Bruce Springsteen & The E-Street Band – 2023/05/15 – Paris Défense Arena

Bruce Springsteen et les 17 musiciens du E-Street Band ont asséné un coup de massue aux 40 000 spectateurs de la Défense Arena ce soir pour le deuxième concert parisien de leur tournée mondiale. La dernière fois que ce groupe de légende et son leader de fer étaient passés par Paris remonte à 2016. A 73 ans, Bruce ne lâche pas l’affaire, continue à sortir des disques (en solo ou avec le E-Street Band), à faire des tournées internationales et, surtout, à déclencher le même déchaînement d’affectueuse reconnaissance de ses fans à travers le monde entier.

Lire aussi : Bruce Springsteen & The E-Street Band – 2016/07/16 – Paris Bercy

Ce soir n’a pas dérogé à la règle maintenant bien établie depuis le début des années 1970, les débuts du groupe et la sortie son premier album : Greetings from Asbury Park, N. J.. Seule la taille des salles les accueillant et la composition de la bande a évolué vers le toujours plus grand.

Après le décès de deux membres fondateurs, Clarence Clemons, saxophoniste, en 2011 et Danny Frederici, claviériste, en 2008, tous amis très proches de Bruce, le groupe a été étoffé d’une section cuivre, dont Jack Clemons, neveu de Clarence, au saxophone et de choristes. Ce soir c’était 17 musiciens qui œuvraient sur scène pour encadrer Bruce et cela fait tout de même beaucoup de monde.

« One-Two-Three-Four »

Les lumières s’éteignent à 19h15 pour laisser entrer les musiciens qui montent, un par un, un escalier violemment éclairé pour atteindre la scène gigantesque, les images retransmises sur trois vastes écrans, déclenchant un hourvari grandissant des spectateurs, Springsteen arrivant le dernier dans un tonnerre d’acclamations. Ne perdant pas trop de temps à cultiver les applaudissement, Bruce n’a jamais le temps, il démarre le show sur My Love Will Not Let You Down et ne l’arrêtera que 3 heures plus tard, sans un instant de respiration, les notes finales d’un morceau devenant celles lançant la chanson suivante, lancée par les classiques « One, Two, Three, Four ». My Love est une chanson datant des années 1980 jouée plutôt rarement sur scène ; une excellente façon de démarrer cette soirée dont la setlist réservera d’autres surprises. Il enchaîne ensuite sur Death to My Hometown le single de Wrecking Ball sorti en 2012, reconnaissable à sa rythmique celtique jouée avec ardeur par les cuivres.

Sur No Surrender Steve arbore une guitare décorée aux couleurs bleu et jaune du drapeau ukrainien :

Blood brothers in the stormy night with a vow to defend
No retreat, baby, no surrender

There’s a war outside still raging
You say it ain’t ours anymore to win
I want to sleep beneath peaceful skies
In my lover’s bed
With a wide open country in my eyes
And these romantic dreams in my head

Because we made a promise we swore we’d always remember
No retreat, baby, no surrender
Like brothers in the stormy night with a vow to defend
No retreat, baby, no surrender
No retreat, baby, no surrender

Régulièrement Bruce hurle « Come on Steve » et son vieux compère vient reprendre les refrains au même micro, à l’octave au-dessus, d’une voix un peu nasillarde, la tête toujours couverte d’un foulard-bandana, les oreilles décorées de plumes accrochées à des boucles, portant d’improbables costumes moitié-pirate, moitié-pacha ottoman, des bottes effilées à bouts (très) pointus et aux reflets argentés, ses guitares décorées de motifs cachemire plutôt originaux. Steve Van Zandt, le vieux pote du New Jersey, qui a déserté le E-Street Band quelques mois avant d’y redevenir le pilier qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être.

Le sombre Darkness on the Edge of Town vient calmer quelque peu l’ouragan qui fait rage dans l’Arena, extrait du disque du même nom, sorti en 1978, sans doute le meilleur de tous, dont est extrait également l’inégalable Badlands qui clôture le premier set du show.

Il y en a pour tous les goûts

Deux reprises (les Comodores [où a chanté Lionel Richie] et The Weavers [fondés par Pete Seeger]) donnent lieu, peut-être, à quelques longueurs durant lesquelles les cuivres sont en démonstration. Evidemment les vieux fans préfèrent la formation initiale du E-Street Band dans laquelle seul Clarence Clemons assurait les cuivres avec son sax, et il n’y avait pas de choristes. Aujourd’hui le groupe tourne parfois un peu au brass band de la Nouvelle Orléans s’éloigant de l’esprit rock d’origine. Tous ces musiciens ajoutés ne sont pas présents sur la scène pour tous les morceaux. Il y en a ainsi pour tous les goûts. C’est aussi bien.

Last Man Standing est jouée par Bruce seul à la guitare acoustique avec seulement un déchirant solo de trompette au milieu. Springsteen explique en introduction (traduite en français sur les écrans) qu’il a écrit cette chanson après la mort de son ami George Theiss : « En 1965 il m’a fait intégrer mon premier groupe de Rock & Roll, The Castiles. Il sortait avec ma sœur et c’est très bien ainsi. Il a transformé ma vie pour toujours et maintenant je suis le dernier survivant de ce groupe. La mort offre aux survivants une vision élargie de la vie elle-même. Cela m’a permis de saisir à quel point il est important de vivre chaque instant. Alors soyez bons avec vous-mêmes, avec ceux que vous aimez et envers ce monde dans lequel nous vivons. »

Born to Run

Lorsque Springsteen entame une chanson au micro, il se débarrasse de sa guitare en la balançant à un roady en fond de scène dix mètres plus loin. Dans la brulante urgence qui saisit le concert, il n’a pas le temps de la déposer sur un support, les musiciens ont déjà lancé l’intro. Bruce n’a jamais le temps, « Born to run » est la devise ! Ce soir en tout cas le roady a réceptionné les guitares sans casse à chaque envoi…

L’indestructible Roy Bittan, le seul non vêtu de noir mais d’une veste en cuir marron, entame l’intro de Because the Night, une ode à l’amour et à la jeunesse, coécrite en 1978 par Bruce et Patti Smith. Le pianiste virtuose apporte une touche particulière à l’atmosphère musicale du groupe. Il est plutôt rare de voir un piano à queue sur une scène rock mais en martelant ses accords sur les touches de son piano il enrichit l’électricité des guitares. Un cocktail parfait. Nils Lofgrens effectue un magnifique et original solo sur ce morceau. Il joue avec un onglet au pouce droit ce qui donne une allure particulière à son jeu de main. De petite taille il ressemble un peu au fou du roi : chapeau rond en cuir noir, tunique noire décorée de motifs blancs dans le bas, des morceaux de tissus sont accrochés au manche de sa guitare et volètent au fur et à mesure du jeu.

La première partie se termine sur un Badlands enfiévré repris en chœur par des gamines de 17 ans pour un morceau écrit 40 ans avant leur naissance…

Badlands, you gotta live it everyday
Let the broken hearts stand
As the price you’ve gotta pay
We’ll keep pushin’ till it’s understood
And these badlands start treating us good

Un diabolique enchaînement

Les dix-huit musiciens se réunissent sur le devant de la scène pour saluer, ne prennent même pas la peine de réintégrer les coulisses et repartent d’un seul homme sur leurs instruments pour les rappels avec un diabolique enchaînement de Born in the U.S.A./ Born to Run/ Bobby Jean/ Glory Days/ Dancing in the Dark. L’audience hurle, saute, trépigne, chante, déborde de bonheur et l’arène de Nanterre rend les armes, estourbie et comblée.

Contrairement à l’habitude Bruce n’invite pas une spectatrice sur scène sur Dancing in the Dark, grosse déception dans les premiers rangs où manifestement toute une armada de jeunes filles se préparaient à ce quart d’heure de gloire dans les bras du « Boss ». De même, il ne propose pas à l’audience de demander des chansons particulières, généralement écrites sur un carton brandi devant la scène. Les cartons fleurissent mais sans succès.

