Angelo Bruschini, le guitariste de Massive Attack depuis les années 1990 est mort ce 23 octobre à 62 ans des suites d’un cancer du poumon qu’il avait rendu public depuis déjà plusieurs mois. C’était un musicien brillant qui avait réussi à donner une place de choix à la guitare dans un groupe plutôt tourné sur l’électronique. Il était parfaitement dans le ton des Massive Attack avec des riffs glacés et métalliques qu’il posait merveilleusement sur les rythmes d’outre-tombe produits par le collectif de Bristol dont il était aussi originaire. Seule sa chevelure peroxydée marquait une touche de fantaisie sur scène. Il va manquer.
Brian Eno, musicien britannique né dans le Suffolk en 1948, magicien du son et inspirateur plus que musicien, se produit ce soir à la « Seine Musicale » de Paris avec le Baltic Sea Orchestra. Une soirée apaisée et méditative, emportée par des compositions mystiques et intergalactiques.
Après des études de Beaux-Arts, Eno avait pourtant commencé sa carrière dans les excès et les fanfreluches du pur glam-rock où il tenait le poste de claviériste-bricoleur du groupe Roxy Music, créé par Bryan Ferry, qu’il rejoint au début des années 1970 pour le quitter deux années plus tard. Il emprunte alors une route plus innovante en inventant l’ambient music, sorte de musique sophistiquée pour supermarché. Il collabore avec Robert Fripp le guitariste et fondateur du groupe de rock progressiste King Crimson. Le duo Fripp & Eno produit une série de CD dont (No Pussyfooting) en 1973 dans lequel le guitariste si inventif déploie d’incroyables arabesques générées par des notes de guitares maintenues à l’infini avec l’aide d’un magnétophone qui passe et répète des boucles de guitare les unes sur les autres. Nous étions en 1973… bien avant l’invasion de l’électronique dans le rock.
Et puis Eno se lance dans une carrière de producteur des plus grands artistes des années 1970 à aujourd’hui, à commencer par la célèbre « trilogie berlinoise » de David Bowie (« Low, « Heroes » et Lodger) avec, là encore, Robert Fripp qui commet le solo de guitare le plus brillant de toute l’histoire du rock avec Eno derrière les consoles pour forger un son si urbain et déchirant. Outre sa science de la technique musicale il exerce une forte influence intellectuelle sur les musiciens avec qui il travaille. Il est notamment connu pour utiliser un jeu de cartes conçu par Peter Schmidt et lui-même et dont chacune des cartes indique une stratégie énigmatique prêtant à interprétation. C’est ainsi lorsque l’inspiration semblait se ralentir au studio berlinois Hansa by the Wall où fut enregistré « Heroes » en 1977, Eno tirait les cartes de son tarot mystique er relançait la création. Ce pouvait être une injonction « chacun change d’instrument » ou une redéfinition des positionnements des musiciens et des micros dans le studio. Bref, il a ainsi aidé à accoucher des disques de légende.
Après Bowie il a collaboré avec Devo, Talking Heads, U2, John Cale, Ultravox, Genesis (sur The Lamb lies down on Broadway)… les plongeant chaque fois dans sa marmite de sorcier dont ils ressortaient avec un son très spécifique, pas vraiment reconnaissable car propre à chaque groupe, mais travaillé jusqu’à l’extrême. Dans le même temps il a poursuivi sa propre création musicale, éditant sous son nom un nombre incalculable de CD aux sons étranges, fruit de ses réflexions intérieures et triturations techniques, sans aucuns objectifs commerciaux. Des disques expérimentaux exclusivement pour spécialistes !
Depuis Roxy Music au début des années 1970 ses tournées sur scène sont extrêmement rares alors on ne manque pas celle de ce soir avec un orchestre classique scandinave dirigé par Kristjan Järvi. Quand les lumières s’éteignent les musiciens de l’orchestre font leur apparition en marchant tout en jouant sur la partie basse de la scène. Eno et ses musiciens, dont la soprano Melanie Pappenheim et un conteur, sont sur une estrade derrière leurs machines. Au deuxième étage figurent les percussionnistes. Il s’agit d’une musique que l’on peut qualifier de « contemporaine » autour de l’album « Ships » composé par Eno en 2016, dans le cadre d’une commande de La Biennale de Venise dont la première représentation a eu lieu le 21 octobre au Teatro la Fenice, en tant qu’œuvre centrale de la Venice Biennale Musica 2023.
« L’album ‘The Ship’ est une œuvre inhabituelle dans la mesure où elle utilise la voix mais ne s’appuie pas particulièrement sur le format chanson. C’est une atmosphère avec des personnages occasionnels qui dérivent, perdus dans l’espace vague créé par la musique. En arrière-plan, il y a un sentiment de temps de guerre et d’inévitabilité. Il y a également une ampleur qui convient à un orchestre et le sentiment que de nombreuses personnes travaillent ensemble.
Je voulais un orchestre qui joue de la musique comme j’ai envie de jouer de la musique : avec le cœur plutôt qu’avec une partition. Je voulais que les membres de l’orchestre soient jeunes, frais et enthousiastes. Quand j’ai vu pour la première fois le Baltic Sea Philharmonic, j’ai trouvé tout cela… et puis j’ai remarqué qu’ils portaient le nom d’une mer. C’était décidé ! ».
Brian Eno
La musique est aérienne et éthérée, des instruments classiques sont mixés avec les traitements du magicien. Eno chante sur certains morceaux, une voix grave et monotone, pas désagréable, parfois vocodée. Il s’excuse d’ailleurs d’être enrhumé, ce qui ne s’entend pas vraiment. Tous les artistes sont habillés de noirs et portent un T-shirt de la même couleur floqué de ce qui ressemble à un globe terrestre, de couleur différente selon les étages.
Les allers-et-venus des musiciens sont lents comme la musique jouée est ample. On reconnait la reprise du Velvel Underground de Lou Reed : « I’m set free », considérablement ralentie, les cordes et claviers se substituant aux guitares :
I’ve been blinded but now I can see What in the world has happened to me The prince of stories who walks right by me And now I’m set free I’m set free I’m set free to find a new illusion
The Velvet Underground
C’est ensuite la chanson “By This River », un classique d’Eno extraite du disque Before and after Science (1977). Le rappel est dédié aux populations palestiniennes sous les bombardements de la bande de Gaza. Applaudissements et youyous marquent le soutien du public à cette cause défendue par l’artiste engagé en faveur de nombreuses causes humanitaires.
Le spectateur sort troublé par l’atmosphère musicale si apaisante et mystérieuse qu’Eno imprime à ses compositions et leur interprétation. C’est un voyage dans un monde immobile où tout semble apaisé, un sentiment transmis par une musique venant d’un autre monde, celui où Brian Eno nous emmène depuis cinq décennies. Il fallait bien sûr être présent à cette soirée pour tous ceux qui ont passionnément aimé la façon dont le maître a su inspirer et guider tant de grands musiciens, notre bonheur ce soir fut plus celui de la reconnaissance que de l’enthousiasme pour une musique qui s’y prête assez peu.
Setlist : The Ship/ Fickle Sun (I)/ Fickle Sun (II) The Hour Is Thin/ Fickle Sun (III) I’m Set Free/ By This River/ Who Gives a Thought/ And Then So Clear
Encore : Making Gardens Out of Silence/ There Were Bells
A l’occasion du visionnage du film « Les feuilles mortes » du réalisateur finnois Aki Kaurismäki on découvre un groupe très intéressant : Maustetytöt (traduit par Spice Girls). Il s’agit de deux sœurs, Anna et Kaisa Karjalainen, l’une chanteuse & claviers, l’autre guitare & chant, toutes deux blondes comme il se doit. Une musique électro qui porte les très belles voix du duo sur de jolies mélodies. Evidemment elles chantent en finnois, ce qui n’est pas des plus aisé à comprendre…
Elles jouent leurs propres rôles dans le film où elles interprètent Syntynyt suruun ja puettu pettymyksin (Né avec tristesse et vêtu de déception) de leur dernier disque EIVÄT ENKELITKÄÄN ILMAN SIIPIÄ LENNÄ (MÊME LES ANGES SANS AILES NE VOLENT PAS). On trouve une traduction en anglais de ce morceau sur Youtube :
C’est une chanson pas très gaie pour un film qui ne l’est guère plus. Cela semble d’ailleurs être le concept du groupe, une musique glaçante et répétitive, des voix éthérées, des visages fermés qui ne sourient jamais, un océan de blondeur… On se croirait sur la banquise d’un fjord en plein hiver. Les mots sont semble-t-il à l’image de cette ambiance. Mais quel choc !
Le journal Libération du 21 octobre a commis un article félon intitulé ‘« Hackney Diamonds», les Rolling Stones croulent des mécaniques’ consacré au dernier disque des Rolling Stones. Cet article déplorable et plein d’amertume est à charge contre les Rolling Stones. Qu’on en juge :
…ce disque est une monstruosité inattendue dans l’actualité de la pop qui nous subjugue jusqu’à nous faire douter du rôle de la musique enregistrée dans notre culture : un disque des Rolling Stones tellement factice et redondant qu’il nous hurle à chaque seconde qu’un nouveau disque des Rolling Stones ne sert à rien. … L’effet de contraste [du morceau Dreamy Skies, NDLR], est saisissant avec Driving Me Too Hard, morceau de vieux niqueur épuisé par un ou une amante insatiable ou l’horrible Bite My Head Off, boogie punk monté sur un riff de basse fuzzée à la Satisfaction, vaguement réminiscent d’un Clash (Safe European Home) et dont on réalise au bout de quelques minutes qu’il est supposé nous faire frémir d’émotion puisque la basse y est tenue par Paul McCartney. Las, c’est surtout l’occasion de vérifier quel mal le producteur Andrew Watt, notamment aux manettes du dernier Iggy Pop, fait au rock des anciens dans le terrain miné du contemporain, avec ses YouTube, TikTok, iPhone et consorts. etc, etc
Ces pisse-vinaigres de Libération ne se sont toujours pas remis de la trahison de leur ancien patron, fondateur de la Gauche Prolétarienne dans les années 1970 qui a quitté Libération avec un parachute doré digne d’un nabab du CAC40, après s’être marié avec une femme de l’âge de sa fille. Depuis ils dévident leur bile à longueur des colonnes de leur journal toujours entre deux faillites. Cela fait longtemps qu’ils ont perdu leurs illusions idéologiques qui se sont embrasées dans les feux de l’enfer de Sympathy for the Devil. Ces plumitifs (qui bénéficient de la niche fiscale des journalistes totalement imméritée et qui devrait être révoquée depuis longtemps) ne savent pas tourner la page. Et c’est particulièrement vrai pour la rubrique Rock qu’on ne lit plus depuis des lustres, mais qui fut un temps flamboyante (et pro-Rolling Stones).
