Flamboyant concert ce soir à Bercy de l’Etienne Daho Show qui met ici le point final à une tournée dans les grandes salles françaises. La mise en scène est gigantesque, plutôt inhabituelle pour notre crooner rennais habitué généralement aux salles classiques comme l’Olympia, plus propices à l’intimité de ses chansons tourmentées. Mais la tournée lancée après la parution cette année de son dernier disque, Tirer la nuit sur les étoiles, a volontairement pris le chemin d’un jouissif grandiose qui a émerveillé les Parisiens.
Trois immenses murs de diodes LED bordent le fond de la scène, un quatrième au plafond et le sol brillant qui réfléchit les animations projetées referme la boîte à images dans laquelle sont positionnés les musiciens, comme dans un théâtre. Et le spectacle y est époustouflant, alternant animations et films naturalistes, le tout dans une permanente explosion de couleurs et de créativité assez exceptionnelle. Daho explique dans des interviews qu’il a fixé des mots clé pour chaque chanson afin que la société Mathematic Studio, habituée des grandes réalisations pour le rock (U2, The Chemical Brothers…), alliée à la puissance de calcul moderne, compose ce kaléidoscope féérique sur lequel sont posés les 26 morceaux joués ce soir.
Lorsque les lumières s’éteignent les premières notes de L’Invitation retentissent. Daho apparaît au fond de la scène au pied des 4 lettres blanches composant son nom en 4 mètres de haut. Il est vêtu d’un pantalon noir et d’une veste sombre parsemée de paillettes dorées et cuivrées sur lesquelles vont se réfléchir la soirée durant les projecteurs braqués sur la vedette.
Ah ! je brûle je brûle, les tentacules m’attrapant du fond des enfers
Me donnent la cruelle sensation de marcher pieds nus sur du verre
La bonté de ta main généreuse et parfaite qui me fait signe d’avancer
Me donne l’aimable sensation d’être à la vie de nouveau convié, convié
Ah ! qu’y puis-je ah qu’y puis-je, la liqueur volatile je veux toute la partager
À la table des poètes, des assassins, tout comme moi ici conviésVolontiers j’accepte le meilleur traitement
Que l’on réserve tout exclusivement
Aux invités le festin nu, qui fait les langues au soir se délier, se délier yeah
Yeah yeah yeah…
On ne saurait si bien dire et 15 000 spectateurs font un triomphe à cette intro menée tambour battant, guitares et batterie marquant le beat brûlant de la chanson lançant l’éblouissante fantasmagorie de lumières qui va nous accompagner toute la soirée. Alors qu’il arpente le devant de la scène annonçant Sortir ce soir, Daho salue le public, le retrouvant avec affection dans la cathédrale de Bercy, expliquant que son « cœur explose » de jouer ici ce soir. Toujours timide et sensible, les années de métier n’ont pas entamé une émotivité à fleur de peau. Sur la scène immense sont étagés un quatuor à cordes (deux violons, un alto et un violoncelle), François Poggio (guitare), Colin Russeil (batterie), Marcello Giuliani (basse) et Jean-Louis Piérot (claviers & guitare).
Les bases sont posées, le show commence, la soirée sera furieuse. Il enchaîne sur Le grand sommeil et Sortir ce soir, toute la mémoire musicale de nos jeunes années, quand Daho était portraituré par Gilbert & Gilles avec un perroquet sur l’épaule pour la couverture de La notte, la notte sortie en 1985, puis Le phare, extrait du dernier disque et annoncé comme « plein d’embruns », nous confirme que nous allons traverser près de 40 ans de la carrière hors normes de notre rocker français au cœur tendre.
C’est à Rennes, que Daho est entré sur la scène musicale alors très riche de cette ville bretonne. Il porte toujours autour du cou une chaîne avec un triskèle celte, emblème solaire symbolisant les trois états de l’astre : lever, zénith et coucher, et dont les trois jambes qui s’enroulent autour du centre pourraient aussi marquer le cycle de la vie, bref, du mystère et de la symétrie à l’image de ce concert. Le triskèle est diffusé sur les écrans au milieu des bandes noire-et-blanche du Gwen ha du, le drapeau breton, sur Le premier jour (du reste de ma vie), reprise de Sarah Crachnell popularisée par Edith Piaf qui occupe une place de choix dans le Panthéon musical de Daho.
