Un vent folk nommé Brisa Roché
Après The Chase qui lui avait valu toutes les éloges, Brisa Roché, Californienne exilée à Paris, sort le 5 novembre un nouvel opus appelé Takes. Ce disque, chanté entièrement en anglais, clôt définitivement la parenthèse jazz ouverte par la jeune et jolie femme qui avait fait de Saint-Germain des Prés son terrain de scène en débarquant chez nous. Elle se recentre sur ses racines : du folk, teinté de psychédélisme, de country. Une voix toujours si particulière et des sons un peu rétros. Une somme de délicatesse. Elle répète sa tournée à Lille, au local de Marcel et son orchestre.
Que fais-tu à Lille, Brisa ?
« Je répète depuis mardi mon passage à l’émission live le Pont des artistes, qui sera enregistré mercredi et diffusé le 27 octobre sur France Inter. Je reviendrai ensuite préparer mon premier concert à La Maroquinerie à Paris, le 13 décembre. »
Cet album était prévu en mars, avec une date à la Cigale, à Paris. Pourquoi ce retard ?
« J’ai changé de maison de disques. J’étais chez EMI, et puis ça a complètement bougé là-bas. Tout a été bousculé, les équipes, les manières de travailler… Il n’y avait plus de place pour ce disque. Alors je suis partie. L’album va sortir chez Discograph. En plus, je suis en train de reformer le groupe. »
Ce projet dépasse le simple cadre musical, il n’y a qu’à regarder la photo de l’album, très sensuelle…
« Je ne m’attendais pas à ce qu’on la remarque. Je trouvais au contraire que la pochette du premier disque (avec son seule visage) était beaucoup plus « pornographique ». Je ne l’ai jamais aimée. Là, je ne vois rien de sexuel. J’ai toujours été à l’aise avec le corps nu. Quand je travaille, quand je suis en pleine puissance de moi-même, je suis toujours nue ou à moitié nue. Je me sens moi-même, naturelle. Quant à ce genre de culotte, j’en ai plein. Je les porte en short, en maillot de bain… »
Cette photo peut faire penser à la première scène de Lost in translation avec Scarlett Johansson, en culotte, debout sur le lit. Et puis il y ce côté Björk… Elle s’interroge.
« Scarlett Johansson ? Quelle scène ? Ah oui, ça me fait plaisir, mais je n’y ai pas pensé au moment de la séance photo. Björk ? Non, le regard n’est pas pareil… » Elle semble en avoir un peu assez de cette comparaison.
Et puis il y a les micros et les casques, qui t’habillent…
« C’est un signe fort. J’ai enregistré la maquette toute seule. Ça a changé ma vie d’être égal à égal avec des garçons qui me parlaient de logiciels que je ne maîtrisais pas. Là, même le mixage, je suis allée à New-York et j’y ai vraiment participé. »
Tu voulais que rien ne t’échappe ?
« Oui, j’ai été déçu par le premier disque, dont je ne suis pas très fière. Celui-ci, c’est moi. Il y aura d’ailleurs un artwork livré avec le disque, avec des photos, et j’espère publier une nouvelle. J’ai enregistré les maquettes seule, dans mon village de Californie, à six heures au nord de San Fransisco. La ville s’est arrêtée en 1969. On écoute toujours Hendrix, Janis Joplin, Jefferson Airplane, les Stones, Joni Mitchell ou du bluegrass, voire de la country, Arlo Guthrie ou Johnny Cash. Mon enfance a été baignée dans cette culture folk, hippies. Ce sont mes racines et ce disque a été influencé par cet endroit. »
Tu étais chez tes parents ?
« Non, dans une chambre du village. J’ai enregistré quarante morceaux en 18 jours. J’avais des textes, mes musiciens avaient composé des mélodies et moi aussi. Ça a été très intense, j’ai travaillé jour et nuit. J’avais pris l’habitude de composer à vélo, de m’arrêter et d’enregistrer avec mon petit enregistreur cassette. Mais pas là, je n’avais pas le temps. Je suis allée courir trois fois et j’ai fait une radio live, c’est tout. »
Pourquoi quarante morceaux, d’ailleurs autant que pour le premier ?
« Avec EMI, on avait prévu 20 morceaux en anglais et autant en français. Mais mes traductions n’étaient pas terribles…» Elle sourit.
Et donc sur ce disque, il n’y a plus de chanson en français…
« Non, il y en a bien trois qui ne sont pas sur le disque, dont un duo, mais je pense que je n’en ferai rien. »
Il n’y a plus non plus Seb Martel… (guitariste de M)
« Non, j’aurais bien aimé, mais il est très occupé.»
Ni de jazz…
« Non, le jazz a correspondu à une période de ma vie, entre 24 et 29 ans (elle en a 33). Pour le moment, c’est fini pour moi le jazz. C’est une façon de vivre et j’ai trop de respect pour ça. Encore une fois, j’ai vraiment préféré me replonger dans mes racines. Ça sonne folk, et même un peu country sur «Whistle». »
Cette chanson reste vraiment en tête, c’est toi qui siffle ?
« Oui. Au début, on l’a fait tous ensemble. Mais ce n’était pas terrible. Alors je siffle seule. J’espère pouvoir faire siffler le public en concert. »
Tu répètes donc dans le local des Marcel.
« Oui, je ne les connais pas, mais j’ai vu leurs affiches, elles sont très drôles. Quant à Lille, ça me fait penser un peu à Amsterdam. Je n’ai pas eu le temps de visiter beaucoup car on répète toute la journée. Je suis juste allée courir une fois, au bord du canal (la Deûle). C’est pas que je sois très sportive, mais je suis gourmande, alors je compense. Ici, la nourriture est bien riche. En plus, on est allée manger chez les uns et les autres, surtout chez les parents de l’équipe d’A gauche de la Lune (son tourneur, basée à Lille). Je reviens de dimanche à mardi et peut-être un peu après pour préparer le premier concert du 13 décembre à la Maroquinerie, à Paris. »
Tu appréhendes ?
« Non, j’ai hâte. Je patiente depuis mars, il faut que ça sorte. Je ne me suis pas ennuyée pendant tout ce temps, mais dans ces moments, tu as tendance à rester chez toi, à ne pas aller dans les fêtes, puisque tu n’as rien de sorti, de chaud… »
Qu’on t’assimile au mouvement néo-folk, avec Devendra Banhart… te plaît ?
« Devendra Banhart, je l’ai juste croisé pendant la promo, rien de plus. Je me suis toujours senti un peu exclue des familles. J’ai grandi dans un milieu rural, un peu seule, un peu sauvage. Alors quand on m’assimile à ce mouvement, je dirais que socialement, ça me plairait d’être avec eux. Je pourrais faire partie de quelque chose. Après, musicalement, je me dis qu’à notre âge, on doit avoir eu plus ou moins les mêmes influences. Mais chacun fait des choses différentes. »
Tu sors un disque, tu as eu quelques difficultés avec ta maison de disque, comment tu vois l’avenir du marché?
Elle mime de se tailler les veines et de s’égorger. « Ça me donne envie de pleurer. Je vois mon avenir en tant qu’artiste encore plus précaire que prévu. On nous parle des tournées, mais moi, en tant que spectatrice, je ne me vois pas acheter quatre places de concerts par semaine. Pour l’instant, la technologie nous dépasse. Peut-être qu’une surprise, une solution va sauver tout le monde. Mais c’est l’inconnu. »
Propos recueillis par LAURENT DECOTTE.
Photos KARINE DELMAS
https://musique.blogs.lavoixdunord.fr/archive/2007/10/19/un-vent-folk-nomme-brisa.html
19.10.2007