Ce dernier disque des Rolling Stones n’est pas exceptionnel mais honnête et correct. On peut souhaiter aux journaleux rock de Libé de tenir aussi bien la plume que Keith Richards tient sa guitare à 79 ans !!! Le Monde et L’Humanité ont produit des critiques plus apaisées de Hackney Diamonds.
Le 24ème album studio des Rolling Stones, “Hackney Diamonds” est sorti ce matin. Le dernier, « A Bigger Bang », datait de 2005. Depuis Charlie Watts est mort, Mick Jagger a passé les 80 ans, Keith Richards 79 ans et Ron Wood 76. Le groupe était encore en tournée l’an passé en Europe, avec un passage par Paris et Lyon pour la France.
« Hackney Diamonds » est plutôt un bon cru. Des guitares énergiques, des claviers rythmés, des cuivres intermittents, sur la voix légendaire et l’harmonica titilleur du patron. Du rock, surtout, du blues, aussi, avec deux très beaux morceaux : Sweet Sound of Heaven, Lady Gaga choriste de luxe et Stevie Wonder invité de marque au piano, et une superbe reprise de Muddy Waters : Rolling Stone Blues. Elton John est également de la partie sur deux morceaux et Paul MacCartney sur Bite my Head Off, participations plutôt transparentes. Bill Wyman revient jouer de la bass sur Live by the Sword, un hommage à Charlie Watts dont des parties de batterie enregistrées avant sa mort ont été utilisées pour ce disque. Keith a le droit de chanter Tell me Straight.
Evidemment, depuis plus de 60 ans qu’il est sur la route, le groupe voit son futur se rétrécir mais la gloire lui survivra. Quelle bonne idée de mettre tout ceci en musique.
I hear the sweet, sweet sounds of heaven Falling down, falling down to this earth I hear the sweet, sweetest sounds of heaven Drifting down, drifting down to this earth
Sweet Sounds of Heaven
The streets I use to walk on, are full of broken glass And everywhere I’m looking, there’s memories of my past
Whole Wide World
Mais les Rolling Stones ont la nostalgie heureuse et cet album est plein d’énergie. Et puis, un nouveau disque des Rolling Stones, cela fait tout simplement du bien !
Un lecteur attentionné nous signale que Hackney est un faubourg de l’Est de Londres, autrefois mal famé, où l’on pouvait se faire casser la vitre de sa voiture et subir un vol à la tire, d’où le design de la couverture du disque. « Hackney Diamonds » signifiait donc « verre brisé » en argot londonien en référence à ce qui pouvait vous advenir si vous baguenaudiez dans ce quartier qui s’est quelque peu gentrifié depuis.
Hackney Diamonds est dédié à Charlie Watts.
Le groupe profite aussi de cet évènement pour sortir en CD et DVD le concert intégral donné à l’Olympia de Paris en 1995 qui n’avait été diffusé jusqu’ici que sous forme d’extraits. Il s’agit de Totally Stripped. Un show d’un excellent cru !
J-D. Beauvallet fut l’un des rédacteurs en chef du magazine « Les Inrockuptibles » pour lequel il a réalisé nombre d’interviews de rockers de légende. Né en 1962, ce passionné de musique rock a longtemps résidé à Londres et s’est spécialisé sur la période 1980-1990 sans négliger les grands anciens. Cet ouvrage reprend certaines de ces interviews : Björk, Daft Punk, PJ Harvey, Pulp, New Order, Lana des Rey, Thom Yorke… mais aussi ceux qui les ont inspirés : Bowie, Bono, Bacharach…
La connaissance encyclopédique du rock de l’intervieweur rassure sans doute les interviewés qui paraissent sincères, voire appliqués, dans les réponses apportées à des questions le plus souvent intelligentes et qui prennent leur temps. Ils sont pour la plupart à mi-chemin de leur carrière déjà brillante dont le lecteur de 2023 connait la suite. En les écoutant on découvre pour tous cette idée de la musique rivée au corps depuis leur petite enfance et l’énergie qu’ils ont développée, contre vents et marées, pour créer et jouer ce qui irradiait de leur âme. Ils ont fait de la musique un indispensable projet de vie qui, additionné à leur incontestable talent, a permis de réaliser de grandes œuvres qui guident le cœur des fans passionnés mais moins actifs, ou moins talentueux, que leurs guides.
Le talent de Beauvallet est de les amener doucement à le livrer sur la relation qu’ils entretiennent avec leur art. A ce titre, ce recueil est passionnant mais reste un livre d’un spécialiste pour spécialistes du rock de la fin du XXème siècle.
Joli concert de New Order ce soir au Zénith de Paris, les musiciens britanniques ont présenté un show classique, réjouissant et plutôt bien léché. Même la bande son précédant leur arrivée sur scène était choisie avec subtilité : Massive Attack, Tame Impala, Lou Reed, Magazine dont le Shot by Both Sides fut interrompu brutalement par l’arrivée des New Order.
Un grand écran en format horizontal projette les images d’un plongeur tournoyant dans les airs au ralenti dont un extrait figure la couverture du disque live NOMC15 (New Order Complete 2025) sorti en 2017. Le costume et le noir-et-blanc font furieusement référence aux images de propagande de la cinéaste Leni Riefenstahl qui œuvrait sous le régime nazi. Nous ne sommes pas aux Jeux Olympiques de Berlin 1933, mais au concert de New Order en 2023.
Et pendant que le plongeur déroule ses arabesques corporelles, un fond musical électro prépare l’arrivée des musiciens : Barney (67 ans) principal auteur-compositeur, guitariste et chanteur (Bernard Sumner de son vrai nom), Stephen Morris à la batterie, Gillian Gilbert aux claviers. Peter Hook (dit Hooky), bassiste fondateur du groupe les a quittés en plutôt mauvais termes il y a dix ans (voir ses mémoires « Substance – New Order vu de l’intérieur ») et est remplacé par Tom Chapman. Phil Cunningham fait le deuxième guitariste depuis bientôt vingt ans, avec talent. Ils sont tous habillés de noir sauf Gillian qui aborde une robe aux motifs chamarrés.
Une fois en place ils démarrent alors Crystal rapidement interrompu au bout de quelques mesures par Barney qui semble avoir loupé quelque chose et endosse la faute en s’excusant platement devant le public. Le morceau est repris sans que l’on ne distingue vraiment de différence avec le début du précédent essai. Au moins va-t-il cette fois-ci jusqu’à son terme. L’écran diffuse le clip officiel de ce tube de légende sorti en 2001, on y voit une bande d’adolescents interpréter ce morceau sur scène dans un déluge de pogo et de riffs. Le plus drôle dans l’histoire est que les vrais ados de l’époque qui n’avaient jamais entendu parler de New Order ont pris pour argent comptant cette vidéo fake, ils ont longtemps cru que ce groupe venait de percer et que ses musiciens avaient effectivement l’âge des acteurs du clip… Il a fallu les détromper et leur rappeler que la génération de leurs parents, voire de leurs grands-parents, savaient également faire de la bonne musique.
La setlist est ensuite déclinée sans temps morts, toujours magnifiquement accompagnée par un light-show aux images dépouillées et élégantes inspirées par Peter Saville, graphiste qui a composé toutes les couvertures si singulières des disques. L’écran ce soir semble composé d’une pièce, en réalité la magie de la numérisation permet de de le scinder en plusieurs sous-écrans en fonction des besoins. Y sont projetés des images réelles ou des figures géométriques qui s’enchevêtrent sans fin. Le choix des couleurs est subtil. Le groupe ne délaisse pas les rayons laser, procédé un peu classique mais qui déclenche toujours la même féérie dans une salle de concert.
Depuis que New Order a pris la suite de Joy Division après le suicide de Ian Curtis son chanteur, la musique s’est faîte plus électronique et dansante. Dans les années 1980-1990 leurs tubes électro hantaient les dance floor et tous les jeunes de cette génération se sont déchaînés sur leurs rythmes à un moment ou un autre de leurs vies de nightclubbers. Mais c’était encore un temps ou les synthétiseurs et les boîtes à rythmes cohabitaient avec les guitares et les batteries et c’est ce qui fait tout l’intérêt des New Order encore aujourd’hui où cette bande de sexagénaires réussit à faire se trémousser des milliers de spectateurs comme un seul homme aux premières mesures de Temptation et autres hits de légende.
Oh, up, down, turn around Please don’t let me hit the ground Tonight, I think I’ll walk alone I’ll find my soul as I go home
(Temptation – 1982)
Les sons des guitares sont clairs et métalliques, leurs riffs endiablés, les rythmes de la batterie sont renforcés par l’automatisme des boîtes électroniques, quelques nappes de claviers adoucissent le côté saccadé de la musique et la voix de Barney, pleine et un peu forcée dans les aigus, marque la mélodie et emmène cet ensemble parfait et déchaîné.
Délaissant parfois sa guitare lorsque le vaisseau semble naviguer tout seul à la poursuite de son rythme infernal, Barney claque dans ses mains pour entraîner un public qui n’en a vraiment pas besoin. Gillian joue de la guitare sur Ceremony, Phil tapote parfois sur une boîte à rythmes entre deux riffs cinglants ou joue quelques notes de clavier pour épauler Gillian. Sur le final Blue Monday c’est Barney qui va jouer à quatre mains avec Gillian.
Le rappel est, comme toujours, consacré à des reprises de Joy Division qui enchantent le Zénith pendant que s’affiche sur l’écran « FOREVER JOY DIVISION ». Sur les dernières notes de Love Will Tear Us Apart ce sont les couleurs du drapeau ukrainien qui jaillissent à l’écran.
