A Night of Deep Noise
Lou Reed à la Cigale pour rejouer Metal Music Machine trente-cinq années après sa création ; la soirée est intitulée A Night of Deep Noise, elle est animée par Lou accompagnée d’un machiniste et d’un sax qui ont chacun la moitié de son âge.
Metal Music Machine c’est l’histoire d’un double vinyle sorti en 1975 pour faite la nique à une maison de disque par trop intrusive face à un artiste fantasque. Invendable, l’œuvre trône dans les discothèques des loureediens convaincus qui l’écoutent (au moins le début de la première face…) une fois tout les 3 ou 4 ans lorsque s’impose une revue complète des choses qui comptent dans la vie aux rangs desquels figurent nombre de disques signés Lou Reed.
Disque étrange entre chef d’œuvre et escroquerie intellectuelle, il n’y a pas de mélodie, pas de chanson, pas de rythmes, pas de mot, juste du bruit généré par des guitares traitées par des machines. A l’écoute chez soi c’est un peu long et rares sont ceux qui vont jusqu’au bout. Sur scène c’est une expérience intéressante et créatrice.
La Cigale est en configuration assise et les spectateurs s’installent alors que trois guitares sont posées coté cordes sur trois amplis déclenchant des larsens grondants et profonds que les roadies viennent ranimer régulièrement.
Les trois musiciens entrent et se regroupent autour d’un gong vertical que l’on croirait venu directement d’un stupa népalaise, mais il est ici branché sur des ordinateurs qui retraitent sa vibration pour la transformer en terrifiant tonnerre métallique. Puis Lou s’assied derrière une tablette chargée d’ustensiles et de câbles, d’où il jouera alternativement de la guitare ou du bricolage de ses machines.
On se demande s’il y a une unité ou un fil conducteur dans cette mixture sonore. Il est difficile d’y reconnaître le disque original (la dernière écoute remonte à si longtemps…) Et d’ailleurs y-avait-il un sax dans Metal Music Machine ? Celui-ci est remarquable dans son souci de pervertir l’utilisation de cet instrument à vent classique. Il en retire un incroyable souffle retraité par les ordinateurs qui donne l’impression d’un emballement éolien furieux. On y retrouve le John Lurie des Lounge Lizards.
La Cigale assiste ébahie à la performance de ce vieux Lou qui saura toujours nous surprendre. Imperturbable et revenu de tout, il manipule ses machines et ses spectateurs et reste de marbre lorsque quelques parisiens quittent la salle en criant au scandale. Evidemment si certains avaient mal interprété le titre du show A Night of Deep Noise et s’attendaient à écouter Coney Island Baby, on s’étonne même qu’ils soient restés assis plus de quinze minutes.
Metal Music Machine c’est Stockhausen revisité par des Fender et composé par un génie du siècle qui ne voit pas pourquoi il se refuserait le plaisir créateur de fouler ce genre de chemins de traverse. Dieu merci sa réussite le lui permet ; il n’est point besoin de s’esbaudir devant la performance, juste se réjouir de soixante-quinze minutes de musique sortant de l’ordinaire dans notre Monde où l’ordinaire, le mimétisme et le consumérisme sont érigés en modes de fonctionnement.