Les dernières notes de Tenth Avenue Freeze-Out retentissent alors que les images-hommage de Clarence et Dany défilent sur les écrans. Bruce se tient ensuite en haut de l’escalier et salue chacun de ses musiciens qui le redescendent, fourbus, débordant de bonne humeur, manifestement heureux de cette nouvelle messe rock célébrée à Paris. Le dernier à passer est Jack Clemons qui échange une longue accolade avec le Boss. C’est le neveu de son ami Clarence qui a tant donné au E-Street Band. Sans doute une relation filiale qui perdure…

« The E-Sreet Band loves you Paris »

Et Springsteen revient sur scène avec sa guitare acoustique pour une émouvante interprétation de I’ll See You in My Dreams, précédé d’un « on vous aime Paris » ! Une chanson douce et mélancolique de 2020 sur l’ami qui est mort mais dont on a gardé les disques et la guitare et qu’on reverra dans nos rêves pour vivre et rire ensemble, encore, car « la mort n’est pas la fin ».

D’origine irlandaise par son père, italienne par sa mère, Bruce Springsteen a su capter comme aucun les humeurs et la vigueur de l’Amérique. Avec son incroyable et unique bande de copains-musiciens il délivre la puissance dont son pays est capable, avec ses mots simples il illustre la sensibilité des histoires de tout le monde. Sa voix rocailleuse soulève les âmes et les foules. Lorsqu’il chante les veines de son front se gonflent sous la tension, les jugulaires strient le cou, les rides sur ses joues s’étirent, ses yeux se plissent de joie et, le plus souvent, un rire éclatant illumine son visage rayonnant.

Une légende vivante

Alors bien sûr, à 73 ans les thèmes abordés tournent un peu à la mélancolie, mais qu’il parle d’histoires d’amour adolescentes, de vétérans de la guerre du Vietnam, des usines qui ferment, des Twin-Towers qui s’effondrent, des amis qui disparaissent, il le fait avec le feu et la tendresse qui lui valent le respect de tous, depuis plus de 50 ans.

On ne sait pas bien quand Springsteen raccrochera ses guitares, sans doute jamais, ce genre d’artistes meure sur scène même si on lui, et nous, souhaite encore de nombreuses années de musique. Mais quand on se retourne sur sa carrière, l’œuvre immortelle déjà laissée laisse pantois. Quand on l’entend asséner Born to Run avec la même énergie qu’il y a 50 ans : chapeau bas ! Et puis l’homme inspire aussi tellement de sympathie comme l’illustrent sa flamboyante autobiographie en 2016 « Born to Run », ses engagements politiques, sa prestation avec Pete Seeger pour chanter This Land is your Land sous la statue de Lincoln à Washington pour la première investiture du président Obama…

Bruce Springsteen, une légende américaine !

Setlist

My Love Will Not Let You Down/ Death to My Hometown/ No Surrender/ Ghosts/ Prove It All Night/ Darkness on the Edge of Town/ Letter to You/ The Promised Land/ Out in the Street/ Kitty’s Back/ Nightshift (Commodores cover)/ Mary’s Place/ Pay Me My Money Down (The Weavers cover)/ The E Street Shuffle/ Last Man Standing (acoustic, with Barry Danielian on trumpet)/ Backstreets/ Because the Night (Patti Smith Group cover)/ She’s the One/ Wrecking Ball/ The Rising/ Badlands

Encore : Born in the U.S.A./ Born to Run/ Bobby Jean/ Glory Days/ Dancing in the Dark (followed by band introductions)/ Tenth Avenue Freeze-Out (pictures of Danny Federici… more)/ I’ll See You in My Dreams (solo acoustic)

Composition du groupe ce soir

4 historiques  

1 guitariste (Steve Van Zandt), 1 bassiste (Garry Talent), 1 batteur (Max Weinberg), 1 pianiste (Roy Bittan),

13 plus récents

1 guitariste (Nils Lofgrens qui joue aussi dans le groupe de Neil Young Crazy Horse, presque désormais devenu « historique »), 1 clavier (Charles Giordano), 1 violoniste/guitariste/choriste (Soozie Tyrell), 1 percussionniste, 5 cuivres (dont Jack Clemons devenu le clone instrumental de son père et avec un vague air de Laurent Voulzy en plus costaud), 4 choristes.

Patti Scialfa, Mme. Springsteen à la ville, choriste/guitariste, souvent présente sur les tournées n’est pas là ce soir.

Martha Argerich et Lahav Shani au Festival de Pâques d’Aix en Provence

Merveilleux concert pour les deux pianos de Martha Argerich et Lahav Shani : Prokoviev et Rachmaninov, des œuvres un peu virtuoses, mais surtout Ravel sublimement interprété dans « Ma mère l’Oye » et « La Valse » par Martha (81 ans) et le jeune et talentueux Lahav Shani de 34 ans. Lorsque, la main dans la main, souriants, ils saluent l’assistance il y a un peu du passage de relais entre ces deux pianistes. La légende argentine peut être rassurée sur la solidité de la génération qui suit.

Et pour ceux qui en douteraient, ils interprètent à quatre mains, pour l’un des bis, la symphonie des oiseaux de Saint-Saëns : bouleversant !

Programme

Sergueï Prokofiev (1891-1953), Symphonie n° 1 en ré majeur, op. 25 « Classique »

Sergueï Rachmaninov (1873-1943), Suite pour deux pianos n° 2, op. 17

Maurice Ravel (1875-1937), Ma mère l’Oye, La Valse

The Stranglers – 2023/03/12 – Paris l’Olympia

Toujours debout

Les Stranglers toujours debout, et même renouvelés ! Face à l’adversité quoi d’autre à faire que de continuer la route et la musique. C’est leur énième passage à l’Olympia et il n’est pas question de manquer la fête. Deux membres historiques sont morts ces derniers mois : Dave Greenfiels (claviers) terrassé par la Covid en 2020 (à 71 ans), Jet Black (batteur) emporté en 2022 (à 84 ans) après une longue vie ponctuée de divers excès. Avec Burnel (chant et bass) et Cornwell (chant et guitare, qui a quitté le groupe en 1990) ils étaient l’âme de ce groupe créé en 1976, devenu un sommet de la légende post-punk.

Autour de Jean-Jacques Burnel (JJ), jouent désormais Baz Warne (chant et guitare) qui a rejoint le groupe en 2000, Jim Macaulay qui était le roady batterie de Jet et qu’il a remplacé au milieu des années 2010 lorsqu’il n’a plus été en mesure de jouer sur les tournées, et, le petit nouveau, Toby Hounsham, 36 ans, excellent claviériste inspiré par Ray Manzareck (The Doors) et… Dave Greenfields depuis ses débuts. Il a enfilé le costume des Men in black, rehaussé de lunettes noires et il fait l’affaire « dans les chaussures » de son glorieux et créatif prédécesseur.

Lire aussi : https://thestranglers.co.uk/big-shoes-to-fill-toby-interview/

Dark Matters

Un nouveau disque est disponible au titre fort à-propos : Dark Matters. Dave a composé et joué ce disque avant de mourir.

Le concert démarre avec Toiler on the sea, Duchess et Sometimes, retour fringant sur le début des années 1970, interrompu seulement par JJ qui évoque le « massacre » (53-10) commis par les français cette après-midi contre leur meilleur ennemi au rugby, l’Angleterre dont est originaire ce groupe so british ! Mais qu’importe, le show continue sur une setlist classique ponctuée des dernières compositions.

« Ça dépote les géraniums », oreilles sensibles s’abstenir, nos quatre rockers s’en donnent à cœur joie. Cheveux gris, cheveux bruns, les musiciens ne comptent pas leur énergie. Mention spéciale pour Baz dont la voix grave et gouailleuse aligne les hits sans lâcher ses cordes. Il accompagne le tout de ses grimaces habituelles sous un crâne chauve et brillant. Sur Nice ‘n’ Sleazy, ses riffs à contre-temps et sa danse finale à côté de JJ, tous les deux accrochés à leur manche ils parcourent la scène synchronisés comme deux ballerines punk, un vrai délice !