Les New Order sont maintenant les notables de l’électrorock, surfant toujours sur leur créativité de l’époque qui s’est prolongée jusque dans les années 2010. Leur dernier CD Music Complete est sorti en 2015 et c’était plutôt un bon disque dont l’extrait Restless a été joué ce soir. Un nouveau disque des Rolling Stones est annoncé, pourquoi New Order ne suivrait-il pas ce bon exemple ?
Setlist : Crystal (with false start)/ Age of Consent/ Ceremony/ Restless/ Shake It Up/ Isolation (Joy Division cover)/ Your Silent Face/ World/ Be a Rebel/ Waiting for the Sirens’ Call/ Sub-culture/ Bizarre Love Triangle/ Plastic/ True Faith/ Temptation/ Blue Monday
Encore : Atmosphere (Joy Division cover)/ Love Will Tear Us Apart (Joy Division cover)
Warmup : Mark Reeder, DJ diffusant des morceaux souvent remixés de NO
Carlos Santana est un immense guitariste mexicain né en 1947, par ailleurs compositeur et chanteur. Ce documentaire retrace sa vie jusqu’à ce jour. Né dans une famille modeste, son père joue du violon dans de petits orchestres de musique mariachi, il commence la musique au violon avec son père avant de passer à la guitare à l’âge de huit ans. Il joue dans de petits clubs de Tijuana où sa famille s’est installée avant de rejoindre les siens qui ont émigré à San Francisco. Il se fait remarquer en jouant dans la rue avec le Santana Blues Band, par Bill Graham le manager du célèbre Fillmore West, qui va lui faire assurer les premières parties de groupes légendaires : Grateful Dead, Jefferson Airplane. Alors que le groupe n’a pas encore publié de disque il joue au en 1969 au festival de Woodstock où sa prestation a été immortalisée dans le film éponyme, avec celle de son batteur halluciné. Tout ce petit monde porte les cheveux longs et flotte en quasi-permanence bien haut dans les paradis artificiels. Santana raconte dans le documentaire qu’en arrivant en hélicoptère sur le festival, Jerry Garcia du Grateful Dead lui passe un acide en le rassurant qu’il ne jouera que tard dans la nuit et qu’il a donc tout son temps. En réalité son groupe est appelé sur scène dans l’heure suivante…
Ce sont les années hippies où des jeunes musiciens de génie vont se laisser emporter par la drogue et les illusions pour rejoindre le paradis des rockeurs de façon anticipée : Jimi Hendrix, Janis Joplin, et bien d’autres. Santana fait un choix moins mortifère et se place sous l’enseignement du maître spirituel indien Sri Chinmoy jusqu’au début des années 1980, ce qui assure sans doute sa survie.
Tout au long de sa carrière, sa musique restera de caractère latinos avec une profusion de percussions, un exceptionnel toucher de guitare et quelques solos restés légendaires.
Santana commente avec bonhommie dans le documentaire toutes les étapes de cette vie de musicien d’exception. On aurait pu passer plus de temps sur des extraits musicaux que sur ses interviews, mais qu’importe, son parcours est mémorable.
Carlos Santana (à gauche) au Pavillion de Paris (1978)
C’est un torrent de rock et de fraicheur qui a débordé sur l’arène de Bercy ce soir emportant tout sur son passage, le retour des Louise Attaque sur la route depuis fin 2022 a connu ici une apothéose.
La scène ronde surélevée est installée au milieu du parterre avec en son centre comme une immense manche-à-air installée verticalement entre sol et plafond. Et lorsque les lumières s’éteignent et que retentit un sonore « Paris » lancé par Gaëtan, la manche à air se relève en s’enroulant sur elle-même, dévoilant une petite estrade ronde supportant le batteur et les trois Louise historiques qui jaillissent aussitôt pour s’égayer sur la scène. Des pieds de micro sont installés à chaque quart de la scène et les musiciens vont s’y relayer pour faire face alternativement à chaque quart de public. Tous les deux ou trois morceaux, un roadie se faufile discrètement sur la scène pour faire réaliser un quart de tour à l’estrade du batteur qui a ainsi l’occasion de battre devant tous les spectateurs.
A peine toute cette installation stabilisée le groupe entame Amours. Gaëtan Roussel, grand gaillard, les veines saillantes sur son crane glabre, est habillé d’un blouson de cuir bicolor, bleu nuit et crème, et de sa guitare acoustique rayée de partout. Arnaud Samuel le violoniste porte une veste élégante et de grosses lunettes, Robin Feix est en tenue plus détendue derrière sa grosse basse acoustique sous une casquette de titi parisien. Le batteur est le jeunot du quatuor qui l’a rejoint en 2015 après le départ Alexandre Margraff.
A peine terminé Amours sur les chapeaux de roue, Gaëtan court partout en interpellant « Paris » avec qui il va dialoguer tout au long du concert, pour nous annoncer cette fois-ci que le groupe va rejouer intégralement son premier disque, « Louise Attaque », sortie il y a 25 ans, déjà. Le groupe était alors totalement inconnu et ce disque rock, chanté en français, aux textes malins, a été alors vendu à 2 ou 3 millions d’exemplaires, déclenchant une bordée de tubes inoubliables qui sont tous repris ce soir dans l’enthousiasme général : J’t’emmène au vent,Les nuits parisiennes, Fatiguante… Et puis quand Gaëtan annonce une « vieille copine » on sait qu’il va nous reparler de l’inoubliable Léa :
Léa Elle est pas terroriste Elle est pas anti-terroriste Elle est pas intégriste Elle est pas seule sur Terre Elle est pas commode Non, elle est pas comme Aude Elle est pas froide Elle est pas chaude pour une nuit, réaliste Elle est pas créditeur Elle est pas méchante Mais putain qu’est ce qu’elle est chiante…
Repris en chœur par tous ceux qui connaissent si bien la vieille copine Léa !
Sur Fatiguante, le final instrumental n’en finit pas lorsque Gaëtan nous crie « on est bloqués Paris, on est bloqués »… et de demander à la foule un gros effort pour crier et débloquer la machine. Et figurez-vous que cela fonctionne à la fin !
Sur le final de Cracher vos souhaits la manche à air est re-déroulée jusqu’au sol, cachant la batterie. Les 3 Louise restant tournent autour en chantant a capella, la voix de Gaëtan juste posée sur la petite ritournelle de violon. Et puis la manche à air est enroulée, il n’y a plus de batterie sur la scène mais une nacelle qui descend du ciel avec à bord, la batterie et un second guitariste, pendant que qu’émerge du sol un claviériste et ses claviers. Les deux nouveaux portent fièrement le masque de Louise avec ses grands yeux et ses cheveux roux qu’ils gardent pendant la chanson Sortir de l’ordinaire qui introduit cette deuxième partie comme le dernier disque « Planète Terre ».
Le set est plus électrique et puissant grâce à l’apport des deux musiciens additionnels. Sur La frousse, les trois anciens s’assoient sur la nacelle qui remonte à un mètre de hauteur pour la durée de la chanson. A l’atterrissage, chacun s’empare d’une guitare électrique pour une interprétation éblouissante de Si l’on marchait jusqu’à demain. C’est le seul moment où Arnaud laisse son violon, il est chargé de la petite ritournelle de guitare qui ponctue la chanson :
Avalé par des yeux immenses En parler comme si c’était les miens Nager dans tes yeux leur élégance Voilà que moi, je baisse les miens
Longer tes jambes, immenses Tout ça mais comme alors si de rien Et ta démarche, quelle élégance Si l’on marchait jusqu’à demain
Oui mon chapeau, c’est une évidence N’a rien à voir avec le tien Mais notre amour, notre exigence…
L’arène de Bercy transpire avec ses héros.
Mais la fin du show se profile, sur un Tu dis rien qui s’étire à l’infini, les deux nouveaux musiciens chaussent leurs masques de Louise et Gaëtan joue une dernière fois avec son public en lui faisant réaliser des Hola ! avec téléphones allumés. C’est joyeux et bon enfant, suivi de la longue présentation des musiciens et de tout le staff, un par un suivi d’un sonore « s’il vous plaît » pour provoquer les applaudissements délivrés de bon cœur par une assistance aux anges.
Pour le rappel, les 3 historiques sortent de terre sur la nacelle qui tourne sur elle-même, en chantant cette simple et mélancolique chanson, l’Insouciance, trois notes de bass et une ritournelle de violon.
Ressentir petit à petit Plonger sans trouver d’abri Et l’insouciance qui me fuit Sentir son coeur qui s’amoindrit Il est si tard aujourd’hui Pas envie, pas envie, pas envie Et l’insouciance qui me fuit Voila le train qui me conduit
Et puis comme personne n’arrive à partir, le groupe reprend J’t’emmène au vent, à six cette fois-ci, et termine le morceau dans la fosse en une longue chenille qui chemine au milieu des fans repus et débordant de bonheur, avant de disparaître par l’une des portes du fond avec un puissant « Paris on vous aime ».
Ce groupe singulier et sympathique a marqué encore une fois par la qualité de sa musique et de ses textes, ainsi que par l’enthousiasme qu’il partage sur scène et déclenche dans les gradins. Une délicieuse soirée musicale !
Setlist
Set 1 : album Louise Attaque
Amours/ J’t’emmène au vent/Ton invitation/ La Brune/ Les nuits parisiennes/ L’imposture/ Savoir/ Arrache-moi/ Léa/ Fatigante/ Tes yeux se moquent/ Vous avez l’heure/ Toute cette histoire/ Cracher nos souhaits
Set 2 :
Sortir de l’ordinaire/ Nous, on veut vivre nous/ La frousse/ Si l’on marchait jusqu’à demain/ Lumière du soir – Lumière du jour/ Si c’était hier/ Avec le temps/ Tu dis rien
Encore :
L’insouciance/ J’t’emmène au vent
Warmup : Manon Bouquet présente Réalité dans lequel 3 danseurs et 2 danseuses sont lancés dans cet espace circulaire et tournicotent autour de la manche à air sur un fond musical dans une sorte de danse mi-contemporaine mi-hip-hop, pas désagréable à regarder.
