4ème année du Festival Rock en Seine : toujours une excellente programmation générant un franc succès, toujours un temps pluvieux donnant à l’ensemble un petit air woodstockien et toujours un grand plaisir de pouvoir assister à deux journées non-stop de rock en plein air dans le parc de Saint Cloud.
La journée du samedi est affichée « complet » depuis plusieurs semaines, la venue de Radiohead n’y est pas pour rien. Rock ‘n’ Folk fait sa couverture sur Thom Yorke, quelques radios et journaux généralistes annoncent la venue de ces extra-terrestres. Succès d’estime dans la presse grand-public qui ne comprend pas grand-chose à cette musique mais pressent quelque chose d’important. Alors on en parle ! Vers 10h du matin le samedi, le cours de la place sur ebay est dans les 150 euros. Quelques puristes revendent à prix coûtants, il faut les trouver.
Les acteurs de la scène parisienne alignent leurs stands publicitaires au milieu des vendeurs de saucisses. On se réchauffe dans la friture d’oignons et la bière blonde. Un petit passage sur l’expo Jean-Baptiste Mondino, clipeur-shooter du Rock, déificateur de la guitare, qui place sur ses très belles et très glacées photos les musiciens anonymes au même rang que Mick et Madonna.
Il y a trois scènes cette année, une de plus qu’en 2005 et une raison supplémentaire de se ronger les sangs pour décider qui privilégier. Beck et Rodiohead étant annoncés sur la grande scène, le chroniqueur va donc directement y tremper son stylo. Il n’en sortira plus, bloqué-compressé-pressurisé par les 30 à 40 000 fans qui vont progressivement s’agglutiner dans son dos. Et tant pis pour Skin ou The Rakes prévus sur la scène de la cascade.
Dead 60’s, Beck et Radiohead
15h30, Taking Back Sunday arrive de New York pour jouer un rock de bellâtres, brut et lisse, sans intérêt. Ils sont suivis par Phoenix, quatre parisiens dont on parle qui sont allés écrire-enregistrer leur dernier disque dans l’ancienne Berlin-Est, et délivre un son pop agréable et sincère.
Il est 18h, l’espace libre se raréfie, les gouttelettes qui tombent parfois du ciel n’arrivent plus à atteindre le sol. Les choses sérieuses s’annoncent. Les Dead 60’s remportent un franc succès sur un style revival des rythmes ska. Ces quatre de Liverpool aux origines mélangées sont énergiques et hargneux, riffs reggae et basses appuyées, la foule essaye d’onduler.
Lorsque Beck entre en scène, la pelouse est noire de monde. L’américain aux longs cheveux blonds est habillé gilet noir sur chemise blanche, coiffé de chapeau et lunettes noires. La ressemblance avec Dylan est recherchée. L’originalité de l’élève égale celle du Maitre. Une mini-scène est installée au fond de la vraie, occupée par des marionnettes représentant le groupe, agitées par des marionnettistes aux bouts de leurs fils, filmées par un opérateur et retransmises sur grands écrans où l’on ne verra que les puppets. La prestation de Beck est surprenante, comme son dernier disque. Le chanteur mélancolique de Sea Change s’est transformé en musicien hip-hop, animant un groupe de joyeux déjantés jouant avec beaucoup de brio pour accompagner un non moins brillant compositeur et metteur en scène. Durant ce qui ressemble à un entracte, un clip projeté montre les puppets aller saccager la loge des Radiohead. C’est la très très bonne surprise de la soirée, ce groupe américain est époustouflant d’originalité artistique et de vitalité musicienne. Beck en est le maestro royal et imperturbable, même lorsque que ses acolytes s’attablent devant un banquet servi sur scène, bientôt transformé en batterie collective et hystérique. Comme il n’est que le faire-valoir des héros de la soirée, Beck laisse une pelouse frustrée de n’avoir point droit à un rappel.
La nuit tombe sur Saint-Cloud. Les allers-retours avec les baraques à frittes sont stoppés depuis longtemps, chaque place abandonnée étant inexorablement comblée par un mouvement de foule conséquent.
Dans la nuit tombante Radiohead démarre son show sur Airbag. Le public est déjà en transe. Les lumières baignent la scène d’un bleu électrique qui ne sera déchiré que par des éclairs orangés sur certaines montées de tension. Les deux écrans de chaque coté des musiciens et le grand du fond retransmettent des petits écrans virtuels projetant les images déformées de webcams fixes. Ce n’est pas évident à décoder (surtout pour le 30 millième spectateur, tout là-bas au fond de la pelouse) mais un concert de Radiohead se mérite.
Le quintet britannique déroule un impeccable show assaisonné live. Les élucubrations électro-mystiques des albums Kid A, Amnesiac ou Hail To The Thief passent remarquablement sur scène où le groupe démontre toute la subtilité de ces compositions. Thom place sa voix plaintive et aigüe au-dessus du son de son groupe historique de musiciens d’exception : les trois guitares savent ajouter le feu sur une rythmique syncopée par l’électronique comme les trois guitaristes peuvent aussi pianoter sur des synthétiseurs remplaçant la magie violente du pincer des cordes électriques par le mystère des volutes bioniques émanant d’improbables ordinateurs.
On aurait pourtant cru le contexte d’une foule en plein-air peu propice à une telle complexité musicale. Nous avions l’esprit étriqué et tellement peu imaginatif ! Les morceaux sont joués comme sur les disques, sans compromission aucune. Il est rassurant de voir une audience de 25 années d’âge moyen partager avec dévotion cette communion cérébrale avec une musique venue d’ailleurs, une musique à la sombre élégance, toute en émotion et en modernisme, en recherche et en aboutissement, qui alterne des pages sinistres avec une énergie vitale et revigorante. Une musique faite pour la nuit, celle d’un compositeur étrange dont la tête est pleine de ce qui s’avère tout simplement être une prodigieuse inspiration. Une musique qui parle aux tréfonds de notre âme jusque parfois en ébranler les fondements.
Lorsque Radiohead revient à des moments plus classiques de son œuvre le public souffle et reprend en cœur Paranoid Android, Airbag ou Karma Police (qui clôture le show). Le retour sur OK Computer rassure à peine tant il paraît maintenant acquis que ce groupe affronte avec bonheur les pistes escarpées de la création. On en profite tout de même ! Sans vouloir trop en demander, on aurait même pu écouter Creep…
Plusieurs bonnes nouvelles ce soir : (i) Radiohead reste un groupe de scène majeur à la créativité unique et l’intellectualisme brillant, (ii) on trouve à Paris sans difficultés 40 000 personnes pour passer une nuit d’été avec la bande après les 80 000 des Rolling Stones à peine un mois plus tôt et (iii) il reste des saucisses et de la bière dans lesquelles on peu noyer les dernières effluves de Karma Police qui tournent encore en boucle dans nos oreilles ébahies : This is what you get
La set list de Radiohead
1. Airbag 2. 2+2=5 | 11. All I Need 12. Pyramid Song 13. Lucky 14. The Bends 15. I Might Be Wrong 16. Idioteque 17. Everything In Its Right Place Encore: 18. You And Whose Army 19. Bodysnatchers 20. There There 21. Karma Police |