CARTARESCU Mircea, ‘Solénoïde’.

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Sortie : 2019, Chez : Les Editions du Noir et Blanc.

Un incroyable roman de Mircea Cartarescu dans lequel s’exprime le style exceptionnellement créatif de l’écrivain roumain, fait d’un vocabulaire extrêmement riche (on consulte son dictionnaire souvent et on pense à la difficulté qu’a du affronter la traductrice), d’un sens de l’observation aigüe et d’une profusion sans limite dans la description des faits et des personnages.

Sans doute largement autobiographique, ce roman raconte la vie d’un jeune professeur de roumain, à la vocation d’écrivain rivée au corps, dans une école populaire de Bucarest aux temps où régnaient le communisme et son dictateur Ceausescu. La ville décrite comme le « musée de la mélancolie et de la ruine de toute chose » est propice aux observations un peu glauques qu’affectionne Cartarescu qui narre par le menu détail à longueur de pages les observations qu’il fait de lui-même, de ses maux, de ses faiblesse. Cela tourne souvent autour de choses pas toujours très esthétiques : le cheminement des poux dans ses cheveux, ses passages à l’hôpital ou chez le dentiste, il est question d’organes malades, de boyaux verdâtres, d’excroissances humides… Il y a une manifeste autosatisfaction à insister sur ce qui ne va pas dans le corps, une fascination sans borne pour l’intérieur mystérieux de notre enveloppe corporelle, ce qui suinte, ce qui coule, ce qui est malade, ce qui provoque douleurs et interrogations… C’est un peu morbide sans être dramatique.

L’auteur ajoute une touche de science-fiction dans la vie que mène son héros dans Bucarest, entre l’école où il travaille, sa maison « en forme de navire » qui abrite un « solénoÏde » provoquant la lévitation de ses habitants lorsqu’il est activé, l’usine en ruines entre les deux endroits réunis par un tramway bringueballant. Il mélange les évènements ordinaires de la vie sans éclat d’un professeur de roumain qui fait ses courses, aime sa collègue de physique, partage sa fascination pour la mathématique avec son collègue en charge de cette discipline, et les phénomènes surnaturels qu’il observe au hasard de pérégrinations imaginaires, comme pour ensoleiller cette morne vie.

Le délire dans lequel s’enferme parfois le double romancé de l’auteur est dans l’air de l’époque d’une Roumanie où le satrape Ceausescu et son épouse guignolesque voulaient emmener le pays qu’ils dirigeaient, au-delà des réalités, vers un avenir radieux pour l’Homme communiste nouveau. Au bout d’un temps qui fut très long, le délire pour la Roumanie s’est heurté à la vraie vie et les Ceausescu ont été sommairement exécutés en 1989. Celui du héros, de son amoureuse Irina et de leur fille se termine dans la vision théâtrale de l’envol de la ville de Bucarest toute entière happée par les cieux d’un monde nouveau qui accueillera le bonheur des tourtereaux :  » Nous resterons là-bas pour toujours, à l’abri des terrifiantes étoiles ».

L’imagination débordante de l’auteur est fascinante mais parfois un peu longue, le roman faisant 800 pages… Le lecteur s’autorise à survoler les derniers chapitres car il faut bien en finir !