Björk a délivré ce soir un show féérique dans l’arène de Bercy. La tournée de son spectacle Cornucopia avait été lancée en 2019 puis interrompue pour cause de pandémie avant d’être remodelée et relancée en Europe en ce mois de septembre. Les spectateurs sont avertis, il n’y a pas de première partie, il faut donc arriver à l’heure. En s’installant ils découvrent la scène masquée par un rideau de filins souples sur lequel est projeté une des images étranges qui peuplent l’univers éco-poétique de l’artiste, une sorte de gorgone sous-marine en couleurs pastel, pendant que sont diffusés les bruits de la jungle avec des cris d’oiseaux mélodieux.
On voit derrière en transparence et toute la soirée sera un jeu permanent d’ouverture/fermeture des différents niveaux de rideaux s’étageant sur la largeur de la scène et sur lesquels sont projetées les vidéos fantasmagoriques de l’univers de Björk depuis la sortie de ses deux derniers albums Utopia (2017) et Futura (2022). Ce dernier est basé sur l’inspiration nouvelle trouvée par l’artiste dans les champignons et la terre quand Utopia parlait de la recherche de l’amour, l’urgence écologique, le féminisme et l’exploration de l’utopie.
Au sujet de Futura, écrit et enregistré en Islande durant les confinements des années 2020-2021, elle écrit :
Chaque album commence avec un sentiment que j’essaie de transformer en son. Cette fois, le sentiment était que j’arrivais sur Terre et que j’enfonçais mes pieds dans la terre. C’est aussi lié à la façon dont j’ai vécu l’instant présent. Cette fois, 7 milliards d’entre nous en ont fait l’expérience en restant dans nos maisons, en nous isolant assez longtemps dans un seul et même endroit pour que l’on prenne racine.
Lorsque les lumières s’éteignent Björk et ses musiciens restent derrière le rideau frangé avant que celui ne s’entrouvre et laisse apparaître une scène divisée en deux pétales de nénuphar comme posés sur un lac, un peu décalés dans l’espace en hauteur et en largeur, et sur lesquels se succéderont les artistes. Une petite avancée circulaire au-dessus de la foule accueillera Björk ou l’un de ses musiciens au fil des morceaux. La disposition du parterre de Bercy est en places assises, pas d’excitation ni d’hystérie, juste la méditation que provoque la musique de l’artiste.
Sur la gauche des feuilles de nénuphar trône le percussionniste devant ses caisses et des xylophones étranges. Sur une chanson il mènera le rythme sur une espèce d’aquarium sonorisé en provoquant des effets d’eau qu’il fait couler depuis des calebasses qu’il manipule. Sur la droite se trouvent le claviériste et ses ordinateurs. Les autres musiciens sont composés par le sextet islandais de flutistes-danseurs Viibra et d’une harpiste. Les flûtes sont traversières et certaines sont singulières, la partie dans laquelle on souffle étant coudée à 180° par rapport au reste de l’instrument. Ces flutistes sont costumés de blanc, leurs atours, spécifiques à chacun d’eux, les font ressembler à des libellules ou des oiseaux plein de pureté.
Björk est habillée d’une robe bleue qui l’enserre de la tête aux pieds avec des excroissances en forme d’épaulettes, un drapé sur les jambes, un masque bleu-vert autour des yeux, descendant du front aux pommettes et, sur le ventre et le torse, comme un pétale d’hibiscus avec un grand dard dressé au milieu, au relent phallique et reproducteur peu caché, qu’elle portera fièrement durant tout le show.
Le concert débute sur trois morceaux d’Utopia et dès les premières notes de The Gate on plonge dans la musique particulière de la voix de Björk, douce et métallique, sans vibrato, qu’elle porte parfois à un paroxysme d’aigus :
My healed chest wound Transformed into a gate Where I receive love from Where I give love from
And I care for you, care for you I care for you Care for you, care for you
Ovule est la première référence à l’album de 2022 puis on remonte aux albums Début de 1993 avec Venus as a Boy et Medulla (2004) avec Show me Forgiveness avant de revenir à ses thèmes et disques plus récents : l’amour et la rencontre (Pagan Poetry), la souffrance (Losss), le désir (Blissing Me), la nature et les racines (Fossora), les origines (Sue me), le patriarcat (Tabula Rasa)…
Chaque chanson est une chorégraphie en soi, un enchantement de projections sur les voiles vaporeux qui créent un environnement poétique céleste. On ne comprend pas grand-chose à ces formes qui se créent sous nos yeux, grossissent, rampent, s’absorbent de façon un peu inquiétante mais nimbées de couleurs douces et rassurantes. On n’arrive guère à qualifier cette musique éthérée, entre jazz et électro. Est-elle harmonieuse ? Est-elle rythmée ? Elle est Björk, tout simplement et nous transporte dans le monde si original et personnel fruit de l’imagination débordante de sa créatrice et de ceux avec qui elle collabore pour produire ses disques et ses spectacles.
Avant que les musiciens ne reviennent pour le rappel, un discours de Greta Thunberg est projeté sur le rideau. Puis Björk revient habillée d’une robe classique crème à laquelle sont accrochées des tiges supportant des pétales de fleurs blanches sur le haut du corps et ce qui ressemble à des plumes qui entourent ses jambes. Le show se termine sur Notget, une ode à l’amour comme remède à la mort :
we carry the same wound but have different cures similar injuries but opposite remedies
after our love ended your arms don’t carry me without love i feel the abyss understand your fear of death
i will not forget this not get will you not regret having love let go after our love ended
your spirit entered me now we are the guardians we’ll keep her safe from death
love will keep us safe from death
Et Björk quitte la scène sur un cri en français : « merci beaucoup ».
On n’est pas sûr d’avoir tout compris ni des mots, ni de la musique, ni des images, mais on a tous été transportés dans l’univers onirique de cette artiste si particulière et, après tout, c’est l’essentiel. Et puis, le nom donné à cette tournée, Cornucopia, est le mot latin qui veut dire « corne d’abondance », tout n’est donc pas perdu.
Setlist
01. Family (intro)/ 02. The Gate/03. Utopia/ 04. Arisen My Senses/ 05. Ovule/ 06. Show Me Forgiveness/ 07. Venus As A Boy/ 08. Claimstaker/ 09. Isobel/10. Blissing Me/11. Arpegggio flute solo//12. Victimhood/ 13. Fossora / Atopos/ 14. Features Creatures/15. Courtship/16. Pagan Poetry/17. Losss/18. Sue Me/ 19. Tabula Rasa
Anne Queffélec (née en 1948) ouvre ce dernier concert du festival 2023 par un hommage à la pianiste Catherine Collard (1947-1993) qui a été directrice de ce festival breton et, surtout, interprète majeur de Schumann, Debussy, notamment. C’est le trentième anniversaire de son décès. Elle joua souvent avec Anne Queffélec et à la tendresse exprimée par cette dernière au souvenir de son amie, on comprend l’affection profonde qui gouverna leur relation musicale et personnelle. Emportée brusquement par un cancer à 46 ans elle a dédié sa vie à la musique et, lorsque sa carrière connut un creux, elle se dévoua à partager sa passion avec les élèves des conservatoires et les spectateurs des festivals qu’elle organisait. Elle était la marraine de Gaspard Deheane, le fils aîné d’Anne Queffélec, né en 1987, qui partage la scène ce soir avec sa mère.
Le concert commence avec une sonate de Haydn (1732-1809) jouée par Anne qui enchaîne sur la sonate « Au clair de lune » de Beethoven (1770-1827). Le second fut l’élève du premier, peu de temps, mais suffisamment pour que Haydn identifie son génie. La pianiste nous explique que Haydn était un homme robuste et joyeux, qui vécut très longtemps pour son époque quand Beethoven fut une personnalité torturée ayant affronté de longues périodes de dépression, dues notamment à sa surdité qui va progressivement devenir totale et le couper du monde.
Il exprima ce désespoir à ses deux frères dans une lettre qu’il ne leur envoya finalement jamais et qui fut retrouvée après sa mort : le « Testament de Heiligenstadt » dont un extrait nous est lu ce soir :
Finalement condamné à la perspective d’un mal durable (dont la guérison peut durer des années ou même être tout à fait impossible), alors que j’étais né avec un tempérament fougueux, plein de vie, prédisposé même aux distractions offertes par la société, j’ai dû tôt m’isoler, mener ma vie dans la solitude, et si j’essayais bien parfois de mettre tout cela de côté, oh ! comme alors j’étais ramené durement à la triste expérience renouvelée de mon ouïe défaillante, et certes je ne pouvais me résigner à dire aux hommes : parlez plus fort, criez, car je suis sourd, ah ! comment aurait-il été possible que j’avoue alors la faiblesse d’un sens qui, chez moi, devait être poussé jusqu’à un degré de perfection plus grand que chez tous les autres, un sens que je possédais autrefois dans sa plus grande perfection, dans une perfection que certainement peu de mon espèce ont jamais connue – oh ! je ne le peux toujours pas, pardonnez-moi, si vous me voyez battre en retraite là-même où j’aurais bien aimé me joindre à vous.
Victor Hugo parlait de lui comme « ce sourd qui entendait l’infini ! ».
Cette différence de personnalité se sent parfaitement dans les variations de leurs deux sonates. Le déroulement mélancolique du premier mouvement de celle de Beethoven nous plonge effectivement dans les tréfonds de l’âme sombre de ce compositeur d’exception : simplicité des notes et lente progression vers l’abime. C’est un trésor ! Le troisième mouvement très enlevé marque comme une réaction contre la tristesse, Beethoven se révoltant contre sa maladie ? Il est joué de main de maître par Mme. Queffélec.
Gaspard succède à sa mère sur le Steinway pour interpréter un autre trésor de délicatesse et d’à-propos avec « Clair de lune » de Debussy (1862-1918). Il accompagne notre méditation dans la pure beauté de cette musique pendant que le soleil se couche sur la mer derrière la baie vitrée où est placé le piano. Un instant d’absolu.