Le pogo des fans fait trembler l’Olympia

Les nouvelles compostions tiennent la route et méritent manifestement d’être découvertes plus avant. Mais c’est encore sur Hanging Around, Something Better Change, Tank ou No More Heroes que le plancher et les murs de l’Olympia vibrent sous le pogo endiablé des fans heureux et déchaînés.

Sur The last men on the moon Baz abandonne sa Fender noire pour une guitare orange, on ne l’avait jamais vu se départir du noir, ni pour sa tenue, encore moins pour ses guitares. Pas sûr que l’audience ait noté une véritable différence dans le son produit.

Quelques chansons « douces » permettent au quatuor de retrouver son soffle : La Folie, Always the Sun… et il faut rappeler aux plus jeunes que malgré sa mélodie sucrée-tristoune Golden brown est une chanson sur la drogue… Tout le monde attend le bizut sur le solo clavier de Walk on by, son interprétation tend à la perfection en duo avec le solo de Baz sur cette sublime reprise de Burt Bacharach devenue un classique du groupe.

Pour le premier rappel JJ et Baz réapparaissent sur la scène assis sur des chaises de bistrot pour jouer en acoustique The Lines et And If You Should See Dave après une petite introduction dans laquelle JJ explique l’immense perte pour le groupe du décès de deux de ses membres fondateurs, et amis de si longue date. Heureusement il reste l’ami Baz pour JJ et ces deux-là continuent à faire prospérer l’âme et la musique des Stranglers.

And if you should see Dave
Say hello

I was meant to meet him here
Before the great beyond

And if you should see my friend
Say hello

Le concert se termine sur un No More Heroes joué par nos quatre guerriers sans peur et sans reproche qui se battent au service d’un rock éternel.

Jean-Jacques Burnel vient de publier sa biographie amsi ce groupe semble ne jamais devoir finir de nous réconforter, que Dieu les préserve !

Lire aussi : https://thestranglers.co.uk/jj-biography-out-now/

Setlist : Intro (Waltzinblack)/ Toiler on the Sea/ Duchess/ Sometimes/ Relentless/ Nice ‘n’ Sleazy/ This Song (Disciples of Spess cover)/ Never to Look Back/ Always the Sun/ La folie/ Peaches/ Golden Brown/ The Last Men on the Moon/ (Get a) Grip (on Yourself)/ Sweden/ White Stallion/ Walk On By (Burt Bacharach cover)/ Hanging Around/ Straighten Out/ Something Better Change/ Tank

Encore : The Lines/ And If You Should See Dave…

Encore 2 : Go Buddy Go/ No More Heroes

Morrissey – 2023/03/09 – Paris Salle Pleyel

Morrissey revient à Paris pour deux concerts Salle Pleyel les 8 et 9 mars. Après quelques shows récemment annulés pour cause d’épidémie, des difficultés avec ses maisons de disques pour ses deux dernières productions toujours attendues dans les bacs, rien de tel qu’une prestation live pour patienter.

Les spectateurs s’installent devant la scène minutieusement arrangée, pas un fil ne dépasse ! En fond, un grand écran affiche l’image fixe en gros plan de la tête d’un homme à la mine un peu patibulaire, pas rasé, un sparadrap collé sur sa pommette en sueur. A la place d’une première partie seront diffusés des films et images sans doute choisis par l’artiste. Et cela commence très fort par la célébrissime scène d’Apocalyspe Now lorsque les ballets d’hélicoptères américains partent à l’assaut d’un village vietnamien au bord d’une plage idyllique. La différence est qu’au lieu de la Walkyrie de Wagner qui, dans le film de Copola était diffusée depuis les hélicoptères, c’est le Search & Destroy (Iggy Pop & The Stooges, produit par Bowie) qui s’écoule des enceintes. S’en suivent une quinzaine de minutes où l’écran flashe d’apparitions diverses sur un fond musical de choix, pas toutes identifiables, mais où l’on reconnait James Baldwin, les Sex Pistols filmés en train de hurler Anarchy in the UK sur un bateau sur la Tamise en face de Westminster où la Reine est en train de fêter un jubilée en 1977, David Bowie, les New York Dolls…

Sans transition le groupe entre en scène à la fin du film, Morrissey habillé d’un élégant costume gris sur chemise blanche est accompagné d’Alan Whyte et Jesse Tobias aux guitares, Brendan Buckley à la batterie, Gustavo Manzur aux claviers et Juan Galeano à la bass.

Morrissey c’est d’abord une voix exceptionnelle, franche et profonde, ronde et veloutée, devenue un peu plus grave avec le temps, sans fioriture en excès, moitié rock-moitié crooner, une voix que l’on reconnaît entre mille et qui a fait une partie du succès du groupe The Smiths, puis dans sa carrière solo après la dissolution du groupe au mitan des années 1980. Morrissey c’est aussi un parolier tout britannique (il est né à Manchester) brossant un portrait sombre et teinté d’humour noir du monde dans lequel il évolue.

Il salue la salle d’un sonore « Voilà » avant d’entamer Our Franck, chanson d’ouverture de l’album Kill Uncle sorti il y a plus de 30 ans. Le son est fort, le compteur à côté de la table de mixage affiche 100 db, voire un peu plus, en permanence, mais tout est magnifiquement balancé. Le groupe est parfait, les guitaristes se donnent la main pour les solos. Le claviériste délaisse parfois ses touches pour s’emparer lui aussi d’une guitare. Nous sommes dans un groupe de rock, pas de techno… Les cordes sonnent clair, pas de distorsion, de fuzz, de trucs et de machins électroniques. Ça claque avec bonheur sous les doigts de vieux routiers des scènes du monde entier. Le groupe qui joue avec Morrissey depuis des années affiche une unité qui fait plaisir à entendre, c’est un pack de canonniers aux talents largement à la hauteur de celui du capitaine au long cours qu’ils servent.

L’écran diffuse toujours des images, pas toujours facilement interprétables, sans doute inspirées par l’âme tortueuse de Morrissey. Sur l’une des chansons il affiche son engagement végan et le film montre une corrida où les taureaux sont achevés au couteau dans d’insupportables convulsions, mais aussi des toréros se faisant embrocher par leurs victimes… D’habitude ces visions sanguinaires sont projetées sur Meat is Murder qui n’est pas au répertoire ce soir.

Morrissey est toujours impassible et plutôt froid en concert, quasiment jamais de sourire mais ce soir il parle un peu plus que d’habitude (ce qui n’est pas très compliqué), démarrant le show par un « I’m throwing my legs around Paris » en référence à la chanson I’m throwing my arms around Paris, il raconte même sa pérégrination à Pigalle hier soir après le concert de la veille. Comme toujours il chante avec un micro à fil et utilise ce fil comme un fouet avec lequel il lacère l’espace autour de lui.

Lire aussi : Morrissey, ‘Autobiography’.

Plus que ses maigres tentatives de dialogues sur scène ce sont ses textes qui sont véritablement intéressants. Ils se réfèrent au chaos de notre pauvre monde, à l’amour insaisissable, à l’amitié qui se dérobe, au désastre qui s’impose, aux relations humaines désespérantes, à la violence endémique des êtres et des choses, bref, ce n’est pas une vision très optimiste de la vie mais au moins est-elle inspirée. Les thématiques n’ont guère changé depuis The Smiths dont certaines chansons sont reprises ce soir :

Haven’t had a dream in a long time
See, the life I’ve had can make a good man bad
So, for once in my life, let me get what I want
Lord knows it would be the first time

[Please, Please, Please Let Me Get What I Want (The Smiths song)]

Comme la musique des Smiths, celle de Morrissey est harmonieuse mais ponctuée de changements de tonalité au milieu des morceaux, parfois élégamment dissonante et toujours agréable à l’oreille, sonnant souvent de façon inattendue. C’est la marque de ce grand musicien qui donne aussi ce caractère très original à son œuvre.

