Noir c’est Noir : Tricky au Trianon ce soir nous a délivré un très beau et troublant concert. You don’t wanna est joué instrumental comme intro (on dirait un arrangement de Sweet dreams… des Eurythmics). Aussitôt arrivé sur scène il dévoile ses abdominaux sculpturaux. Puis il se réfugie, dos au public, sur l’estrade de son clavier. Il passera une bonne partie du concert dans cette position à fumer des clopes (ou pire ?), pendant que son groupe trace sa route, irradiant le lieu de sa seule présence.
Sur scène : une chanteuse et une guitariste métisses, une bassiste blanche, un batteur et un clavier, et Tricky bien sûr, inspirateur de cette musique si sombre qu’il semble dominer et diriger mentalement. Lorsque parfois l’aigle descend de son refuge pour se mêler physiquement à son groupe, il s’accroche à son micro comme si sa vie en dépendait et s’agite avec ce tressautement caractéristique pour décliner son trip-hop mâtiné de rap. Parfois il place son micro sur son cœur et continuant à chanter, une voix d’outre-tombe excavée de sa poitrine enfumée. A d’autres occasions il lève le bras pour demander à son groupe de jouer en sourdine avant de le relancer dans de furieux moulinets et laisser parler une rythmique guerrière.
Le combat est mené vaillamment par les trois filles dont cette remarquable chanteuse, toute de noir vêtue, aux déhanchements torrides. Elle fait l’essentiel des vocaux sur les nappes de claviers qui s’empilent en une vertigineuse pyramide de sons électroniques. Les rythmes sourds et violents envahissent l’espace kitch du Trianon et résonnent dans nos cerveaux conquis par cette noirceur.
A deux occasions l’aigle se mêle aux terriens et fait monter sur la scène une foule de spectateurs qui n’en croient pas leurs yeux. Les filles musiciennes se réfugient alors que les estrades et laissent Tricky au milieu de ses fans et de sa musique. Quelques incontournables pétasses sortent leur iphone pour marquer ce moment sur les pixels et interrompent la transe du maître, qui s’y prête avec bonhommie, pour une vulgaire photo.
Et puis la scène est de nouveau rendue au groupe, Tricky remonte fumer ses clopes sur son nid et les filles reprennent le pouvoir des cordes en nous assénant un best of Tricky plus quelques reprises. Les morceaux sont rendus avec l’énergie décuplée de cet excellent groupe dévoué à son mystique leader.
Hakim est invité à jouer un titre éponyme et un son arabisant vient nous ramener au titre de son dernier disque : Mixed Race !
Le rappel est fait sur Past Mistake et pendant que la batterie assourdissante martèle son beat sur la voix bouleversante de la chanteuse et cette obsédante ritournelle de piano, Tricky descend au milieu du public et traverse lentement le floor, étreignant chacun avec tranquillité et sincérité alors que se déroule ce superbe morceau :
I know I paid, that’s why I’m alone today/ Just me myself, no mental health/ My mistake overtakes/ Your love’s overgrown my love/ My love, my love, my love for you/ My love, my love, my love for you…/ Till it burns my soul/ Burns my soul/ Burns a hole…
et Tricky disparaît dans les coulisses nous laissant ébahis.
Vu de près lors de son passage dans la fosse, Tricky a caché ses tatouages sous un sweet rose, son bon sourire, son crâne lisse et le temps qu’il passe à saluer ses fans le font prendre pour un bon père de famille plutôt qu’un mauvais garçon. C’est juste un superbe musicien qui a su intégrer les couleurs de son époques, collaborer avec nombre de ses pairs (Massive Attack dont il fut un membre fondateur, Björk, Goldfrapp,…) et synthétiser l’ensemble dans une musique mystérieuse qui prend vraiment tout son sens sur scène.
Et d’ailleurs, ce même soir Horace Andy, le pilier reggae de Massive Attack, jouait à la Cigale à 50 mètres du Trianon. Se sont-ils parlé ? On ne le sait, mais leur âmes trip-hop / reggae a longtemps plané encore sur le boulevard Rochechouart après la fermeture des portes.