Suivent les Fantasiestückes de Robert Schumann (1810-1856). Encore une histoire douloureuse : Robert est empêché de se marier avec Clara Wicks (1819-1896) par les parents de celle-ci. Alors ils échangent des lettres journalières et, surtout, Robert compose pour Clara qui fut une pianiste exceptionnelle. Ces morceaux ont été écrits à cette époque de frustration mais la musique est allante, comme pour transcender ce sentiment négatif. Il y a de l’espoir dans les rythmes. Les deux musiciens finirent par se marier en 1840 avant que Schumann ne sombre dans la folie dix années plus tard et meurt dans un asile en 1856. Plus tard, Brahms (1833-1897), inspiré par Clara écrira son Concerto pour piano n°1.
La mère et son fils interprètent ensuite Schubert (1797-1828) à quatre mains après qu’Anne nous eut expliqué que « jouer à 4 mains ce n’est pas 2 fois plus facile, au contraire ! ». Encore un génie emporté dans la fleur de l’âge après avoir eu le temps de composer une œuvre magistrale, peu reconnue de son vivant. Anne et Gaspard échangent leur position entre le Rondo et la Fantaisie et nous offrent l’émouvant spectacle de la transmission du talent de la plus ancienne au plus jeune, tous deux réunis sur cette musique et leur amour familial. Œdipe doit voler au milieu des notes mais qu’importe, il est écrasé par Schubert.
Le rappel est « un retour aux sources » comme l’introduit Gaspard : une cantate de Bach transcrite pour piano à quatre mains.
Anne Queffélec reprend alors le micro pour remercier les spectateurs de participer par leur présence et leur enthousiasme à faire vivre la musique qui reste aussi le meilleur moyen de communiquer avec ceux qu’on aime, même quand ils nous ont quittés.
Ces deux interprètes remarquables nous ont emmené bien loin dans ce romantisme du XIXème siècle : douleur et génie pour un monde géants.
Robbie Robertson, fondateur canadien né en 1943, est mort à 80 ans ce 9 août. Guitariste, il a fondé le groupe The Band connu pour avoir accompagné Bob Dylan lors de sa mue vers l’électrique en 1965. Le groupe vivra aussi sa vie indépendamment de Dylan, sortira plusieurs disques et fera l’objet d’un superbe film de Martin Scorsese à l’occasion de son concert d’adieu le 25 novembre 1976. The Band a joué au festival de Woodstock en 1969.
Robertson continue ensuite à sortir des disques solos en collaboration avec de grands artistes comme Peter Gabriel, Eric Clapton, Trent Reznor… Il est mort de maladie, en musicien, sans doute pas loin de sa guitare.
Sergueï Rachmaninov (1873-1943), pianiste russe virtuose, compositeur majeur du XXème siècle, est célébré cette année par le festival de piano de la Roque d’Anthéron. Anna Geniushene et Lukas Geniusas, tous deux d’origine russe, nés à Moscou respectivement en 1991 et 1990, couple à la ville, jouent à deux pianos des œuvres du Maître, russe également.
Le premier morceau est une transcription de Rachmaninov pour deux pianos de La Belle au bois dormant, le célèbre ballet de Tchaïkovski. Le second a très fortement influencé le premier mais on préfère les œuvres originales de Rachmaninov. La suite n°1 pour deux pianos, hommage posthume au même Tchaïkovski (1840-1893), tend au sublime, tragique et enlevée, au milieu du chant des cigales de l’Espace Florans situé en extérieur au milieu des platanes. La dernière œuvre « Danses symphoniques » composée en 1940 est l’une des dernières écrites par Rachmaninov décédé en 1943. Elle est déjà nimbée de sonorités et de rythmes jazzy marquant le XXème siècle américain où est exilé le musicien depuis 1917. Elle termine en apothéose une soirée musicale de verdure et de virtuosité.
Le programme
Tchaïkovski/Rachmaninov : Suite de La Belle au bois dormant
Rachmaninov : Suite pour deux pianos n°1 opus 5 “Fantaisie-tableaux”
Rachmaninov : Danses symphoniques opus 45b
Bis
Rachmaninov : Six morceaux pour piano Opus 11 Valse n°4
Buddy Guy, musicien américain né en Louisiane en 1936, émigré à Chicago, légende du blues et de la guitare, 87 ans, passe à l’Olympia ce soir dans le cadre de son « DAMN RIGHT FAREWELL TOUR », à ne surtout pas manquer ! Père d’une discographie impressionnante, 50 opus répertoriés par Wikipédia, dont le premier date de 1967 et le dernier de 2022, l’artiste est toujours productif même si le titre de cette tournée semble indiquer que l’on s’achemine doucement vers une fin…
Buddy entre, habillé d’une resplendissante chemise à poids et d’une casquette grise, sa guitare crème en bandoulière. Il est accompagné d’un guitariste (Ric “Jaz” Hall) et d’un bassiste (Orlando Wright) qui pourraient être ses enfants, d’un batteur aux cheveux gris (Tom Hambridge) et d’un jeune claviériste (Dan Souvigny), tous deux blancs, qui ont d’ailleurs assuré la première partie.
Le bonhomme déclenche son petit succès lorsqu’il apparaît, auréolé de sa légende du blues. C’est le dernier des survivants de tous ces guitaristes que l’on croirait sortis d’un champ de coton de la guerre de Sécession dans l’Alabama. John Lee Hooker, Muddy Waters, B.B. King, Albert King… tous partis. Alors ce soir Buddy Guy est un peu le dernier des mohicans, rôle qu’il assure avec aisance. Bavard comme une pie, malicieux avec son public, il mime les gestes de l’amour avec son bassin contre sa guitare sur She’s Nineteen Years Old, il pose celle-ci à plat sur une enceinte pour en jouer avec une baguette de tambour… mais le meilleur est quand il en joue normalement et là, c’est un déchaînement de virtuosité mêlé de sensibilité. On y retrouve ces années de blues où cette musique était écrite et jouée comme sa vie en dépendait. Mais Buddy Guy ne s’est jamais départi de son bonheur de vivre en trimballant sa guitare sur les scènes du monde entier même si pour les musiciens de sa génération la guitare et le blues étaient aussi, et surtout, des alternatives à la lutte pour les droits civiques dont les résultats furent des plus modestes au siècle dernier.
Ce soir il interprète plus de reprises que de chansons originales, hommage à ses pairs, tous ces blueseux qui parcourent l’Amérique avec leur guitare pour s’extraire de leur condition misérable et, au passage, défendre l’émancipation des noirs dans leur pays. Cet extraordinaire sens musical leur a amené la reconnaissance et quand on voit leur influence sur le rock depuis des décennies on comprend la puissance de cette musique et l’incroyable talent de ceux qui l’ont créée et fait prospérer à travers les décennies. Il a joué avec les plus grands : Janis Joplin, The Grateful Dead, Eric Clapton, les Rolling Stones… Il a inspiré tant de groupes de rock et de guitaristes que l’on peinerait à les énumérer tous.
Entre deux pitreries il redevient sérieux en évoquant les conditions de son enfance miséreuse en Louisiane, interpellant les premiers rangs d’un « vous ne savez sans doute même pas où est la Louisiane ! ».
Mais il revient toujours à la musique et enchante l’assemblée lorsqu’il décline des solos avec une incroyable facilité. Et, lorsqu’il laisse la scène à son jeunot de guitariste, celui-ci développe une incroyable virtuosité, presqu’à l’égal de son Maître au meilleur de sa forme. Clou du spectacle : au terme d’une de ses envolées magiques, Ric « Jaz » fait tournoyer sa guitare comme une hélice de moulin ; elle est manifestement fixée sur un pivot accroché à sa bandoulière… Succès garanti !
Après avoir convoqué et joué tous ses grands anciens, Buddy tire sa révérence sur I Let My Guitar Do the Talking, le premier titre de son dernier disque de 2022 :
I left Louisiana Some 60 years ago Bought me a one way ticket To sweet home Chicago When I lost my way My fingers did the walking I don’t say too much I let my guitar do the talking
Il quitte la scène un peu brusquement, signe quelques autographes sur des vinyles tendus à bout de bras par les spectateurs des premiers rangs, distribuent ses médiators et rejoint les coulisses. Il n’y a pas de rappel mais qu’importe, nous avons communié avec l’un des derniers soldats du blues, cause qu’il défend depuis toujours avec le même talent empreint d’une joie communicative. Bravo l’artiste ! Reverra-t-on Buddy Guy sur scène ?
Dehors, une nuée de jeunes filles dorment sur le trottoir du boulevard pour être au premier rang du concert du groupe de bogoss britanniques The 1975 prévu demain. Avant-hier elles occupaient ce même trottoir pour assurer leurs places au concert de l’américaine Lana del Rey qui s’est déroulé hier. Pas sûr qu’elles connaissent Buddy Guy ?
Setlist : Damn Right, I’ve Got the Blues/ I’m Your Hoochie Coochie Man / She’s Nineteen Years Old/ I Just Want to Make Love to You (Willie Dixon cover)/ Love Her With a Feelin’ (Tampa Red cover)/ Fever (Eddie Cooley cover)/ How Blue Can You Get? (Johnny Moore’s Three Blazers cover)/ Grits Ain’t Groceries (Little Milton cover) (with snippets of « Sunshine of… more)/ Boom Boom (John Lee Hooker cover)/ Voodoo Child (Slight Return) (The Jimi Hendrix Experience cover)/ Strange Brew (Cream cover)/ Drowning on Dry Land (Albert King cover)/ Skin Deep/ I Let My Guitar Do the Talking
Chris Isaak nous revient cette année l’Olympia sans que le temps ne semble faire effet sur lui. A peine quelques rides viennent marquer le beau gosse de Stockton (Californie), il a 67 ans tout de même, habillé d’un costume rockabilly, plutôt moins flashy que d’habitude, noir à parements verticaux argentés, bottes cloutées et petit médaillon fermant son col de chemise blanche. Ses quatre musiciens sont en costumes noirs et chemises blanches de rigueur.
Pas de production discographique récente sinon un énième Christmas record sans doute de peu d’intérêt. Chris et son groupe tournent pour le plaisir et, peut-être un peu, pour remplir les caisses. Après tout la musique c’est aussi leur job.