Pour le rappel, la bande revient interpréter Sweet and Tender Hooligan, une chanson datant des Smiths, Morrissey a remplacé chemise et veste par un T-shirt à son effigie. Il raconte l’histoire d’un « sweet and tender » hooligan qui tue un vieil homme puis une vieille femme, mais ce n’est pas grave car il était déjà malheureux et elle, âgée, serait morte de toute façon…

He was a sweet and tender hooligan, hooligan
And he said that he’d never, never do it again
And of course he won’t (oh, not until the next time)

Puis sur le final « etcetera, etcetera, etcetera » répété à l’infini il déchire son T-shirt, le roule en boule et le jette dans la foule et quitte la scène suivi par ses musiciens

Etcetera, etcetera, etcetera, etcetera
In the midst of life we are in debt, etc
Etcetera, etcetera, etcetera, etcetera
In the midst of life we are in debt, etc

Alors que les lumières se rallument on voit les vigiles intervenir pour mettre fin à une bagarre de fans se disputant les restes du T-shirt de Morrissey pendant que sur l’écran se répète sans fin le court film d’un personnage se tirant une balle dans la tête…

Le monde est absurde, certes, mais Morrissey sait si magnifiquement le mettre en musique ! D’ailleurs le titre de son album annoncé s’intitule : Without Music the World Dies et il nous a dit qu’on pourra le trouver, un jour, chez « Intermarché au fond d’un paquet de Cornflakes ».

Absurde vous dit-on, absurde !

Setlist : Our Frank/ I Wish You Lonely/ Stop Me If You Think You’ve Heard This One before (The Smiths song)/ Jim Jim Falls/ Rebels Without Applause/ Sure Enough, the Telephone Rings/ Girlfriend in a Coma (The Smiths song)/ Irish Blood, English Heart/ Knockabout World/ The Loop/The Bullfighter Dies/ Without Music the World Dies/ Everyday Is Like Sunday/ Istanbul/ The Night Pop Dropped/ Half a Person (The Smiths song)/ Please, Please, Please Let Me Get What I Want (The Smiths song)/ Trouble Loves Me/ Jack the Ripper

Encore : Sweet and Tender Hooligan (The Smiths song)

Lire aussi : Morrissey – 2015/09/26 – Paris l’Olympia
Morrissey – 2008/02/04 – Paris l’Olympia
Morrissey – 2006/04/11 – Paris l’Olympia

John Cale – 2023/02/14 – Paris Salle Pleyel

L’indestructible John Cale est de retour à Paris. Né au Pays de Galles en 1942, il vient de sortir un nouveau disque à 80 ans : Mercy, et en assure la promotion à l’occasion de cette tournée. Entouré de trois musiciens (guitare, bass et batterie) c’est désormais un « vieux » monsieur qui se produit sur scène. La démarche un peu claudicante, habillé d’une tunique noire, il passe le concert derrière un clavier. Il ne joue ni de son alto, ni de ses guitares, mais uniquement de sa voix toujours bien assurée sur sur ses touches.

Le concert pioche dans l’incroyable catalogue de cet artiste qui a signé des dizaines de disques, de bandes originales de films, de collaborations multiples avec des musiciens aussi variés qu’Iggy Pop ou Agnes Obel, en passant par Lio. Il a également produit deux albums de légende : The Stooges d’Iggy Pop & the Stooges et Horses de Patti Smith.

Mais John Cale, c’est d’abord le cofondateur Velvet Underground en 1965 avec l’ami maléfique Lou Reed, sous la houlette d’Andy Warhol dans sa Factory new-yorkaise, un groupe fondateur du rock du XXème siècle qui influe toujours aujourd’hui nombre de groupes. De formation académique, il était le musicien du Velvet dans lequel Lou était le magicien des mots. Il s’était même initié à la musique contemporaine en croisant John Cage ou La Monte Young avant de rencontrer Lou Reed et de découvrir le monde du rock, et tous ses excès…

Cale est expulsé du Velvet Underground en 1968 après d’incessants conflits avec Lou Reed, le tout dans un délire d’égos et de drogues en tous genres. Le groupe sera dissous peu après et chacun poursuivra des routes fructueuses et créatives dans le monde du rock. Ils se retrouveront à différentes occasions : une reformation éphémère pour une tournée du Velvet en 1993, un disque Song for Drella en hommage à Andy Warhol en 1990, notamment. Lou est mort en 2013, John est toujours sur la route.

Le concert s’ouvre sur un morceau de 2006 Jumbo in tha Modernworld, une histoire improbable d’animaux de la jungle qui déjeunent ensemble sous les arbres mais semblent rencontrer quelques difficultés à s’intégrer dans le monde moderne. Le groupe se met en jambe, la voix de John est un peu tirée dans les aigues lorsqu’il imite le cri du singe dans le refrain. Sur le grand écran de fond de scène sont diffusées des images en ombres chinoises où tournoient des mobiles façon Calder. Puis est enchaîné un extrait de Mercy, Moonstruck (Nico’s Song), dédié à Nico. Sa tête est affichée en double sur l’écran, les deux faces se regardant, régulièrement déformées par un rictus composé sur un film de 10 secondes repassé à l’infini. Egérie du Velvet, créature d’Andy, mannequin allemande, elle passait par là s’est retrouvée chanteuse sur le premier disque du groupe après en avoir ensorcelé les membres. John Cale, qui l’a aimée, accompagnera la suite de sa carrière musicale comme producteur et musicien sur ses différents albums.

You’re a moonstruck junkie lady
Staring at your feet
Breathing words into an envelope
To be opened on your death
Moonstruck (Nico’s Song)

Bien que les nouvelles compositions n’aient plus grand-chose à voir avec le Velvelt Underground, la dédicace à Nico est le rappel de cette période fondatrice de la vie de Cale et de l’histoire mondiale du rock.

Le concert se poursuit en abordant des morceaux bien sombres. Sur Wasteland, une histoire de terrain vague, de fantômes du passé, d’éléments hostiles… seuls « ses » bras (sans doute ceux de l’être aimé) réconfortent le narrateur dans l’obscurité. Le groupe laisse libre cours à son imagination et sort des sentiers battus de l’harmonie. Les sons dissonent, les larsens envahissent l’espace, des bruits étranges s’échappent des enceintes, les musiciens s’affairent sur leurs machines, le bassiste sort un archer… sur l’écran des insectes s’affairent sur une surface plane puis sont remplacés par une femme anorexique qui marche sur une plage en montrant ses membres et son torse d’une maigreur cadavérique. Ambiance…

D’autres chansons sont moins tragiques mais l’atmosphère musicale délivrée par John Cale n’est pas portée par une grande joie de vivre, c’est le moins que l’on puisse dire. Qu’importe, il est un survivant d’une page de la musique qui est en train de se refermer. Il affiche un petit sourire sous sa chevelure uniformément blanchie, celui d’un musicien qui en a tant vu et qui a su nous faire partager tant de ses émotions et inspirations.

Une chanson en rappel : Heartbreak Hotel, une reprise d’Elvis Presley.

Setlist : Jumbo in tha Modernworld/ Moonstruck (Nico’s Song)/ Rosegarden Funeral of Sores/ Mercy/ Night Crawling/ Pretty People/ Wasteland/ Guts/ Noise of You/ Cable Hogue/ Half Past France/ Villa Albani

Encore : Heartbreak Hotel (Elvis Presley cover)

Warmup : HSRS

Lire aussi : John Cale – 2011/10/17 – Paris la Maroquinerie & John Cale – 2005/10/06 – Paris le Café de la Dance

BOUAZIZ Pascal, ‘Leonard Cohen’.

Sortie : 2021, Chez : Editions Gallimard, collection Hoëbeke.

Pascal Bouaziz, musicien, auteur-compositeur, poète, est un inconditionnel de Leonard Cohen dont il connait la vie et l’œuvre sur le bout des doigts. Il choisit dans ce livre de revenir sur dix caractères de cet artiste éternel : l’éternel étranger, le séducteur, le juif errant, le déprimé, etc. Ce n’est pas une biographie mais une plongée dans la personnalité de cet étrange créateur illustrée de magnifiques photos de Leonard.

L’écriture est sensible, les mots sont documentés, les petites histoires racontées sont souvent déjà des classiques, mais qu’importe, on aime bien les relire. Mais surtout, Bouazic rentre dans les textes des chansons-poèmes de Cohen ce que, par paresse, le spectateur non anglophone ne fait pas assez, et les restitue dans le contexte de la vie de l’artiste.

