GARY Romain, ‘Adieu Gary Cooper’.

Sortie : 1969, Chez : Gallimard.

C’est le roman emblématique de nos vingt ans, délivré par Romain Gary (1914-1980), écrivain flamboyant, homme multiple, héros incandescent jusque dans son suicide en 1980. Il raconte ici l’histoire de Lenny, un jeune américain qui a fui le matérialisme et l’impérialisme incarné par son pays (engagé dans la guerre du Vietnam). Il vit dans la montagne en Suisse avec une bande de jeunes « rebelles » qui ont tous dédié leur vie au ski d’altitude, à la recherche d’une espèce de pureté originelle qui les éloigne de la noirceur du monde « d’en bas ». Ils risquent leurs vies pour monter à pieds des parois improbables à des températures glaciaires, skis à l’épaule, et s’offrir quelques minutes de descente, sur la neige immaculée, quelques instants d’absolu qui justifient toute leur existence.

Lenny s’est isolé avec ses potes dans une bulle de naïveté et, pensent-ils, d’innocence. Lors de la « mauvaise » saison, l’été, ils sont un peu obligés de descendre en-dessous du « niveau de la m… », à Genève qui les répugne, pour y travailler et gagner quelques sous avant de remonter vers leur solitude dans les sommets. Beau et athlétique, il profite de ses séjours au bord du lac pour séduire des femmes en prenant surtout bien soin de les quitter rapidement dès qu’elles s’attachent. Au passage il fréquente quelques révolutionnaires, jeunes et tendance « mondaine », qui s’ingénient à compromettre quelques bourgeois pour les racketter gentiment, avant de remonter dans leur nid d’aigle où ils écrivent des poèmes :

« Pour changer vraiment le monde
Faut attendre que ça fonde.
Fahrenheit, cent mille degrés
Il sera changé après. »

Et puis il rencontre Jess, fille du consul américain devenu alcoolique en réaction aux dérives de son pays. Elle s’occupe de son père mais aussi de prendre Lenny en charge, un autre handicapé de la société américaine, qui a tout quitté dans sons pays pour s’exiler bien loin avec une photo de Gary Cooper, l’Américain des bonnes causes, qu’il garde dans son portefeuille, comme seul lien avec la patrie. Ils vont mêler, lui son désespoir et elle son pragmatisme pour poursuivre leur histoire qui se termine bien après quelques ultimes épisodes.

Sans doute Gary, qui a lui aussi cohabité sa vie durant avec le désespoir, a-t-il placé dans son personnage certaines de ses utopies de jeunesse. Il présente le refus de Lenny des conventions de ce monde barbare dans un style adolescent et avec un humour noir comme l’histoire de parler la même langue ce qui vous confronte à « l’obstacle de la langue » car n’importe qui peut venir vous parler et vous envahir…

Dans la vraie vie, Romain Gary a exorcisé ses doutes par l’action et la création, sans renoncer à ses utopies : enfant émigré de Russie avec sa mère, naturalisé français en 1934, officier observateur dans l’aviation, résistant Compagnon de la Libération et gaulliste « compulsif » durant la dernière guerre, diplomate en Bulgarie, en Suisse puis aux Etats-Unis, écrivain prolixe récipiendaire de deux Prix Goncourt, le premier pour « Les racines du ciel« , le second sous le pseudonyme d’Emile Ajar, cinéaste… Mais il a toujours refusé de compromettre quitte a sombrer dans l’excès, une attitude qui l’amène à mettre fin à ses jours un an après le probable suicide en 1979 de Jean Seberg, actrice américaine de la Nouvelle vague qui fut sa femme. Le roman a été commencé à Baja en Basse-Californie (Mexique) en novembre 1963, quelques mois après son divorce de Jean.

Lenny, lui, aura compromis avec ses envies d’absolu en se laissant emporter par l’amour de Jess pour une suite que le lecteur rêve heureuse. Le point final au roman a été porté à Paris en 1968 bien avant les heures sombres traversées par Gary et Seberg dix ans plus tard !

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