Le show démarre sur un dynamique American boy suivi d’un enchaînement romantique Somebody’s Crying/ Waiting dans lequel Chris joue de sa voix en or pour nous enjôler et de ses mots mélancoliques pour serrer nos cœurs :
I know somebody and they cry for you They lie awake at night and dream of you I bet you never even know they do, but Somebody’s crying
A peine remis de ses émotions, le public entend Chris démarrer Don’t Leave Me on My Own en descendant sans sa guitare dans l’une des allées de l’Olympia qu’il remonte doucement en chantant avant de monter dans la mezzanine en poursuivant sur I Want Your Love puis de revenir sur la scène. Les spectateurs sont attendris oubliant que l’artiste est coutumier du fait, un petit truc qui réussit toujours bien pour se mettre le public dans sa poche.
Plutôt bavard ce soir, il prend le temps de nous remercier de soutenir la musique live par notre présence. La salle est pleine et disposée en format « senior » avec places assises dans l’orchestre dont les quinquas/sexas vont régulièrement se lever, parfois sur instruction de l’artiste, pour suivre le rythme.
Une fois Chris revenu sur scène son guitariste historique, James Calvin Wilsey, embonpoint sous costume croisé, entame la mélodie lancinante de Wicked Game, devenu un hit mondial après avoir été utilisé par le réalisateur David Lynch dans Sailor and Lula. C’est encore une histoire d’amour sombre, de sentiments trop violents, de ruptures inévitables, de renoncement face au monde qui ne fait que briser les cœurs :
Nobody loves no one
Une partie du show se joue ensuite avec les cinq musiciens assis sur des tabourets sur le devant de la scène. Viennent les reprises de Roy Orbison : Oh, Pretty Woman et Only the Lonely, et le souvenir de la rencontre d’Isaak avec Orbison dont il assurait la première partie et qui insistât pour que tous deux figurent sur la photo de presse. Sa guitare acoustique est siglée CHRIS ISAAK sur la table là où celle de Woody Guthrie affichait THIS MACHINE KILLS FASCISTS.
Il laisse ensuite cette guitare à son bassiste Rowland Salley, costume noir et chaussures rouges, pour interpréter une de ses propres compositions, Killing the Blues, rendue célèbre car reprise par un autre guitariste dont il feint d’oublier le nom, Robert Plant qui l’interpréta dans son duo avec Alison Krauss.
Help Falling in Love reprise d’Elvis, Blue Hotel et San Francisco Days nous enchantent. Le final Notice the Ring est l’occasion de derniers déhanchements de Chris derrière sa guitare et d’une chorégraphie des trois guitaristes en ligne mimant des mitrailleurs montant au front.
Nous sommes à Paris alors Isaak nous raconte avoir joué avec Johnny Halliday un immense rocker qui… lui faisait peur et avoir enregistré, il y a des années, Don’t leave me this way avec Etienne Daho dans un hôtel désert de Nashville dont il joue les premières mesures sur sa guitare. Le public adore.
Pour le rappel il revient comme à son habitude dans son habit de lumière, pantalon-veste recouverts de petits miroirs, pour entamer Baby Did a Bad Bad Thing avec une voix grave, menaçante et contenue qu’il libère en criant sur le refrain, et ponctue le final avec gourmandise de la ritournelle musicale de James Bond. Le dernier rappel est une reprise de James Brown avant laquelle nous avons droit une nouvelle histoire de Chris jeune chanteur attendant devant la loge de Brown après l’un de ses concerts pour se présenter : « bonjour je suis auteur-compositeur-interprète à la Warner Bros compagnie » et son interlocuteur de lui répondre d’un borborygme « Hhhngnn » que Chris cherche encore à interpréter aujourd’hui.
La musique d’Isaak est toujours un délicieux mélange entre rockabilly et pop mélancolique. Sa voix de velours lui permet de tout interpréter avec ses décrochements caractéristiques et sa montée en « voix de tête » dont il est capable de garder les notes très longtemps. Rien ne change vraiment dans l’ordonnancement de ses concerts sinon la couleur de ses costumes à motifs imprimés. L’homme est séduisant (élu en 1990 dans les 50 hommes les plus sexy par un magazine pipole américain, il est toujours célibataire), le musicien accompli, l’artiste émouvant… laissez agir, le plaisir des spectateurs est toujours aussi intense.
Setlist : American Boy/ Somebody’s Crying/ Waiting/ Don’t Leave Me on My Own/ I Want Your Love/ Wicked Game/ Go Walking Down There/ Speak of the Devil/ Oh, Pretty Woman (Roy Orbison cover)/ Forever Blue/ Two Hearts/ My Happiness (Elvis Presley cover) (first verse only)/ Only the Lonely (Roy Orbison cover)/ Dancin’/ Killing the Blues (Rowland Salley cover)/ Can’t Help Falling in Love (Elvis Presley cover)/ Blue Hotel/ San Francisco Days/ Big Wide Wonderful World/ Notice the Ring
Encore : Baby Did a Bad Bad Thing / Bye, Bye Baby / James Bond Theme/ Can’t Do a Thing (To Stop Me)/ The Way Things Really Are
Encore 2 : I’ll Go Crazy (James Brown & The Famous Flames cover)
Ils ne sont plus que deux, les deux derniers membres historiques du groupe britannique d’électro-pop Depeche Mode fondé en 1980 : Dave Gahan, le chanteur charismatique et Martin Gore guitariste et principal compositeur. Vince Clark et Alain Wider (qui l’a remplacé) sont partis depuis longtemps, Andrew Fletcher est mort l’an passé mais le duo résiduel est toujours actif. Martin et Dave ont tous les deux 61 ans. Leur dernier disque, Memento Mori, est sorti au printemps et Fletcher a participé à son écriture.
Lorsque les roadies descendent le rideau noir qui cache le fond de la scène, un M gigantesque en relief apparait, comme collé sur un immense écran, les branches du M servant également de rampes de lumière. Deux autres vastes écrans entourent la scène. Les derniers rayons du soleil dardent les tribunes est quand les quatre musiciens apparaissent et que résonnent les premières notes de My Cosmos Is Mine, premier titre de Memento Mori.
La formation est réduite, Fletcher n’a pas été remplacé numériquement. Les deux musiciens additionnels pour la tournée sont Christian Eigner à la batterie et Peter Gordeno aux claviers. Dave Gahan est habillé en noir avec des santiag blanches et un gilet au dos est jaune canari. Martin Gore est toujours vêtu d’habits noirs à mi-chemin entre un équipement de motard et une tenue sadomasochiste, il y a des chaînes et des sangles qui pendouillent, dont l’une lui reliant les deux mollets. Il alterne entre sa guitare et ses claviers.
Le concert démarre avec deux morceaux du dernier disque Memento Mori, sorti récemment, envahi de noirceur, dont le titre signifie « Souviens-toi que tu vas mourir ». Il mérite certainement une écoute plus attentive pour l’apprécier à sa juste valeur mais le Stade de France attend pour l’instant les hits légendaires du groupe. Et ceux-ci arrivent avec Walking in my Shoes accompagné des premiers déhanchements torrides de Dave.
Les morceaux se succèdent, entrecoupés des nouveautés de Memento Mori. Comme c’est la tradition, Gahan laisse la scène à Gore pour une interprétation solitaire de Home et Soul with me. Sa voix plus fluette et aigue que celle de son compère, grave et puissante, apaise le stade. Il a l’air un peu perdu seul au milieu de cette immense scène. Autant Dave tourne dans tous les sens, emplissant l’espace démesuré, agitant les bras en moulinets, alternant à droite de la scène, à gauche, et sur l’avancée au milieu des spectateurs, autant Martin est avare de ses gestes, statique derrière son micro. Des cheveux blonds-gris coiffés en brosse, des rides qu’il ne cherche plus à cacher, une démarche hésitante avec un costume compliqué qui de toute façon contraint ses mouvements, on est tout de même face à l’une des plus grands créateurs de hits électroniques de ces quatre dernières décennies. Sur Enjoy the silence il termine le premier set avec un solo de guitare sur le manche de laquelle il préfère en général déployer des arpèges en mode mineur, quand il n’est pas derrière ses synthétiseurs. Lorsqu’il chante avec Gahan, il l’accompagne à l’octave supérieure mêlant leur voix en un superbe duo affichant une complicité vocale reposant sur des années de partage, de disques et de tournées.
Sur Word in my Eyes, les écrans affichent une image fixe en noir-et-blanc d’Andy Fletcher, encore jeune et le groupe lui rend ainsi hommage :
Let me put you on a ship On a long, long trip Your lips close to my lips All the islands in the ocean All the heavens in motion Let me show you the world in my eyes
Le show se termine sur un redoutable enchaînement, dansant et dynamique : Wrong/ Stripped/ John the Revelator et l’ultime Enjoy the Silence.
Pour le rappel, Dave revient avec un gilet à dos rose… pour entamer un émouvant Waiting for the Night en duo avec Martin, tous deux sur l’avancée de la scène. Leurs deux voix sont parfaitement posées sur un fond de piano mélancolique :
I’m waiting for the night to fall I know that it will save us all When everything’s dark Keeps us from the stark reality I’m waiting for the night to fall When everything is bearable And there in the still All that you feel is tranquillity
La nuit est tombée maintenant sur Saint-Denis et les Depeche Mode vont bientôt nous rendre à notre tranquillité non sans nous avoir menés une dernière fois sur les grandes cavalcades de leurs tubes électro légendaires avec Just Can’t Get Enough/ Never Let Me Down Again/ Personal Jesus pour un feu d’artifice final.
Un joli concert présentant la musique du groupe sous un jour un peu nouveau. Le non-remplacement de Fletcher donne plus de place aux voix qu’aux instruments, cette situation est encore accentuée par le dépouillement de la scène et du light-show. On s’y fait d’autant plus rapidement que le chant de Dave Gahan se bonifie avec le temps et sa voix puissante remplit sans effort l’enceinte du Stade de France. Il n’a pas perdu une once de technique, l’émotion ou le rythme affleurent à chaque couplet avec toujours autant d’énergie. Sa présence monopolise l’attention et ses pirouettes sont menées avec l’élégance d’un danseur classique. Les compositions de Martin Gore sont le réceptacle parfait pour les performances de ce personnage hors du commun. La scène semble lui faire oublier les phases troubles par lesquelles il est passé au long de sa carrière, de sa vie. Quarante ans après leurs débuts le groupe manifeste toujours un même enthousiasme, continue à composer et à remplir les stades. Ces Anglais ont la joie et la musique communicatives, c’est admirable et permanent.