Un très joli livre pour nous rappeler combien Leonard Cohen fut un artiste important de son époque et combien ses mots peuvent continuer à nous inspirer.

Un excellent podcast sur David Bowie

On peut écouter l’excellente émission de Michka Assayas sur France-Inter : neuf épisodes sur l’œuvre de l’artiste britannique qui a marqué son époque. Michka est le nouveau Bernard Lenoir chroniquant le rock sur les radios publiques, largement à la hauteur de son prédécesseur. Il fait preuve d’une immense culture rock qu’il partage avec bonhommie.

Tom Verlaine est mort

Le guitariste et chanteur-compositeur américain Tom Verlaine est mort hier à 73 ans (1949-2023). C’est l’un derniers représentants du rock underground américain qui s’échappe ainsi. Il a fondé le groupe éphémère Television en 1973 avec Richard Hell. Leur célèbre disque Marquee Moon, comme le premier disque du Velvet Underground (celui avec la banane) a été peu vendu en son temps mais a été écouté par tout ce qui comptait de la scène new-yorkaise de cette époque. Verlaine a influencé nombre de musiciens de l’époque et a continué une carrière solo discrète. Son nom de scène était un hommage au poète français.

Il joue sur Horses (1975) et Gone Again (1996) de Patti Smith qui doit désormais se sentir bien seule… C’est le crépuscule d’une époque musicale, ils sont tous en train de partir.

Lire aussi : Television – 2016/04/02 – Paris la Philharmonie

David Crosby est mort

Après le récent décès de Jeff Beck, c’est un autre géant de la guitare qui vient de s’éteindre. L’américain David Crosby (1941-2023) est mort ce 19 janvier à 81 ans. Il fut un compositeur-chanteur-guitariste de légende à travers les groupes The Byrds et CSN&Y ([David] Crosby, [Stephen] Still, [Graham] Nash & [Neil] Young), et une très riche carrière solo.

Issu du mouvement hippy il participe à son évolution psychédélique en fréquentant et collaborant avec tous les groupes californiens des années 1960-1970 : Jefferson Airplane, The Grateful Dead… Folkeux électrifié et électrisant, spécialiste des harmonies vocales-polyphoniques et des accordages étranges de guitare, mixant rock, folk, jazz dans une inspiration toujours bouillonnante, c’est un immense musicien de plus qui a rejoint le paradis des rockers. Sa survie jusqu’à 81 ans relève du miracle tant il d’adonna à toutes les addictions les plus dures de son époque. Malgré une vie sens dessus-dessous, un caractère affirmé qui le fit se fâcher avec la plupart de ses coreligionnaires, et tout spécialement ceux avec qui il composa ses plus belles mélodies, il publiait encore sa musique en 2021, ForFree.

En 2016 il créait le groupe The Ligthouse Band avec de jeunes et talentueux musiciens dont deux merveilleuses choristes avec lesquelles il poursuivait ses polyphonies si caractéristiques et déclarait : « I felt that I didn’t have any choice but to leave that band that I’m absolutely glad I did. ». Un disque live était encore produit l’an passé.

Il est temps de réécouter David Crosby !

Jeff Beck est mort

Le musicien britannique Jeff Beck (1944-2023) est mort ce 10 janvier. Guitariste de génie, il a joué dans les Yardbirds, notamment avec Jimmy Page pendant une courte période, avec Rod Stewart et Ron Wood dans le Jeff Beck Group. Il est invité par David Bowie sur la tournée de Ziggy Stardust, on le voit notamment sur Jean Genie dans le documentaire récent Mooage Daydream. Et il joue avec une multitude d’autres musiciens, Eric Clapton notamment. Dans sa carrière solo il se laisse aller vers le jazz-rock, style dans lequel il compose des morceaux étonnants.

Lire aussi : « Moonage daydream » de Brett Morgan

Virtuose, il était aussi techno et a travaillé le son sa vie durant, sur ses guitares traditionnellement d’un blanc immaculé. Il tournait encore récemment et est passé à l’Olympia en 2018.

Lire aussi : Jeff Beck – 2018/06/09 – Paris l’Olympia

The Musical Box – 2023/01/10 Paris l’Olympia

The Musical Box, le tribute band canadien de Genesis, époque « Peter Gabriel », a repris la route et revient présenter l’œuvre finale du groupe britannique de rock-progressiste : The Lamb Lies Donwn on Brodawy. Nous les avions déjà vu au même endroit en 2005. Le spectacle original qui date de 1974 n’a pas pris une ride… c’était il y a cinquante ans, l’âge moyen des spectateurs ce soir à l’Olympia est là pour le rappeler.

Le spectacle, évidemment, n’a pas changé et est précédé d’une petite introduction vidéo sur les performances techniques que représentaient les shows de Genesis, avec, et même après Gabriel, à une époque où les outils n’étaient pas ce qu’ils sont devenus avec l’avènement de l’électronique et de l’informatique.

La puissance musicale et lyrique de ce concept album narrant l’histoire délirante de Rael demeure éternelle. Elle a marqué son époque et ceux qui l’ont découverte alors. En 1975, les Genesis étaient sur la fin ; la personnalité de Peter et sa médiatisation écrasaient les autres ce qui provoquait un peu de mal-être semble-t-il. Il était temps de se séparer ce qu’ils firent après la flamboyante tournée américaine de The Lamb… Et, tous poursuivirent leurs routes musicales avec succès dans des genres qui leur furent propres. Mais jamais aucun d’eux ne sut recréer la magie du Genesis d’origine, fruit de l’incroyable créativité qu’ils ont su générer ensemble à cette époque.

Peter Gabriel est resté ce trublion rock toujours curieux et novateur, apparaissant là où on ne l’attend pas, un fascinant lutin jongleur de mots, d’histoires et de mélodies. Ce n’est sans doute pas un hasard si son départ a transformé Genesis en une machine plus terne. D’ailleurs, Peter (72 ans) sera en concert à Paris cet été. Il continue à nous enchanter depuis son premier concert hors Genesis à la Fête de l’Humanité en 1977…

Les musiciens du Musical Box ont un peu changé des dernières années, Denis Gagné reste le clone de Gabriel dont même la voix présente le timbre un peu rocailleux de celle, si caractéristique de Peter. On ne sait toujours pas bien s’il s’agit de sa voix naturelle ou si des traitements électroniques sont à l’origine de cette similitude en tout cas parfaite. Mais le temps a un peu passé depuis 2005 et sans doute a-t-il un peu perdu en agilité vocale, pas toujours aussi facile de monter dans les aigus… Ce n’est pas grave et la soirée passe comme une madeleine jusqu’au rappel sur Musical Box et Watcher on the Skies.

Concert The Lamb… (la vraie histoire de Rael)

Lire aussi : The Musical Box – 2005/05/18 – Paris l’Olympia

Concerts Foxtrot et Selling England…

Lire aussi : The Musical Box – 2007/03/24-25 – Paris l’Olympia

Jet Black du groupe The Stranglers est mort

L’information est passée plutôt inaperçue en cette fin d’année 2022 mais Jet Black (Brian John Duffy de son vrai nom), le batteur des Stranglers est mort le 6 décembre, à 84 ans. Il a été un peu le père fondateur de ce groupe post-punk dans les années 1970, le plus âgé de la bande et sans doute le plus musicien aussi. Féru de jazz il a adapté son jeu à la musique plus rock du groupe.

En proie à de l’asthme depuis son enfance il ne tournait plus avec les Stranglers depuis 2012 mais, semble-t-il restait musicalement un membre actif du groupe, notamment sur les enregistrements studio. Après la mort du claviériste Dave Greenfield suite d’une Covid, le bassiste Jean-Jacques Burnel est le dernier historique du groupe, Hugh Cornwell ayant quitté la bande en 1990 pour poursuivre une carrière solo.

Lire aussi : Dave Greenfield est mort

Mais les Stranglers produisent toujours de la musique : ils seront à l’Olympia en mars prochain et leur dernier disque est sorti en 2022 et s’appelle « Dark Matters », on ne saurait mieux dire !

