines de soldats occidentaux dans cette région qui empêchait les nombreuses autres forces belligérantes de trop tenter le diable. Aujourd’hui la Turquie envahit un Etat étranger avec en plus l’appui de milices plus ou moins locales, plus ou moins religieusement fanatisées. Tout ceci fleure bon les règlements de comptes à l’horizon et, à tout le moins, la poursuite de cette tragique guerre civile en Syrie avec l’arrivée officielle d’une nouvelle armée qui jusque-là n’agissait qu’en sous-main. Il y aura forcément des retournements de vestes, des attentats contre l’armée turque, voir contre des civils en Turquie même, des réactions et contre-réactions. L’histoire ne fait que commencer.
Devant ces bruits de bottes on frémit en se rappelant que la Turquie est membre de l’alliance occidentale OTAN et dispose sur son territoire d’armes nucléaires américaines. Après avoir envahi Chypre, un pays membre de l’Union européenne, qu’elle occupe toujours, voici maintenant Ankara envahissant la Syrie. En tant que membre de l’OTAN, la Turquie bénéficie de la clause de solidarité qui veut que les pays de l’Alliance soient engagés à se défendre les uns les autres en cas d’attaque de l’extérieure. Cela veut dire que si la Syrie (ou ses alliés) voulant défendre son territoire ripostait contre Ankara, les pays membres pourraient être appelés à la rescousse.
L’Orient est décidemment très compliqué !