Il nous raconte ensuite sa première rencontre transie avec Gainsbourg rue de Verneuil pour lancer Comme un boomerang, chanson écrite par le maître pour Dani et que Daho avait réinterprétée avec elle, la sortant de l’oubli dans lequel elle était tombée. Car Etienne est aussi un artiste de la fidélité et de la reconnaissance à tous ceux qui ont forgé son univers musical. Plus tard il a interprété Comme un boomerang en duo avec Charlotte Gainsbourg… Il la chante tout seul ce soir pour une très belle version qui n’efface pas dans les yeux des fans les images de Dani ou Charlotte duettisant avec lui. L’enchaînement Saudade et sa ritournelle de piano avec Des attractions désastres aux riffs de guitare saccadés, revient sur l’excellent disque Paris ailleurs, enregistré à New York en 1991 avec Edith Fabuena à la guitare, cofondatrice du groupe Les Valentins, dont l’autre fondateur, Jean-Louis Piérrot, devenu compagnon de route de Daho, assure claviers et guitare ce soir à Bercy.
Et puis il revient sur ce concert donné à l’Olympia où il repérât une fan en mezzanine « juste au milieu » qui avait dansé fiévreusement durant tout le show. Revenu dans les coulisses, il découvre que c’était… Jeanne Moreau. Il ressortit de cette rencontre impromptue une collaboration et la mise en scène et en musique (par Hélène Martin) du poème de Jean Genet « Le condamné à mort » dont Daho interprète ce soir Sur mon cou… C’est aussi le symbole d’une longue amitié-estime entre les deux artistes ; Jeanne fera même d’Etienne l’un de ses exécuteurs testamentaires à son décès en 2017.
Nous n’avions pas fini de nous parler d’amour.
Nous n’avions pas fini de fumer nos gitanes.
On peut se demander pourquoi les Cours condamnent
Un assassin si beau qu’il fait pâlir le jour.Amour, viens sur ma bouche ! Amour, ouvre tes portes !
Traverse les couloirs, descends, marche léger
Vole dans l’escalier plus souple qu’un berger
Plus soutenu par l’air qu’un vol de feuilles mortes.Ô traverse les murs, s’il le faut marche au bord
Des toits, des océans, couvre-toi de lumière
Use de la menace, use de la prière
Mais viens, ô ma frégate, une heure avant ma mort.
C’est ensuite un melting-pot de ses tubes de légende : Duel au soleil, Week-end à Rome, En surface… Le public exulte, Tombé pour la France qui rencontre un franc succès avec ses montées d’accords tonitruantes sur huit temps, comme huit marches, pour lancer chaque couplet, comme pour recharger cette chanson d’amour endiablée lancée à la tête de celle qui n’est plus là :
Dum di la, je m’étourdis, ça ne suffit pas
A m’faire oublier que t’es plus là
J’ai gardé cette photo sur moi, ce photomaton que t’aimais pas
Si tu r’viens n’attends pas que je sois tombé pour la France
Sur Le premier jour (du reste de ta vie), datant de 1998, les spectateurs, conformément au petit billet glissé sur chaque siège, couvre la lumière de leur téléphone d’un papier vert ou rouge et les agitent sur les paroles de cette chanson écrite aux temps dépressifs de Daho, qui fut reprise dix ans plus tard dans la bande originale du film éponyme de Rémi Bezanançon. Cette fois-ci le light-show vient de la salle et Daho, les larmes aux yeux, ne sait plus comment remercier son public énamouré, lui tendant ses mains ouvertes, comme pour le saisir dans ses bras.
Alors que démarre Tirer la nuit sur les étoiles, les écrans se remplissent des images de Vanessa Paradis en très gros plan, virevoltant avec une longue robe blanche avant que ne surgisse du fond de la scène… Vanessa Paradis dans la même tenue, entourant Etienne de ses frou-frous, cette fois-ci sur scène, pour un duo charmant. Elle est éclatante et épanouie et tous deux débordent de la joie d’être ensemble à Bercy qu’ils concluent par un hug prolongé sous les hourras.
Les meilleures choses ont une fin, Epaule tattoo vient nous le rappeler, interprété avec maestria sur ses riffs de claviers qui marquent le rythme entraînant de cette chanson inoubliable. Le déhanchement discret et félin de Daho émousse un public qui chante à tue-tête ce classique du répertoire.