Vivienne Westwood est morte

Vivienne Westwood (1941-2022) est morte en décembre dernier. Styliste iconoclaste elle fut l’égérie du mouvement punk dans les années 1970. Compagne de Malcom McLaren, le sulfureux manager des Sex Pistols elle a « habillé » les membres de ce groupe phare provocateur de l’époque. Sa boutique « Sex » sur King’s Road à Londres servait de quartier général aux punks naissants. Chrissie Hynde (The Pretenders) ou Glen Matlock (premier bassiste des Sex Pitols) y étaient vendeurs. Il se dit que McLaren fit passer leur première audition à Johnny Rotten et Sid Vicious du Sex Pistols dans le magasin. Les « créations » vestimentaires de Westwood ne sont pas d’un goût particulièrement subtil comme les fameux T-shirts déchirés ornés de croix gammées ou de représentations de Karl Marx, du cuir, des zip… C’était le style punk.

Les Sex Pistols et Vivienne se sont promus les uns les autres. Les premiers connurent une carrière éphémère mais leur influence fut décisive pour les décennies suivantes. La seconde a duré à coups de provocations et présentait encore des collections à la veille de son décès à 81 ans.

Elle avait rebaptisé sa première boutique : Too Fast to Live, Too Young to Die, mais tout à une fin !

« FELA ANIKULAPO-KUTI – Rébellion afrobeat » à la Cité de la Musique

La Cité de la Musique consacre une exposition au musicien nigérian, d’ethnie yoruba, Fela-Kuti (1938-1997). Fils d’une militante des droits de la femme à une époque où l’Afrique n’était pas vraiment éveillée au féminisme, et d’un pasteur, il se forme à la musique à Londres et éveille sa conscience politique au contact des militants des droits civiques aux Etats-Unis. Il revient au pays armé de ce double cursus pour y mener son combat politique contre une dictature galonnée qui ne lui fait pas de cadeaux. Ses concerts sont des messes qui durent des heures dans un chaos organisé où il s’affuble de costumes sophistiqués et bariolés au milieu de nombreux musiciens et danseuses. Il chante, joue du saxophone et dirige sa bande en fumant sans cesse des joints XXL. Sa maison et son club à Lagos sont des colonies où se retrouve toute une faune d’artistes, de militants, de pique-assiettes et où l’armée nigériane aime venir faire des descentes plutôt violentes.

Les slips de Fela…

L’exposition détaille l’environnement créé par ce personnage un peu ubuesque avec photos, coupures de presse, vidéos d’interviews, références à ses guides (Kwame Nkrumah, Sandra Izsadore, Malcom X…), ses costumes flamboyants, les slips multicolores dans lesquels il aimait parader au milieu des siens, les messages politiques qu’il assénait avec pas de mal de simplisme. Il a créé des mouvements politiques aussi fumeux qu’éphémères : Movement of the People (MOP), Young African Pionneers (YOP).  De ses révoltes il n’est d’ailleurs pas resté grand-chose tant le Nigeria demeure un pays hors de contrôle et la pensée politique de Fela étaient idéaliste et peu structurée. On dirait aujourd’hui qu’il était un homme « déconstruit » …

Mais Fela était avant tout un musicien et c’est dans ce domaine qu’il s’est le mieux exprimé en créant le mouvement « afrobeat », sorte de mix entre jazz et musique africaine, aux rythmes hallucinés marqués des cuivres et des percussions. C’est encore par ce média que l’artiste nigérian a été le plus performant. La Cité de la Musique offre aux visiteurs de longs extraits des incroyables concerts que dirigeait ce joyeux trublion.

Lire aussi : « Finding Fella » d’Alex Gibney

Terry Hall du groupe The Specials est mort

Terry au milieu sur le devant

Terry Hall, le chanteur blanc leader du groupe multicolore de ska The Specials est mort ce 18 décembre. La musique militante de ce groupe a marqué l’Angleterre post-punk des années 1980. Ces artistes ont mixé des influences musicales reggae, ska et new-wave pour donner une musique riche et dansante partagée avec d’autres groupes comme Madness, The Beat, UB40, Dexys Midnight Runners. Les Specials, habillés mods, étaient sans doute un plus engagés que les autres en faveur des droits sociaux et contre le racisme dans un pays secoué par la politique dure menée par Mme. Thatcher à la tête d’un gouvernement conservateur.

Le groupe s’était reformé ponctuellement en 2014 pour une tournée de concerts dont un à Paris, bien sûr.

Lire aussi : The Specials – Paris Bataclan – 30 novembre 2014

Toute une époque !

Pete Doherty & Frédéric Lo – 2022/12/10 – Paris, Salle Pleyel

Deux musiciens se retrouvent en Normandie. L’un, Pete Doherty, enfant terrible du rock britannique (The Libertines, Babyshambles) est venu s’y apaiser auprès de son épouse française qui y habite, l’autre, Frédéric Lo, français, est moins connu mais a collaboré comme compositeur-arrangeur-producteur avec différents rockers français, dont Daniel Darc, ex-Taxi Girl qui mena ensuite une carrière solo guidée par Lo.

Ces deux-là se rencontrent un peu par hasard car Lo désire faire participer Doherty à un hommage à Darc décédé en 2013 au terme d’une vie très bousculée de 53 courtes années. Du coup nos deux larrons vont se plaire et poursuivre une fructueuse collaboration ; les textes pour Pete qui retrouve le plaisir d’écrire et Frédéric à qui on ne la fait pas pour créer des mélodies poppy-mélancoliques pleines de douceur et de subtilité. Et les voici embarqués dans la magnifique maison normande figurant sur la couverture de l’album pour quelques semaines de création qui aboutiront à la sortie du CD The Fantasy Life of Poetry & Crime (voir le très joli documentaire tourné par Arte sur l’enregistrement : Peter Doherty & Frédéric Lo – The Fantasy Life of Poetry and Crime – @arteconcert disponible sur Youtube). C’est la touchante surprise de cette année 2022 qui se termine par une tournée du duo épaulé aux claviers par Mme. Doherty ainsi que par une violoniste et… les deux chiens de Pete.

Après un premier show au Trianon, les revoici Salle Pleyel pour cette fin d’année ! Doherty a pris beaucoup de poids, il se dit que la lutte contre ses addictions se déroule difficilement ce qui laisse quelques traces sur son physique. Débraillé dans un costume avachi, il promène sa bonne bouille au bout de son micro. Voix enfantine sous une chevelure ébouriffée, il n’a rien perdu de sa capacité à émouvoir d’autant plus qu’il s’exprime dans une ambiance folk et non plus couvert par le feu de l’électricité. Lo est élégant et tout en noir, sous un chapeau de même couleur qu’il ne quittera pas de la soirée, accroché à une guitare folk qui accompagne si bien la voix poétique de son comparse. Les deux chiens jouent tranquillement sur la scène, pas impressionnés du tout par la sono qui reste malgré tout d’un volume modéré. Lors des shows précédents de Doherty c’étaient deux ou trois danseuses qui faisaient une apparition, c’est ainsi, Pete a besoin de compagnie et aussi de montrer qu’il continue, un peu, à s’affranchir des règles.

En tout cas, s’il y a des règles qui sont magnifiquement respectées ce sont celles de l’harmonie et de la poésie qui insufflent à ce concert un romantisme désarmant. Les thèmes sont les sujets familiers qui hantent Doherty, la perte des siens, la drogue, la vie qui passe…

Sur Abe Wassenstein un hommage à un ami disparu :

He lived on a rock and you know he died upon a road
You know he died upon a roll
I sit and stare I say a prayer
It’s a kind of, it’s a kind of prayer for a friend of mine
He was a friend you know he was a friend
He was a friend, friend of mine

Sur The Monster, une référence à sa lutte contre les drogues :

But the monster’s there for me
And I have no doubt that when I go out lad the monster adores me
Stand and deliver it felt so right
The Lord knows
« La vie est tendre, belle et violente »

Sur la rédemption après tant d’errements, Yes I wear a Mask

I sing the sweetest saddest song
The sweetest saddest song
To cloud all of my wrongs
Confuse all of my wrongs

It’s lovely to be free my friend in-style
Sometimes to right all of my wrongs
Occcasionally
Occasionnally
I scale the highest peak
I find the peace I seek

Yes I wear a mask my friend inside
Outside to hide all of my crimes
The sweetest saddest song
I sing thе sweetest saddest song

La roue qui tourne avec The Glassblower :

Wine like a siren threads
Between the lives I’ve led
Wind swims in my naked hеad
With my legs in the air
My veil is two cеnturies long
I sing forgotten songs amongst the sarees and sarongs
There in is my lair

La musique est douce et enveloppe tous ces titres introspectifs exactement comme il le faut, transformant en mélodie la mélancolie d’une vie brûlée par les deux bouts. Pour la première fois ce n’est pas lui qui l’a écrite et il s’est laissé guidé dans cette collaboration douce avec Frédéric Lo. Quelle chance que Pete Doherty puisse mener ce parcours solo dans lequel il semble retrouver une once de sérénité, un soupçon d’apaisement, et qui l’oriente vers une nouvelle voie musicale qui berce notre esprit et nos âmes.

