Nuit Blanche… assurément !

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Je passe une partie de la nuit à parcourir les créations culturelles contemporaines de La Nuit Blanche. Programme en papier glacé signé par Delanoé, directeurs artistiques melting-pot, foules en deux-roues, agents d’accueil bigarrés, RATP et Batobus qui font des heures supp., l’art contemporain a fondu sur Paris, me laissant perplexe et frigorifié !

Comme tout événement populaire, il y a le peuple et les files d’attente conséquentes. Après avoir retrouvé mes potes cyclistes devant une bière au Delaville Café, décidément de plus en plus hype, nous nous tapons une première heure de queue devant l’ancien hôpital Saint-Lazare dans les arbres duquel sévissent quelques acrobates chorégraphiés façon Roi de la Jungle. La performance physique est impressionnante ne serait-ce une musique live quelque peu agaçante à coté de laquelle Stockhausen joué par Boulez passe pour une Nocturne de Chopin… Une artiste monte et descend dans toutes les positions imaginables le long d’une corde lisse accrochée à une câblerie végétale dans une sorte de ballet mi-téléphérique, mi-Homme. Elle est souple la bougresse, et affiche une technique remarquable qui la fait se mouvoir verticalement avec une facilité déconcertante. De temps en temps elle fait une pause dans un filet suspendu où l’attend un de ses comparses avec qui elle « s’exprime corporellement » via des attouchements de pieds, de mains, de corps, avant de redescendre le long de son fil d’Ariane la tête en bas. Pendant ce temps, un troisième larron s’agite au sol dans ce qui doit être des mouvements de danse moderne, caressant au passage quelques spectateurs esbaudis.

On n’arrive pas trop à identifier le début ni la fin du show, alors quand la foule commence à onduler vers la sortie, on suit et on laisse Jane suspendue à ses lianes pour se retrouver face (i) à des murs intérieurs sur lesquels sont projetés des vidéos immobiles : plans fixes d’un aéroport, d’une meute de chiens de chasse vue d’un arbre, etc. (ii) un mur extérieur où s’affichent des mots et phrases en écriture automatique que l’on peut lire depuis une batterie de transats installés façon promenade des Anglais, mais désertés par l’assistance pour cause de froid de canard.

Et l’on passe ensuite dans la cour suivante à la reconstitution d’un chantier de travaux publics où s’agitent une petite troupe en casque jaune, dont deux donzelles, debout sur un tas de sable, égrenant dans un micro une succession de chiffres pendant que des ingénieurs, toujours en casque canari, consultent des ordinateurs. Il fait de plus en plus froid alors on laisse ce petit monde à sa créativité.

Interloqués, en sortant on relit le programme qui parle de :

musique donnant l’urgence, la temporalité, la certitude du présent…

et je passe sur :

l’atmosphère qui est à l’œuvre permanente, à la nuance et au vertige… le sens devenu sensation et la sensation des sens.

Encore sous l’émotion du choc culturel, on hésite à poursuivre ce vaste itinéraire contemporain de la Nuit Blanche de peur de ne pouvoir s’en remettre, sans parler du rhume qui couve. Bon, mais les potes nous appellent pour les rejoindre dans la communion des Caresses de Marquises. Soyons fous puisque nous sommes encore vivants ! Et va pour les Marquises caressantes.

On se retrouve sur une balustrade qui surplombe les quais de la gare de l’est et là, toujours transis, nous contemplons les rails de la SNCF, à la poétique industrielle si marquée, éclairés aléatoirement par des spots clignotant en rythme sur une musique gargouillante. On s’attend à voir émerger E.T. de la salle des pas perdus. Les spectateurs entassés prennent des photos en pagaille de ce spectacle peu commun et on imagine les impressionnants diaporamas qui émergeront de cette séance pour animer les longues soirées d’hiver. Un point rapide sur le programme nous apprend que nous sommes ici en présence d’une œuvre qui :

est non seulement inventée mais apprise et développée en temps réel.

Les potes sont déjà repartis pour les Buttes Chaumont pour la création Les Marmottes Vocales. C’en est trop pour votre serviteur qui heureusement est toujours avec deux copines plutôt dubitatives et nous décidons un repli stratégique sur le Delaville pour faire le bilan de cette soirée. Dans l’escalier de la gare nous croisons une jeune femme en train de photographier une bétonneuse Bouygues, ne figurant a priori pas dans le programme des créations contemporaines. On imagine qu’elle est chef de chantier TP reconvertie en espionne industrielle, ou que les Marquises caressantes lui ont grillé les synapses.

Le mot de la fin revient à un anonyme spectateur : « tout ceci est très Jack Lang » ! On ne peut mieux dire.

Il est deux heures du mat et le Delaville est fermé. Bad news ! On se replie sur le troquet d’en face pour écluser dans la bière une nuit de création contemporaine. Je résume : tout ceci est éminemment sympathique, volontaire, tendance, structurant, généreux, et le succès populaire atteint est rassurant sur les limites du décervelage que la Star’Ac exerce sur les neurones de nos concitoyens sous l’égide appliquée et consciencieuse de Le Lay le (très) laid. Mais je suis décidément trop traditionaliste pour partager une quelconque émotion face à ces élucubrations contemporaines. Heureusement ma bonne fée me rappelle que la modernité c’est justement la manière dont on traite la tradition. À la bonne heure et à l’année prochaine pour la Nuit Blanche 2005.

Rehve 10/2004