Portishead – Interview 2008

Propos recueillis par Astrid Karoual et Rémy Pellissier pour Evene.fr – Avril 2008

Après dix ans d’attente, voici enfin le retour du mythique groupe de Bristol, pionnier du trip-hop et auteur en 1994 de l’énorme tube ‘Glory Box’. Après ‘Dummy’ et ‘Portishead’, le trio livre aujourd’hui un joyau inclassable, sobrement intitulé ‘Third’, et remplit le Zénith de Paris pour deux concerts exceptionnels.

Sorti d’une période d’épuisement physique et mental, Portishead semble aujourd’hui avoir retrouvé l’envie de composer, d’écrire, de jouer et de tourner. Les trois Anglais défendent ‘Third’ comme un premier album, et s’apprêtent à investir les scènes du monde entier avec une joie non dissimulée. Rencontre avec les deux musiciens « têtes pensantes » du trio, Adrian Utley et Geoff Barrow, enthousiastes comme deux enfants parlant de leur nouveau jouet. Ils se coupent la parole, se complètent, répondent sans emphase à nos questions. Entretien avec des stars à la simplicité déconcertante…

Vous n’aviez pas enregistré depuis le live à Roseland en 1998. Qu’avez-vous fait pendant ces dix années loin des médias ?

Adrian Utley : Ce n’était pas le dernier concert que nous avons fait ensemble. Après ça, nous étions partis pour une très grande tournée à travers le monde pendant quelques années. Nous avons été très fatigués pendant longtemps. Nos rapports étaient devenus un peu tendus et on a parlé de faire une pause, de faire d’autres choses à côté.
Geoff Barrow : Oui, nous étions exténués et le but de ce nouvel album était de dire quelque chose de différent. On y avait pensé en 1999. Pendant une très longue période, nous avons ressenti un sentiment de vide, le sentiment de ne pas faire les choses pour les bonnes raisons.
AU : Mais nous avons fait des choses diverses qui nous font nous sentir mieux. On a su tirer quelque chose de toute cette période. En 2001, on avait commencé à révéler notre nouvelle musique en Australie. C’était bien mais ça ressemblait plus à de la musique de film qu’à un album. On a donc arrêté pour faire d’autres choses très différentes. Puis, en 2004, on a recommencé à écrire et le résultat était plus convaincant.
GB : Je suis d’accord, mais ça restait toujours difficile. En 2006, nous avons été contactés par la maison de disques. On leur a dit qu’on avait sept morceaux et une année plus tard nous en avions six supplémentaires. On avait donc beaucoup de matériel sonore et on a dû procéder à une sélection…
AU : Il a fallu détruire beaucoup de musique pour réaliser une oeuvre unique. Parfois, l’idée était de prendre trois morceaux pour n’en faire plus qu’un. C’était manifestement prolifique, mais ça a pris beaucoup de temps.
GB : Nous sommes vraiment ravis d’avoir fini. Pour moi c’est le meilleur disque qu’on ait réalisé, comme une sorte d’accomplissement. Nous en sommes très fiers.

Avez-vous ressenti une pression de la part de la maison de disques pour réaliser un nouvel album ?

GB : Nous avons toujours eu la chance d’avoir une certaine liberté.
AU : C’est vrai, bien que nous ayons vendu des disques sous contrat, nous n’avons jamais ressenti de la part d’une maison de disques la pression de faire quoi que ce soit d’une manière particulière.
GB : Artistiquement, on a toujours eu le contrôle. Personne ne nous a dit ce que nous devions faire, quelle musique nous devions écrire, quel clip nous devions réaliser. Des gens ont essayé, mais pas longtemps…
AU : Pour le premier album ‘Dummy’, on n’a pas fait les choses « à l’américaine ». On a juste fait appel à des amis qui nous aidaient sans nous dire quoi faire. Sinon, ça serait devenu ridicule…
GB : Surtout que les majors préfèrent investir dans des trucs comme James Blunt…
AU : J’adore James Blunt… C’est un génie !
GB : Je sais que tu l’adores… (rires)

Comment vivez-vous la forte attente du public pour ce nouvel album, après toutes ces années ?

GB : Nous ne voyons pas beaucoup le public ! Nous avons bien sûr un site internet et des blogs pour communiquer avec lui. Evidemment, les gens s’y intéressent, mais la pression, nous nous la mettons déjà nous-mêmes.
AU : Quand on se met à écrire de la musique, on n’a aucune idée de ce qui peut se dire alors on n’a pas vraiment de pression extérieure.

Comment réagissez-vous à la critique ?

GB : Tous les critiques ont tort. Ils écoutent un disque ou vont à un concert et cherchent à saisir de quoi vous parlez, qui vous êtes. C’est stupide !
AU : Le problème vient surtout de la question du trip-hop. Tout le monde veut classer, étiqueter, chercher quelle sorte de trip-hop nous faisons. Mais on ne raisonne pas comme ça. Une critique qui disserte là-dessus a forcément tort. En même temps, je serais intéressé de lire des mauvaises critiques de l’album car elles ont parfois raison sur certains points, quand le journaliste sait de quoi il parle.
GB : En fait, c’est une question d’opinion. Les gens s’intéressent à différents aspects. Certains adorent vraiment ‘Glory Box’. D’autres préfèrent ‘Machine Gun’. Tout dépend des préférences musicales.

L’album ‘Third’ est marqué par de nombreux changements au niveau des sons et des ambiances. Comment l’expliquez-vous ?

AU : C’est une façon naturelle de quitter ce qu’on était avant. Mais je pense que le sentiment partagé pendant la création a été le même que celui que nous avons toujours eu. Les nouveaux sons proviennent sûrement des musiques que nous écoutons, de nos sujets de discussion, de la façon dont nous pensons que la musique devrait être.
GB : Quand vous écoutez ‘Dummy’, ‘Portishead’, et enfin ‘Third’, vous pouvez voir la progression. C’est une progression naturelle. Parce que le son de ‘Dummy’ était absorbé par le « mainstream » et les médias, les gens se faisaient une idée de qui on était… Mais la manière dont on a procédé pour chaque morceau depuis le début est toujours la même.

Quelles sont vos références et inspirations actuelles ?

AU : Nous sommes allés régulièrement écouter les autres groupes dans les festivals. Et quand on écoute les groupes autour de nous, ils ont toujours d’une certaine manière un peu d’influence sur notre propre musique. Nous avons écouté de la musique électronique, expérimentale…
GB : Ou regardé des songwriters en cherchant l’inspiration pour nos propres chansons…
Si l’on se projette, comment aimeriez-vous être perçus dans dix ans par le public ?
GB : Comme un groupe révolutionnaire, précurseur ou simplement comme un bon groupe…
AU : J’aurai 60 ans…
GB : Et moi 45 ! (rires)