Au bout d’une heure, tout le nouveau répertoire est joué alors le groupe revient sur quelques morceaux du premier et merveilleux album solo Grace/Wastelands, ainsi que sur une reprise de Daniel Darc : Inutile et hors d’usage, et une chanson écrite par Lo : Cet obscur objet du désir chantée par lui et dont le refrain est repris en français par eux deux. Superbe et majestueux !

Setist : Rock & Roll Alchemy/ The Epidemiologist/ You Can’t Keep It From Me Forever/ Yes I Wear a Mask/ The Fantasy Life of Poetry & Crime/ The Monster/ Invictus/ The Glassblower/ Keeping Me on File/ Abe Wassenstein/ Far From the Madding Crowd/ Half a Person/ Inutile et hors d’usage/ Cet obscur objet du désir/ Arcady/ Salome

Lire aussi : Pete Doherty – 2016/11/17 – Paris le Bataclan & Pete Doherty – 2010/07/07 – Paris la Cité de la Musique

Christine McVie du groupe Fleetwood Mac est décédée

Christine McVie, 2ème en partant de la gauche

Christine McVie est décédée à 79 ans ce 30 novembre. Elle fut chanteuse et claviériste du groupe Fleetwood Mac et épouse de John McVie le bassiste historique du groupe britannico-américain. Créé en 1967 le groupe a rencontré un franc succès avec Rumours, sorti en 1977 et vendu à 40 millions d’exemplaire. Avec Stevie Nicks, américaine, elle formait le duo blond de charme épaulant une solide équipe de guitaristes masculins dans cette musique blues-rock, à la fois percutante et parfois romantique.

The Cure – 2022/11/28 – Paris Bercy

Assister à un concert des Cure en 2022 c’est un peu se lancer dans un voyage introspectif sur son passé musical tant ce groupe, formé en 1978, a accompagné le parcours musical des fans, et tout particulièrement français, The Cure ayant toujours rencontré un franc succès dans l’hexagone. Alors lorsque les lumières s’éteignent ce soir et que démarrent les notes amples de Alone, Bercy frissonne de plaisir. Les musiciens sont en place et joue une longue et lente intro quand Robert Smith fait son entrée, longeant lentement le bord de la scène, en log et en large, saluant les spectateurs avec un petit sourire timide. Sans sa guitare il est « en civil », un peu pataud avec ses kilos en trop, ses cheveux grisonnants-filasse en bataille, son éternel rouge-à-lèvres et ses fringues noires informes. Fidèle à lui-même il déploie avec son groupe la bande-son de notre vie.

Robert Smith

Après cette affectueuse entrée en scène il s’approche du micro pour entamer Alone, une chanson du disque The Lost World dont la sortie est annoncée depuis plusieurs mois mais sans cesse repoussée. On est toujours dans le sombre, la marque de fabrique des Cure :

This is the end of every song that we sing
The fire burned out to ash and the stars grown dim with tears
Cold and afraid, the ghosts of all that we’ve been
We toast, with bitter dregs, to our emptiness

On ne peut pas dire que ces paroles débordent d’enthousiasme, pas plus d’ailleurs que le rythme pesant et étiré de sa musique, mais nous sommes à un concert des Cure pas à un show de chippendales …, et c’est comme ça que nous les aimons.

Le groupe est composé du quatuor habituel : Robert Smith (chant et guitare), Simon Gallup (bass), Roger O’Donnell (clavier) et Jason Cooper (batterie), renforcé par Reeves Gabrels (guitare), qui tourne avec le groupe depuis 2012, et le revenant Perry Bamonte (guitare et clavier) qui fit partie du groupe dans les années 1990 ; il est un peu relégué tout seul à gauche de la vaste scène de Bercy.

Une fois passée cette ouverture pour faire patienter encore un peu la sortie du nouveau disque, le groupe rentre dans une setist de bonheur déclinant 40 années de création. L’enchaînement A Night Like This/ Lovesong est sublime ; Lovesong, cette chanson écrite par Robert comme cadeau de mariage à sa femme Mary… quelle classe ! Charlotte Sometimes, Push, Play for Today sont des sommets qui déclenchent l’enthousiasme. Robert est serein derrière son micro, en pleine forme vocale. Si son aspect physique a pris quelques rides, sa voix est toujours la même, perchée dans les aigües, un peu forcée. Elle s’envole sous les voutes de Bercy et strie nos âmes, nous ramenant toutes ces chansons sur lesquelles les quinqua/sexa rattachent immanquablement nombre des étapes de leurs vies.

Une petite frustration quand même est la sous-utilisation des talents de Gabrels. Quand on l’a vu sur scène avec Bowie, notamment sur la tournée Outside, développer une incroyable virtuosité appuyée par la maîtrise de la technique lui permettant de jouer des sons surréalistes avec seulement six cordes, on reste un peu sur notre faim de le voir entamer seulement deux petits solos sur A night like this et Endsong. C’est un peu maigre mais il n’est sans doute pas facile d’être le guitariste d’un groupe mené par un guitariste-chanteur ! Certes, la musique du groupe ne se prête pas complètement à la virtuosité guitaristique mais il nous semble que Porl Thomson qui a précédé Gabrels pour les tournées avait un peu plus l’initiative sur scène. Et puis, les quelques rares solos joués ce soir, et qui ne sont pas sur les disques, sont parfaitement placés et pourraient être mulitipliés.

Reeves Gabrels

Le show se termine sur Endsong, tirée également du futur CD à sortir. Le beat est lent, de lourdes nappes de claviers se répandent sur l’assistance, les guitares marquent le rythme répétitifs et pesant dans les aigües et le chant de Robert achève de faire tomber un voile de déprime au milieu des larsens déchirants…

And I’m outside in the dark
Staring at the blood red moon
Remembering the hopes and dreams I had
All I had to do
And wondering what became of that boy
And the world he called his own
And I’m outside in the dark
Wondering how I got so old

It’s all gone, it’s all gone
Nothing left of all I loved
It all feels wrong
It’s all gone, it’s all gone, it’s all gone
No hopes, no dreams, no world
No, I don’t belong
AI don’t belong here anymore

Mais pour relever le moral, le groupe revient pour deux rappels d’anthologie enchainant tous les tubes de leur si fructueuse carrière et Bercy se déchaîne. Des gamines de 17 ans hurlent et dansent sur In Between Days  sorti en 1985…, les moins jeunes sont debouts devant leurs sièges, trois générations de fans révèrent ce groupe de légende qui nous laisse bouillonnants sur Boys Don’t Cry… après 2h45 de musique.

Voir aussi : Les photos de Roberto

Setlist : Alone/ Pictures of You/ A Night Like This/ Lovesong/ And Nothing Is Forever/ The Last Day of Summer/ Want/ A Fragile Thing/ Burn/ At Night/ Charlotte Sometimes/ The Figurehead (Robert change « American » for « Parisian » girls)/ A Strange Day/ Push/ Play for Today/ Shake Dog Shake/ From the Edge of the Deep Green Sea/ Endsong

Encore : I Can Never Say Goodbye/ Faith/ A Forest

Encore 2 : Lullaby/ The Walk/ Friday I’m in Love/ Close to Me/ In Between Days/ Just Like Heaven/ Boys Don’t Cry

Warmup : The Twiligth Sad

Lire aussi : The Cure – 2016/11/15 – Paris Bercy
The Cure – 2008/03/12 – Paris Bercy

Patti Smith : “A Book of Days” – Guardian Live event

Aujourd’hui sort le dernier livre de Patti Smith : « A Book of Days ». C’est aussi l’anniversaire de son chat Cairo. Miranda Sawyer du journal The Guardian interview l’artiste (75 ans, née en 1946) en direct sur le site web du grand quotidien britannique. Pour une somme modique les fans peuvent se connecter pour découvrir Patti dans sa chambre raconter ce livre et d’autres petites choses.