Setlist : Speak to Me (Outro)/ My Cosmos Is Mine/ Wagging Tongue/ Walking in My Shoes/ It’s No Good/ Sister of Night/ In Your Room (Zephyr Mix)/ Everything Counts/ Precious/ Speak to Me/ Home/ Soul With Me/Ghosts Again/ I Feel You/ A Pain That I’m Used To (Jacques Lu Cont Remix)/ World in My Eyes (Dedicated to Andrew Fletcher)/ Wrong/ Stripped/ John the Revelator/ Enjoy the Silence
Encore : Waiting for the Night (Peter and Christian on keyboards)/ Just Can’t Get Enough/ Never Let Me Down Again/ Personal Jesus/ Happy Birthday to You (Mildred J. Hill & Patty Hill cover) (Dedicated to « Paris » after a spectator asked DM via a sign to sing « Happy Birthday » for a friend.)
Warmup : Jehnny Beth, ex-chanteuse française du groupe britannique féminin Savages
Le musicien français Jean-Louis Murat (1952-2023) est mort ce 25 mai à l’âge de 71 ans. Rocker bougon et poète, il était fermement attaché à son Auvergne natale où il réside et enregistre ses disques. Ses textes sont empreints de poésie et sa musique souvent originale, empruntant parfois des voies électro intéressantes.
Roger Waters, 79 ans, bassiste cofondateur des Pink Floyd en 1965, fait parler de lui non seulement par des interventions politiques pas toujours très consensuelles, irriguées par un antimilitarisme et un antiimpérialisme (essentiellement dirigé contre les Etats-Unis) sur lesquels il s’est construit, et finalement de peu d’intérêt, mais, surtout par une tournée mondiale qui est passée ce soir à Paris. Sur le billet émis pour le concert il est écrit : « Roger Waters – his first farewell tour – this is not a drill ». Voilà qui semble laisser entendre que l’histoire n’est peut-être pas encore terminée. Si Dieu lui prête vie, nous devrions le revoir en concert !
Le Pink Floyd fut l’un des groupes phare des années 1970-1980, toujours présent sur la scène rock ensuite, au hasard des brouilles entre ses membres et des reformations, jusque dans les années 2000. Waters en est devenu le meneur après le retrait de Syd Barett, en indigestion de LSD, place qu’il se disputât avec l’immense guitariste David Gilmour avant de définitivement abandonner le groupe au mitan des années 1980.
La setlist de la tournée actuelle est surtout composée de morceaux des Pink Floyd. Lorsque les portes de Bercy s’ouvrent, les spectateurs découvrent une immense croix posée au sol au centre du palais et dont les quatre côtés de 3 ou 4 mètres de hauteur séparent la scène en quatre quarts, les huit côtés se transformant en huit gigantesques écrans.
Lorsque les lumières s’éteignent démarre une version lente et sombre de Comfortably Numb pendant que les écrans diffusent des images vues de ciel d’une ville vide et dévastée, comme anéantie après un conflit nucléaire. Avec ces vues en vert de gris qui défilent lentement sur fond de bitume, de béton et de buildings, on se croirait dans un roman de Cormac McCarthy… Cette chanson est extraite du grand œuvre floydien de Waters : The Wall, et lorsque retentit le Hello répercuté à l’infini par la réverbération, les sexagénaires se retrouvent projetés d’un coup dans leur jeunesse, en 1979 année de sortie du double-vinyle qui donna lieu aussi à un film d’animation de légende signé par Alan Parker. Le thème de ce concept-album est celui de l’isolement qui mène à la folie…
Hello? (Hello, hello, hello) Is there anybody in there? Just nod if you can hear me Is there anyone home?
Come on (Come on, come on), now I hear you’re feeling down Well, I can ease your pain And get you on your feet again
Relax (Relax, relax, relax) I’ll need some information first Just the basic facts Can you show me where it hurts?
A la fin de cette introduction sur le chant majestueux d’une des choristes, la croix se soulève, et restera fixée au-dessus de la scène pour le reste du show, servant d’écrans de projection pour illustrer les morceaux et les messages de Waters.
Roger Waters est habillé en jeans et t-shirt noirs, échangeant les instruments et les places sur la scène centrale au fur et à mesure de la progression du concert. Les morceaux défilent nous rappelant les albums des Pink Floyd dont cette musique psychédélique, souvent planante, a bercé les années 1960-1970 et dont des millions d’exemplaires ont été vendus à travers le monde : Another brick in the wall, Wish you were here, Shine on you crazy diamond, Money, Us and them… L’assistance se laisse aller gentiment sur ces mélodies du bonheur, même si les textes ne fleurent pas toujours une franche joie de vivre. Mais quelle créativité de ces musiciens, quelle somptuosité de cette musique !
Quelques chansons en propre de Waters s’insinuent dans les interstices, elles sont moins connues.
Sur In the flesh, Waters apparaît en manteau de cuir noir, costumé en dictateur avec un brassard rouge aux relents nazis, reprenant le personnage du film de Parker pendant que sont diffusés des slogans antifascistes, anti-impérialistes et anti-oppressions en tous genres. Les noms de quelques martyrs récents se succèdent en rouge sur les écrans, Anne Franck y croise… Adama Traoré qui déclenche un hourvari du public français. Entre les chansons il reprend son souffle en déclinant des discours politiques un peu simplistes mais sans doute sincères. Il réussit même à déclencher des « Macron démission » qui s’éteindront assez vite au milieu des spectateurs qui ont tout de même payé leurs billets en 100 et 150 euros. Aucun président américain ne passe la rampe et ils se font copieusement abominer par l’artiste. Le nom de Trump est même apposé sur le flanc d’un cochon volant qui parcourt l’espace en mémoire de celui volant entre les cheminées d’usine sur la couverture de Animals (1977) dont Sheep est joué ce soir en fin de première partie. Sur l’autre flanc du cochon-drone est inscrit un rageur « Fuck the poor ». C’est du deuxième degré bien sûr.
Les projections suivent le rythme des morceaux. D’une qualité technique remarquable elles présentent toute la misère de la planète : des bombardements en Palestine, des drones de combat en Irak, la famine dans des camps de réfugiés, des images d’enfants désespérés… le tout agrémenté de slogans politiques en immenses lettres rouges. C’est la dévastation du monde transposée en format numérique. Impressionant !
Sur Shine on you les écrans racontent son amitié avec Syd Barrett avant qu’il ne sombre dans la maladie et quitte le groupe n’étant plus en mesure d’y jouer son rôle. La chanson est un hommage à Syd, tous deux ont lancé l’une des plus formidables expériences musicales du XXème siècle, alliant psychédélisme et surréalisme sur fond d’une extraordinaire musique progressive rarement entendue à l’époque, ni depuis d’ailleurs. La folie et l’aliénation qui ont atteint Barrett ont aussi profondément marqué Waters qui en fera deux des thèmes particuliers de son œuvre inspirée.
Remember when you were young You shone like the Sun Shine on, you crazy diamond
Now there’s a look in your eyes Like black holes in the sky Shine on, you crazy diamond
Les Pink Floyd ont aussi lancé le principe des concerts gigantesques avec des installations techniques innovantes à une époque où ce n’était pas si courant (écrans géants, rayons laser…) et auxquels se prêtaient si bien leur musique et leurs excès. Waters en perpétue la tradition ce soir avec l’apport de la technologie moderne et, sans doute, de gros moyens. C’est un spectacle complet mené de main de maître par une équipe de musiciens hors pair. Mention spéciale pour le guitariste David Kilminster, chevelu en perfecto noir, qui jouait déjà sur la précédente tournée du Maître, on peut dire qu’il se défend remarquablement bien. Un autre guitariste chevelu, à la voix plus douce, assure le chant réservé à Gilmour sur les disques. Remarqués aussi, deux merveilleuses choristes et un saxophoniste envoutant.
Pour le final The bar et Outside the wall, tous les musiciens se rassemblent autour du piano sur lequel joue Roger avant de partager un verre de mescal à la santé de cette exceptionnelle soirée musicale. Les musiciens sortent à la queue-leu-leu et leur tête est filmée sur les écrans avec, inscrits en sous-titre, leurs noms et instruments utilisés.
Le concert a duré un bon 2h30, ce soir le musicien Roger Waters a été sublime et a su faire vivre cette musique exceptionnelle qu’il a contribué à créer il y a plusieurs décennies.
Bruce Springsteen et les 17 musiciens du E-Street Band ont asséné un coup de massue aux 40 000 spectateurs de la Défense Arena ce soir pour le deuxième concert parisien de leur tournée mondiale. La dernière fois que ce groupe de légende et son leader de fer étaient passés par Paris remonte à 2016. A 73 ans, Bruce ne lâche pas l’affaire, continue à sortir des disques (en solo ou avec le E-Street Band), à faire des tournées internationales et, surtout, à déclencher le même déchaînement d’affectueuse reconnaissance de ses fans à travers le monde entier.
Ce soir n’a pas dérogé à la règle maintenant bien établie depuis le début des années 1970, les débuts du groupe et la sortie son premier album : Greetings from Asbury Park, N. J.. Seule la taille des salles les accueillant et la composition de la bande a évolué vers le toujours plus grand.
Après le décès de deux membres fondateurs, Clarence Clemons, saxophoniste, en 2011 et Danny Frederici, claviériste, en 2008, tous amis très proches de Bruce, le groupe a été étoffé d’une section cuivre, dont Jack Clemons, neveu de Clarence, au saxophone et de choristes. Ce soir c’était 17 musiciens qui œuvraient sur scène pour encadrer Bruce et cela fait tout de même beaucoup de monde.
