Sortie : 1987, Chez : Editions Grasset & Fasqelle.
Elie Wiesel (1928-2016), rescapé des camps d’extermination et éternel penseur-témoin de la barbarie européenne, traite dans ce roman, à travers le personnage de Raphael Lipkin, adolescent juif durant la seconde guerre mondiale, les deux sujets centraux de sa vie : la Shoah et le Talmud, concepts paraissant plutôt incompatibles mais dont la cohabitation au cœur du XXème siècle va être le centre de son œuvre littéraire et philosophique.
Une fois réchappé du massacre où il a laissé la majeur partie de sa famille, Raphael, installé aux Etats-Unis d’Amérique part en 1946 à la recherche de Pedro, dirigeant d’un réseau de soutien aux juifs rescapés (la Briha) qui l’a aidé et fortement impressionné durant un périple qu’ils ont réalisé ensemble, des Carpathes vers Paris à la fin de la guerre. Cette recherche va le mener dans un asile « de fous » new-yorkais au sein duquel il passe plusieurs semaines à la rencontre de ses pensionnaires, tous emberlificotés dans les liens étranges entre leur souffrance, leurs souvenirs tragiques et Dieu.
Il ne retrouve pas vraiment Pedro ni ne règle la question de son éventuelle trahison, mais il sombre dans les questions sans fin qui sont celles auxquelles Wiesel croit avoir répondu par l’existence de Dieu, ce qui permet au moins de repousser la fuite dans la « folie » :
« … j’en viens à me demander si Dieu ne serait pas tout simplement trop occupé ailleurs. Autrement dit : s’il ne serait pas indifférent. Se voulant au-dessus de la mêlée, il laisserait faire. De son trône, il surveille peut-être la scène, intervenant parfois, rarement, dans tel acte, dans tel mouvement mais sans faire vraiment sentir sa présence. Ce qui expliquerait la mort des innocents, la faiblesse des victimes, la vulnérabilité des justes. Leurs prières ne sont pas reçues. Leurs dons sont renvoyés. Entre Dieu et les hommes, aucun contact.
Dieu ? Un étranger parmi les étrangers. Mais alors, à quoi bon le servir ? A quoi cela sert-il de lui rester fidèle ? Quel est le sens de l’alliance si Dieu n’y participe guère ? Si l’ennemi peut bâtir un ghetto de la faim, un ghetto de la honte, un ghetto de la mort, sans que Dieu s’y intéresse, alors l’aventure humaine est condamnée d’avance.
Mais il y a pire. Oui, pire que l’idée d’un Dieu cruel, pire que la notion d’un Dieu indifférent. Dans l’histoire juive, il y a toujours pire. »
Wiesel qui a connu le pire dans les camps d’extermination, continue à interroger sa foi en soutenant que Dieu n’est ni cruel ni indifférent même s’il a laissé l’homme sombrer dans la barbarie. Ceux qui n’ont pas eu cette foi ont effectivement parfois sombré dans la folie.
Le livre est dédié à Jacques Attali.