Anna Calvi est au Trianon ce soir et il fallait être de la partie pour découvrir ce nouveau phénomène de la musique britannique : compositrice de talent, guitariste virtuose, chanteuse d’opéra, élégance naturelle, on ne parle que d’elle et on a raison. Elle est à Paris, alors nous aussi.
Tailleur et pantalon noirs, rouge à lèvres éclatant, colliers et bracelets en or, cheveux blonds en couette et talons aiguilles, Anna est discrètement accompagnée d’un batteur et d’une multi-instrumentiste (harmonium, percussion et guitare). Le trio démarre sur un instrumental Rider to the Sea. Dès l’intro, on croit que tout est dit : le touché des cordes est hendrixien au milieu d’accords qui dégagent un son de harpe électrifié dans un déluge de notes. Mais viennent ensuite les morceaux chantés et alors la miss bien proprette dégage une voix de stentor au vibrato désarmant qui met le Trianon en émoi, pour tout aussitôt se transformer en murmures imperceptibles. Guitare et voix sont utilisées avec subtilité et émotion, une force incroyable et une conviction percutante.
Entre les morceaux Anna redevient petite fille de bonne famille et étouffe des thank you imperceptibles derrière son maquillage.
Sa musique est une vague colossale qui déferle avec force gigantesque avant d’aller mourir sur la plage de nos sentiments en un petit clapot doucereux. La bouche grande ouverte elle clame ses doutes dans un rictus au lipstick carmin : Voices darkness is coming from my soul/ Should I fear you or should I just let go?/ Oh, blackout, I gotta know where you’re from/ what are you trying to tell me I don’t know.
Devant son micro, accrochée au manche de sa guitare elle est sans aucune retenue et laisse échapper la musique volcanique qui l’habite. Tigresse déchaînée elle nous prouve que plus rien n’a d’importance que son art brut déversé sur assistance ébahie devant ce concentré de talent, d’originalité et de flamboyance !
En fin du premier rappel Anna produit un incroyable solo sur Love Won’t Be Leaving. Les yeux tournés vers le ciel ses doigts vernis de rouge dévalent sur les cordes avec un brio exceptionnel, passant du miaulement aigu de la guitare martyrisée aux bombardements soniques lorsqu’elle remonte vers les graves. On est abasourdis mais elle nous rasure : I draw my name in the sand/ In the hope it’ll find you/ Because love won’t be leaving/ It won’t be gone until I find a way
La Callas revisitée et électrifiée, La Calvi nous emmène dans un monde flamenco-rock à grands mouvements de Telecaster et d’envolées lyriques. C’est décoiffant et enthousiasmant.