« One-Two-Three-Four »
Les lumières s’éteignent à 19h15 pour laisser entrer les musiciens qui montent, un par un, un escalier violemment éclairé pour atteindre la scène gigantesque, les images retransmises sur trois vastes écrans, déclenchant un hourvari grandissant des spectateurs, Springsteen arrivant le dernier dans un tonnerre d’acclamations. Ne perdant pas trop de temps à cultiver les applaudissement, Bruce n’a jamais le temps, il démarre le show sur My Love Will Not Let You Down et ne l’arrêtera que 3 heures plus tard, sans un instant de respiration, les notes finales d’un morceau devenant celles lançant la chanson suivante, lancée par les classiques « One, Two, Three, Four ». My Love est une chanson datant des années 1980 jouée plutôt rarement sur scène ; une excellente façon de démarrer cette soirée dont la setlist réservera d’autres surprises. Il enchaîne ensuite sur Death to My Hometown le single de Wrecking Ball sorti en 2012, reconnaissable à sa rythmique celtique jouée avec ardeur par les cuivres.
Sur No Surrender Steve arbore une guitare décorée aux couleurs bleu et jaune du drapeau ukrainien :
Blood brothers in the stormy night with a vow to defend No retreat, baby, no surrender
There’s a war outside still raging You say it ain’t ours anymore to win I want to sleep beneath peaceful skies In my lover’s bed With a wide open country in my eyes And these romantic dreams in my head
Because we made a promise we swore we’d always remember No retreat, baby, no surrender Like brothers in the stormy night with a vow to defend No retreat, baby, no surrender No retreat, baby, no surrender
Régulièrement Bruce hurle « Come on Steve » et son vieux compère vient reprendre les refrains au même micro, à l’octave au-dessus, d’une voix un peu nasillarde, la tête toujours couverte d’un foulard-bandana, les oreilles décorées de plumes accrochées à des boucles, portant d’improbables costumes moitié-pirate, moitié-pacha ottoman, des bottes effilées à bouts (très) pointus et aux reflets argentés, ses guitares décorées de motifs cachemire plutôt originaux. Steve Van Zandt, le vieux pote du New Jersey, qui a déserté le E-Street Band quelques mois avant d’y redevenir le pilier qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être.
Le sombre Darkness on the Edge of Town vient calmer quelque peu l’ouragan qui fait rage dans l’Arena, extrait du disque du même nom, sorti en 1978, sans doute le meilleur de tous, dont est extrait également l’inégalable Badlands qui clôture le premier set du show.
Il y en a pour tous les goûts
Deux reprises (les Comodores [où a chanté Lionel Richie] et The Weavers [fondés par Pete Seeger]) donnent lieu, peut-être, à quelques longueurs durant lesquelles les cuivres sont en démonstration. Evidemment les vieux fans préfèrent la formation initiale du E-Street Band dans laquelle seul Clarence Clemons assurait les cuivres avec son sax, et il n’y avait pas de choristes. Aujourd’hui le groupe tourne parfois un peu au brass band de la Nouvelle Orléans s’éloigant de l’esprit rock d’origine. Tous ces musiciens ajoutés ne sont pas présents sur la scène pour tous les morceaux. Il y en a ainsi pour tous les goûts. C’est aussi bien.
Last Man Standing est jouée par Bruce seul à la guitare acoustique avec seulement un déchirant solo de trompette au milieu. Springsteen explique en introduction (traduite en français sur les écrans) qu’il a écrit cette chanson après la mort de son ami George Theiss : « En 1965 il m’a fait intégrer mon premier groupe de Rock & Roll, The Castiles. Il sortait avec ma sœur et c’est très bien ainsi. Il a transformé ma vie pour toujours et maintenant je suis le dernier survivant de ce groupe. La mort offre aux survivants une vision élargie de la vie elle-même. Cela m’a permis de saisir à quel point il est important de vivre chaque instant. Alors soyez bons avec vous-mêmes, avec ceux que vous aimez et envers ce monde dans lequel nous vivons. »
Born to Run
Lorsque Springsteen entame une chanson au micro, il se débarrasse de sa guitare en la balançant à un roady en fond de scène dix mètres plus loin. Dans la brulante urgence qui saisit le concert, il n’a pas le temps de la déposer sur un support, les musiciens ont déjà lancé l’intro. Bruce n’a jamais le temps, « Born to run » est la devise ! Ce soir en tout cas le roady a réceptionné les guitares sans casse à chaque envoi…
L’indestructible Roy Bittan, le seul non vêtu de noir mais d’une veste en cuir marron, entame l’intro de Because the Night, une ode à l’amour et à la jeunesse, coécrite en 1978 par Bruce et Patti Smith. Le pianiste virtuose apporte une touche particulière à l’atmosphère musicale du groupe. Il est plutôt rare de voir un piano à queue sur une scène rock mais en martelant ses accords sur les touches de son piano il enrichit l’électricité des guitares. Un cocktail parfait. Nils Lofgrens effectue un magnifique et original solo sur ce morceau. Il joue avec un onglet au pouce droit ce qui donne une allure particulière à son jeu de main. De petite taille il ressemble un peu au fou du roi : chapeau rond en cuir noir, tunique noire décorée de motifs blancs dans le bas, des morceaux de tissus sont accrochés au manche de sa guitare et volètent au fur et à mesure du jeu.
La première partie se termine sur un Badlands enfiévré repris en chœur par des gamines de 17 ans pour un morceau écrit 40 ans avant leur naissance…
Badlands, you gotta live it everyday Let the broken hearts stand As the price you’ve gotta pay We’ll keep pushin’ till it’s understood And these badlands start treating us good
Un diabolique enchaînement
Les dix-huit musiciens se réunissent sur le devant de la scène pour saluer, ne prennent même pas la peine de réintégrer les coulisses et repartent d’un seul homme sur leurs instruments pour les rappels avec un diabolique enchaînement de Born in the U.S.A./ Born to Run/ Bobby Jean/ Glory Days/ Dancing in the Dark. L’audience hurle, saute, trépigne, chante, déborde de bonheur et l’arène de Nanterre rend les armes, estourbie et comblée.
Contrairement à l’habitude Bruce n’invite pas une spectatrice sur scène sur Dancing in the Dark, grosse déception dans les premiers rangs où manifestement toute une armada de jeunes filles se préparaient à ce quart d’heure de gloire dans les bras du « Boss ». De même, il ne propose pas à l’audience de demander des chansons particulières, généralement écrites sur un carton brandi devant la scène. Les cartons fleurissent mais sans succès.
Les dernières notes de Tenth Avenue Freeze-Out retentissent alors que les images-hommage de Clarence et Dany défilent sur les écrans. Bruce se tient ensuite en haut de l’escalier et salue chacun de ses musiciens qui le redescendent, fourbus, débordant de bonne humeur, manifestement heureux de cette nouvelle messe rock célébrée à Paris. Le dernier à passer est Jack Clemons qui échange une longue accolade avec le Boss. C’est le neveu de son ami Clarence qui a tant donné au E-Street Band. Sans doute une relation filiale qui perdure…
« The E-Sreet Band loves you Paris »
Et Springsteen revient sur scène avec sa guitare acoustique pour une émouvante interprétation de I’ll See You in My Dreams, précédé d’un « on vous aime Paris » ! Une chanson douce et mélancolique de 2020 sur l’ami qui est mort mais dont on a gardé les disques et la guitare et qu’on reverra dans nos rêves pour vivre et rire ensemble, encore, car « la mort n’est pas la fin ».
D’origine irlandaise par son père, italienne par sa mère, Bruce Springsteen a su capter comme aucun les humeurs et la vigueur de l’Amérique. Avec son incroyable et unique bande de copains-musiciens il délivre la puissance dont son pays est capable, avec ses mots simples il illustre la sensibilité des histoires de tout le monde. Sa voix rocailleuse soulève les âmes et les foules. Lorsqu’il chante les veines de son front se gonflent sous la tension, les jugulaires strient le cou, les rides sur ses joues s’étirent, ses yeux se plissent de joie et, le plus souvent, un rire éclatant illumine son visage rayonnant.
Une légende vivante
Alors bien sûr, à 73 ans les thèmes abordés tournent un peu à la mélancolie, mais qu’il parle d’histoires d’amour adolescentes, de vétérans de la guerre du Vietnam, des usines qui ferment, des Twin-Towers qui s’effondrent, des amis qui disparaissent, il le fait avec le feu et la tendresse qui lui valent le respect de tous, depuis plus de 50 ans.
On ne sait pas bien quand Springsteen raccrochera ses guitares, sans doute jamais, ce genre d’artistes meure sur scène même si on lui, et nous, souhaite encore de nombreuses années de musique. Mais quand on se retourne sur sa carrière, l’œuvre immortelle déjà laissée laisse pantois. Quand on l’entend asséner Born to Run avec la même énergie qu’il y a 50 ans : chapeau bas ! Et puis l’homme inspire aussi tellement de sympathie comme l’illustrent sa flamboyante autobiographie en 2016 « Born to Run », ses engagements politiques, sa prestation avec Pete Seeger pour chanter This Land is your Landsous la statue de Lincoln à Washington pour la première investiture du président Obama…
Bruce Springsteen, une légende américaine !
Setlist
My Love Will Not Let You Down/ Death to My Hometown/ No Surrender/ Ghosts/ Prove It All Night/ Darkness on the Edge of Town/ Letter to You/ The Promised Land/ Out in the Street/ Kitty’s Back/ Nightshift (Commodores cover)/ Mary’s Place/ Pay Me My Money Down (The Weavers cover)/ The E Street Shuffle/ Last Man Standing (acoustic, with Barry Danielian on trumpet)/ Backstreets/ Because the Night (Patti Smith Group cover)/ She’s the One/ Wrecking Ball/ The Rising/ Badlands
Encore : Born in the U.S.A./ Born to Run/ Bobby Jean/ Glory Days/ Dancing in the Dark (followed by band introductions)/ Tenth Avenue Freeze-Out (pictures of Danny Federici… more)/ I’ll See You in My Dreams (solo acoustic)
1 guitariste (Nils Lofgrens qui joue aussi dans le groupe de Neil Young Crazy Horse, presque désormais devenu « historique »), 1 clavier (Charles Giordano), 1 violoniste/guitariste/choriste (Soozie Tyrell), 1 percussionniste, 5 cuivres (dont Jack Clemons devenu le clone instrumental de son père et avec un vague air de Laurent Voulzy en plus costaud), 4 choristes.
Patti Scialfa, Mme. Springsteen à la ville, choriste/guitariste, souvent présente sur les tournées n’est pas là ce soir.