Ce soir à Bercy les Cure ont osé le concert évènement de 3h1/2 devant un public médusé, enthousiaste et multi-générationnel. Une très grande simplicité, quatre musiciens dont trois guitaristes, un light show dépouillé, pas de chichi ni d’artifice technique, juste la musique et la voix métallique de Robert Smith. Le best of d’une carrière de presque trente années, et même quelques nouveautés d’un prochain disque annoncé pour les mois à venir.
Quatre hommes de noir vêtu comme il sied à ces hérauts de la new wave, princes de la mélancolie. Robert, toujours les mêmes cheveux hirsutes, rouge aux lèvres et yeux cernés d’obscurité, Pierrot lunaire et timide. Simon Gallup, bassiste de toujours, collant et débardeur noirs sur muscles tatoués. Porl Thompson, guitar-hero au crâne chauve rayé de fines tranches de cheveux horizontales, habillé d’une combinaison moulante et tablier de forgeron, Nosferatu vaguement inquiétant. Jason Cooper, le blondinet de la bande qu’il a rejointe en 1994.
Lorsque les lumières s’éteignent la scène continue de clignoter comme un arbre de Noël et les Cure démarrent Plainsong, le morceau qui entame l’album Disintegration sorti en 1989, 18 ans déjà, l’âge de ma jeune voisine aux cheveux bleus turquoises qui déjà danse, danse, danse.
Plainsong un titre sombre, dans la lignée parfaite de l’inspiration de cette époque :
“I think it’s dark and it looks like rain” you said/ “And the wind is blowing like it’s the end of the world” you said/ “And it’s so cold it’s like the cold if you were dead”/ And there you smiled for a second…/ Sometimes you make me feel I’m living at the edge of the world/ It’s just the way I smile you said.
Un son profond envahit la cathédrale de Bercy, la voix cristalline de Smith perce au-dessus des guitares lancinantes. Le show est lancé, 15 000 spectateurs sont déjà en adoration.
La set list est un joyau finement ciselé, il n’y a rien à en retirer. Bien sûr, le concert aurait duré une heure de plus, quelques ajouts auraient pu être envisagés… Mais le show s’est clos au bout de 3 heures ½ ce qui est finalement bien peu pour ce groupe à la tête d’une discographie aussi phénoménale. 3 heures ½ de plongée en apnée dans l’univers trouble de ce groupe phare qui n’a pas quitté les sommets du box office depuis trente ans, grâce à la magie de son inspiration et loin des recettes du marketing. Une alchimie étrange qui fonctionne toujours de façon redoutable, fusion subtile de la mélancolie des mélodies et des mots avec la modernité des sons et des rythmes. L’absence de clavier et l’omniprésence des guitares donnent ce soir à cette formation sa pureté originelle du temps de Boys Don’t Cry.
Et au-dessus de tout la voix unique de Smith, criée, torturée, poussée dans ses derniers retranchements, en permanence au bord de la brisure, mixée en écho, sépulcrale. Une alchimie qui rencontre le feeling d’une époque et en tout cas celui de Bercy ce soir…
L’enchaînement Push, How Beautiful You Are… (avec en fond de scène Notre Dame de Paris projetée sur les écrans), Friday I’m in Love, In between Days, Just Like Heaven déclenche le feu sur l’assemblée. Ma voisine coiffe bleue des mers du sud continue à danser, danser, danser, déclamant les paroles de ces chansons sans en oublier une rime.
Le show nous emmène sans répit jusqu’à un Disintegration étiré à l’infini alors que défilent sur les écrans toutes les images de la noirceur de notre bas monde. L’approche de la Fin accroît la fébrilité de tous et lorsque nos quatre Imaginery Boys s’en vont alors qu’un champignon atomique se dissout sur les écrans personne ne s’inquiète trop, nous savons qu’ils ont fait trois rappels à Marseille la semaine dernière. Ils en feront quatre ce soir pour Paris…
A eux seuls ces rappels sont un concert dans le show, la sélection parfaite des tubes du groupe. Et lorsque que démarre Play For Today, Bercy hurle son soutien et son émotion, cheveux turquoises défaille et appelle une copine sur son mobile pour lui passer l’intro en live : Ohhhhh Oh Oh, Ohhhhh Oh Oh… It’s not a case of doing what’s right/ It’s just the way I feel that matters… Ohhhhh Oh Oh, Ohhhhh Oh Oh…. Bob appuie ses riffs sur sa guitare noire et sourit presque joyeusement devant 15 000 fans prosternés. S’en suivent des versions d’une incroyable énergie de Three Imaginary Boys, Fire in Cairo, Boys Don’t Cry, Jumping Someone Else’s Train, Grinding Halt, 10:15 Saturday Night, Killing An arab.
On a peur de devoir en rester là cette fois-ci mais ils reviennent une quatrième fois “We just have time for one more” et de terminer sur Faith ce qui nous ramène au troisième album du groupe en 1981. C’est ce qu’il fallait pour faire redescendre la tension, revenir à la mélancolie fondatrice des Cure et clôturer un concert d’anthologie. Trois notes de guitares en mode mineur sur une bass obsédante :
No-one lifts their hands/ No-one lifts their eyes/ Justified with empty words/ The party just gets better and better…/ I went away alone/ With nothing left/ But faith.
Robert Smith salut une dernière fois, gêné derrière sa crinière ébouriffée et puis s’en va, nous laissant planer bien haut sur la démonstration éblouissante de son immense talent.
Petite faute de goût, un étendard au couleur du club de fouteballe de Reading soutenu par Bob. On pardonnera à ce poète hors norme cette incursion dans la vulgarité.
Faith
catch me if i fall
i'm losing hold
i can't just carry on this way
and every time
i turn away
lose another blind game
the idea of perfection holds me...
suddenly i see you change
everything at once
the same
but the mountain never moves...
rape me like a child
christened in blood
painted like an unknown saint
there's nothing left but hope...
your voice is dead
and old
and always empty
trust in me through closing years
perfect moments wait...
if only we could stay
please
say the right words
or cry like the stone white clown
and stand
lost forever in a happy crowd...
no-one lifts their hands
no-one lifts their eyes
justified with empty words
the party just gets better and better...
i went away alone
with nothing left
but faith