Après le délai de rigueur, le groupe réapparaît, Daho habillé d’un perfecto noir et clouté pour chanter Au commencement extrait de l’album Eden, avant un nouveau duo sur Boyfriend avec Jade Vincent, du groupe américain Unloved qu’elle a fondé avec Keefus Ciancia, dont Daho est un grand fan et avec lequel il a collaboré sur son dernier disque dont ce morceau est extrait, une ballade romantique, une histoire d’amour, d’amitié, de fidélité… on ne se refait pas. Mais il faut bien partir et c’est Ouverture qui clôt cette soirée. La chanson mystérieuse d’un amour difficile à trouver, entamée sur des nappes de clavier obsédantes en mode mineur, la voix sombre de Daho monte en puissance, puis éclate en une supplique scandée vers l’espérance alors que la batterie et les guitares entrent dans le jeu :
Il fut long le chemin
et les pièges nombreux
avant que l’on se trouve
Il fut long le chemin
les mirages nombreux
avant que l’on se trouve
Ce n’est pas un hasard,
c’est notre rendez-vous
pas une coïncidence.
Une fois leurs instruments délaissés, les artistes n’en finissent pas de saluer et ne savent plus comment nous quitter. Vanessa Paradis et Jade Vincent sont venues se joindre au groupe éperdu de bonheur. Daho remercie un par un tous ceux qui ont fait cette tournée magique et puis… les lumières se rallument pendant que la sono joue Noël avec toi, l’un des bonus de Tirer la nuit sur les étoiles.
Quel talent, quelle élégance, quel parcours pour ce gamin né en 1956 en Algérie à Oran, expédié chez ses grands-parents à Cap Falcon pour fuir les horreurs de la guerre coloniale qui fait rage, délaissé très tôt par son père, exilé à Rennes où il devient la tête chercheuse de la pop électronique française des années 1980, ami ou admirateur des plus grands (Syd Barrett, Lou Reed, Françoise Hardy, Comateens, Dani, Chris Isaak, Alan Vega, Françoise Hardy, Eli & Jacno…), petit prince du rock français à la voix de velours il s’est inspiré de tout ce répertoire pour créer sa propre œuvre : des mots plein de tendresse et de nostalgie posés sur de superbes mélodies aux rythmes redoutables, entraînants et obsessionnels, donnant lieu à des prestations scéniques sans cesse renouvelées et toujours parfaites. Ce soir n’a pas dérogé à la règle en dévoilant un nouveau filon, celui d’une mise en scène numérique grandiose, à la fois hypermoderne mais aussi marquée d’images kaléidoscopiques dans lesquelles les symétries et les brisures ne sont pas sans rappeler des motifs Vasarely auxquels aurait été ajoutée la magie du mouvement.
A 67 ans Etienne Daho nous surprend encore, continue à créer de la musique, à collaborer avec ses amis au gré d’improbables rencontres dans le monde du rock et de la chanson française et, surtout, à enchanter un public conquis. Ce soir, les spectateurs de Bercy sont sortis avec des étoiles plein les yeux. Pour ceux qui voudraient y revenir, le Zénith du 16 mai 2024 est déjà complet mais un nouveau show vient d’être annoncé pour le 15 mai dans cette même salle.
Setlist : L’invitation/ Le grand sommeil/ Sortir ce soir/ Le Phare/ Comme un boomerang (Serge Gainsbourg cover)/ Virus X/ Réévolution/ Des heures hindoues/ Mon manège à moi (Jean Constantin cover)/ Saudade/ Des attractions désastre/ Sur mon cou… (Hélène Martin cover)/ L’homme qui marche/ Duel au soleil/ En surface/ Tombé pour la France/ Quatre hivers/ Bleu comme toi/ Soudain/ Le premier jour (du reste de ta vie) (Sarah Cracknell cover)/ Week-end à Rome/ Tirer la nuit sur les étoiles (with Vanessa Paradis)/ Épaule tattoo
Encore : Au commencement/ Boyfriend (with Jade Vincent)/ Ouverture
Song played from tape : Noël avec toi
Warmup : Global Network, un duo de DJ’s qui chantent sur leurs machines et commentent leur présence à Bercy à grand renfort de « gros délires » et « trucs de ouf » qui manquent un peu de finesse. C’est sans doute la loi du genre mais on préfère quand ils ne parlent pas.