A revoir sur :

Photographe depuis toujours, elle a profité du confinement pour se replonger dans ses nombreux cartons de tirages et en rassembler une sélection pour cet ouvrage. D’abord prises au Polaroid à soufflet (Land 250) elle est passée au smartphone lorsqu’il n’y eut plus de production de pellicule par le fabricant, ce qui est aussi bien pour la planète conclut-elle. Il y a beaucoup de photos des artistes qui l’ont inspirée, de sa famille, de sa fille Jesse (pianiste-chanteuse [qui accompagne parfois sa mère], activiste pro-environnement engagée, « People Have the Power »), de tous ceux qu’elle aime et a aimés. Mais cela fait beaucoup de morts constate-t-elle, et comme il est important de se souvenir de toutes ces rencontres décisives.

William Burroughs, Albertine Sarrazin dont il faut lire le roman « Astragal » à la réédition duquel Patti Smith a participé, Fred « Sonic » Smith (le père de ses deux enfant, guitariste du MC5, décédé dans la fleur de l’âge et du talent), Jean Genet, Sam Shepard, Rimbaud, bien sûr, dont elle a racheté à Charleville-Mézières le terrain sur lequel était construite la maison familiale dans laquelle il a écrit « Une saison en enfer » et où il mourut. Une autre maison a été reconstruite à l’emplacement de l’ancienne, ce n’est donc pas l’originale mais elle est faîte du même matériau. Elle essaye d’en faire une résidence pour écrivains lors de discussion en cours avec les pouvoirs publics français.

Elle raconte sa première « rencontre » avec Rimbaud, c’était à Philadelphie, elle avait seize ans et est tombé amoureuse devant la photo du poète, dont elle n’avait jamais entendu parler, dans une vitrine. Elle a aussitôt acheté sa poésie, tout lu, pas tout compris mais perçu l’importance de cette poésie qui allait devenir son phare tout au long de sa carrière.

Elle a repris ses voyages après la levée du confinement, ses pauses dans les cafés pour lire ou écrire au milieu de l’agitation canalisée du monde : « Café-life is romantic ».

Elle divulgue avec beaucoup de bienveillance quelques conseils pour les jeunes artistes : « work hard and believe in you ». Bien sûr le milieu artistique a changé depuis ses 20 ans, mais les basiques et l’exigence de la vocation restent les mêmes.

Et alors qu’il lui est demandé ce qu’elle regrette de n’avoir pas pu faire, elle aurait voulu prendre des photos en Algérie ou alors oublier son appareil et simplement regarder autour d’elle : « just be, take a little breath and just live »

Son chat dort sur le lit derrière elle. Elle se lève pour le prendre dans ses bras et chercher un poème de Nerval afin de finir l’interview. Elle revient avec le chat et la journaliste a trouvé le poème qu’elle lit en anglais. En voici la version originale en français :

Le point noir (Gérard de Nerval, Odelettes)

Quiconque a regardé le soleil fixement
Croit voir devant ses yeux voler obstinément
Autour de lui, dans l’air, une tache livide.

Ainsi, tout jeune encore et plus audacieux,
Sur la gloire un instant j’osai fixer les yeux :
Un point noir est resté dans mon regard avide.

Depuis, mêlée à tout comme un signe de deuil,
Partout, sur quelque endroit que s’arrête mon œil,
Je la vois se poser aussi, la tache noire !

Quoi, toujours ? Entre moi sans cesse et le bonheur !
Oh ! c’est que l’aigle seul – malheur à nous, malheur !
Contemple impunément le Soleil et la Gloire.

Patti interprète ce point noir, cette « tache livide », comme une métaphore de la charge (burden share), la peine (?), portée par l’artiste et de conclure :

Be honest. Go forward!

Patti Smith porte ses yeux et son cœur sur le monde qui change et qu’elle essaye de façonner avec obstination sous un jour meilleur. Ses enfants, ses lecteurs, ses spectateurs, suspendus à ses mots, se demandent maintenant ce qu’il adviendra après elle. Peut-être vont-ils devoir prendre sa relève ?

Patti Smith a 75 ans (Cairo en a 21), une grande dame !

Lire aussi sur Patti Smith :

Sigur Rós – 2022/11/05 – Paris le Zénith

Le quatuor islandais Sigur Rós joue deux soirées au Zénith à guichets fermés. On croyait le groupe mené par Jónsi cantonné à l’avant-garde pour spécialistes, les voici maintenant et depuis déjà quelques années, à l’origine d’un succès d’estime et commercial auprès d’un public international élargi, joyeusement représenté ce soir au Zénith.

La scène est composée de groupes de filins tendus entre plafond et sol, qui vont se torsader selon les morceaux interprétés. L’éclairage est rouge ou vert-laser. Il s’enroule sur les filins donnant à la scène un aspect mystérieux et galactique. Les quatre musiciens sont habillés de noir et démarrent le show sur la ritournelle au clavier de Untitled #1 introduisant leur troisième disque, sans titre, dont on célèbre aussi ce soir le 20ème anniversaire via une réédition remastérisée et qui a la part belle de la set-list du jour. Les Sigur Rós occupent la scène pour deux parties séparées par un entracte.

Jonsi, haut de taille, est sur le devant, jouant le grand prêtre de cette soirée mystique dans sa longue tunique noire. Maniant son archet de violoncelle sur sa guitare il déclenche l’orage avec le son épais de l’instrument lorsqu’il l’écrase sous la mèche de l’archet. Il nous charme avec sa voix de fausset nous emmenant très haut dans les aigus et faisant de cette voix si particulière le cinquième instrument du groupe. Parfois il chante la guitare devant la bouche et sa voix est alors transformée par les multiples traitements de l’instrument. Le claviériste, qui joue aussi du trombone à coulisse, marque l’atmosphère de ses longues et discrètes nappes de claviers, alternées avec des passages de piano aux notes sibyllines. Le batteur et le bassiste sont sur un registre plus classique, marquant confusément la rythmique d’une musique qui n’en n’a guère.

Les écrans de fond de scène diffusent des images, le plus souvent en noir et blanc, parfois floues, de brumes, de fumées qui s’accordent si bien avec cette musique mystérieuse qui envahit le temple du Zénith. On se laisse porter par la magie des compositions, emporter par la grâce et la beauté incompréhensibles de cette production venue du grand Nord. Cette musique sort de l’imagination débridée de ces quatre lutins islandais tellement innovants et c’est un sommet de beauté et de poésie.

Le Zénith en reste pétrifié avant de laisser éclater sa reconnaissance au groupe qui, à la fin du show, revient saluer deux fois en applaudissant à tout rompre les spectateurs enchantés. Sigur Rós reste ancré dans l’avant-garde et aurait tort de s’en éloigner tant il réussit aujourd’hui à la vulgariser sans compromettre. Il mène d’ailleurs une collaboration de longue date avec le groupe Radiohead autre légende de la musique indie qui la met à portée de beaucoup. Quel bonheur d’assister tout au long de ces années à la création de ces artistes toujours en recherche de la perfection !

Setlist : Untitled #1 – Vaka/ Untitled #2 – Fyrsta/ Untitled #3 – Samskeyti/ Svefn-g-englar/ Rafmagnið búið/ Ný batterí/ Gold 2/ Untitled #7 – Dauðalagið/ Smáskifa

Glósóli/ Untitled #6 – E-Bow/ Sæglópur/ Gong/ Andvari/ Festival/ Kveikur/ Untitled #8 – Popplagið

Voir aussi : Les photos de Roberto