On avait quitté Baxter Dury en 2018 en concert au Casino de Paris avec son album Prince of Tears, l’eau a coulé depuis sous les ponts de la Tamise, trois CD sont sortis dont le dernier Allbarone présenté ce soir, et l’on retrouve Baxter en pleine fièvre électro avec un groupe de choc sur l’agréable scène de la salle Pleyel.
Trois petites estrades accueillent un bassiste, un batteur, qui forment tous deux une redoutable rythmique, et l’extraordinaire claviériste-chanteuse française Fabienne Débarre (du groupe Evergreen, basée à Londres) dont la voix assure bien plus que les chœurs, mais un duo parfait avec le meneur de jeu. Elle est créditée sur différents albums de Dury. Elle porte ce soir un court body sous un ensemble pantalon-tailleur noir à paillettes qui brillent sous les lumières, des cheveux longs et affiche un petit sourire discret.
Les trois musiciens se mettent en place alors que la sono diffuse une musique africaine de Fela Kuti juste après Ashes to Ashes de Bowie. Les lumières s’éteignent au premier coup de batterie et entre alors Baxter Dury, élégant, les cheveux bouclés grisonnants, il a 53 ans et belle allure, une barbe de trois jours de la même teinte. Il est vêtu d’un costume croisé beige clair porté sur sa chemise jaune pâle largement ouverte sur de lourdes chaînes en or qui pendent à son cou, un peu façon gangsta-rap, et des baskets noires. Sa veste passe plus de temps descendue sur ses coudes que bien en place sur ses épaules, il en joue tout en parcourant la scène largement libérée pour lui devant les trois estrades. Comme un lion en cage il va, vient et prend la pose devant le public affichant quelques singeries corporelles à la façon de la célèbre flèche du sprinter jamaïcain Usain Bolt.
Mais quand il reprend le micro on retrouve sa voix sourde et profonde à l’accent cockney, chanté-parlé, crié-scandé, plutôt incompréhensible dans le charivari musical qui s’empare du groupe ce soir, mais qu’importe tant on est pris par les rythmes, pulsionnels mais jamais agressifs car toujours adoucis par le chant et les ritournelles électroniques de Fabienne. La voix de cette choriste de luxe est le plus souvent traitée par les machines et en sort transformée, en chœur nombreux alors qu’elle est seule, en voix de dessin animée ou carrément en voix masculine robotisée (Mr W4). Elle se tient devant trois petits claviers et un ordinateur sur lequel elle lance chaque morceau d’un petit click pour que tout s’enclenche et cela fonctionne merveilleusement, on entend parfois des riffs de guitare alors qu’il n’y a pas de guitare en action sur la scène, des aboiements de chien sur The Night Chancers, des boums et des cracs, tout un inventaire de bruits électroniques rigolos. C’est un peu elle qui mène la danse en lançant ses machines qui déclenchent cette folie musicale. L’ensemble est admirablement synchronisé et on se demande bien comment la technique arrive à assurer ce résultat probant avec seulement quatre humains sur la scène dont Baxter qui ne touche à aucun instrument ou machine à aucun moment. On vit vraiment une époque formidable !
Les morceaux s’enchaînent, le beat bass/batterie martèle nos cerveaux, les séquences électroniques se succèdent, les rengaines synthétiques se superposent, Fabienne bat la mesure avec ses épaules sous son costume brillant et « ses » voix nous font fondre, le tout sur une cadence à rendre jaloux un rappeur de banlieue. Baxter chante avec conviction en continuant d’arpenter la scène mais il semble physiquement un peu décalé par rapport aux rythmes urbains et saccadés furieusement délivrés par ses musiciens. Il est le flux arpentant la scène quand le trio, plus statique, déclenche rythmes hypnotiques et machines déchaînées.
Le disque Allbarone est presque servi intégralement avec quelques incursions dans le passé : It’s a Pleasure, Miami, Palm Trees transfigurées à la mode électro. L’enchaînement final est explosif sur Allbarone/ Shadenfreude. Des histoires un peu glauques. Celle d’Allbarone fait référence à la chaîne de bars en Grande-Bretagne (All Bar One prononcé pour l’occasion ‘alboroni’) où erre le narrateur au chœur de Piccadilly sous la pluie…
There’s a bitter light on the Piccadilly line
Everyone can see where I was crying
I told you I was a writer, you smuggled a grin
You left me hanging an empty horizonThat night in Albarone, I sat in the rain
Thought about all those promises made
There’s a fragment of love left in a tattooed soul
Before I’d even met you
I booked a hotelThat night in Albarone, I sat in the rain
Thought about all those promises made
Le rythme est éblouissant ponctué par les textes désabusés de Baxter et le chant suraiguë de Fabienne implorant une réponse à ses messages suggérant de se retrouver à Allbarone. Le clip de ce morceau se passe à Venise où l’on voit Dury un bouquet de roses à la main dans une gondole sur les canaux. Le climat tristoune de Londres sous la pluie nocturne délocalisé vers le romantisme de Venise, Baxter Dury cultive les contrastes, musicaux et visuels.
Sur Shadenfreude (« joie mauvaise » en allemand), le narrateur déambule dans des hôtels entre Stockholm et la Lituanie, son amoureuse joue ou chante dans un groupe qui récolte de mauvaises critiques, elle le délaisse et rit de lui dans son dos, il est amer, vit de mauvaises « descentes » de MDMA et se vautre dans la shadenfreude. Ambiance !
Pour le rappel Baxter revient avec un costume marron droit et des chaussures de ville de même couleur. Démarré avec les nappes de mellotron du superbe Mr W4 qui clôt le dernier album, il se termine sur un retour à la veine romantique avec Prince of Tears, titre qui donna son nom à l’album sorti en 2017.
Prince of tears, prince of tears
No one’s gonna love you more than usAnd the prince of tears
Stood on his driveway
Washing his hands of all the guilt
And bad things
Everybody loves to say goodbye
Prince of tears, don’t leave me like this laughing at you
Tout le monde salue les artistes et cette magnifique reconversion électro de Baxter Dury, sans doute sous l’influence de Paul Epworth, musicien britannique qui a produit des artistes comme Bloc Party, Primal Scream, The Rapture, Babyshambles… Il a co-écrit et produit Allbarone et certainement inspiré cette atmosphère musicale revigorante et jouissive.

Les lumières se rallument et Bowie revient avec Ashes to Ashes sur la sono. En quittant son rang, le spectateur jette un dernier regard sur le fond de la scène où s’affiche le logo de la tournée : la silhouette d’un homme sur fond pastel avec une jambe droite hypertrophiée faisant peut-être référence à son père Ian Dury (1942-2000), prince du punk (sophistiqué) et auteur, entre autres, du célèbre hymne Sex & Drug & Rock’n’Roll. Il avait souffert de la poliomyélite dans son enfance et avait gardé sa vie durant une démarche claudicante du fait d’une jambe atrophiée. Baxter a un fils, peut-être fera-t-il vivre une troisième génération de rockers Dury !
Setlist
Zombie (Fela Kuti song)/ Alpha Dog/ Hapsburg/ I’m Not Your Dog/ The Night Chancers/ Mockingjay/ Almond Milk/ Oi/ Aylesbury Boy/ Return of the Sharp Heads/ Kubla Khan/ Pleasure/ Palm Trees/ Miami/ Cocaine Man/ Allbarone/ Schadenfreude
Encore : Mr W4/ Celebrate Me/ Prince of Tears/ Baxter (these are my friends) (Fred again.. cover)
Warmup
Le rappeur nigérian Joshua Idehen, accompagné d’un DJ suédois, détaille sa philosophie avec bonhommie entre deux pas de danse, The pressure cannot hit a moving target ou Rytme is the weapon. Le garçon est bienveillant, après nous avoir rappelé qu’il a été élevé dans la religion chrétienne et qu’il n’est plus croyant aujourd’hui, il demande aux spectateurs, comme à la messe, de serrer la main de leurs voisins en leur disant « You are good! ». On s’exécute dans la bonne humeur.




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