Dorothea Lange (1895-1966) fut une photographe américaine qui consacra sa vie à l’Amérique profonde confrontée aux grandes épreuves qui l’ont marquée, de la dépression des années 1929/30 jusqu’à la deuxième guerre mondiale et l’enfermement des populations d’origine japonaise. Ses reportages, parfois commandés par le gouvernement américain qui voulait constituer des archives des grands évènements d’une époque déjà bien ouverte à la photographie, sont extrêmement soignés, mis en scène. Ils constituent une plongée sociologique dans une Amérique réelle, celle de la misère et d’une sorte d’abnégation des populations face à des drames que finalement elles vaincront collectivement. Mais les photos d’individus sont le plus souvent oppressantes : foules de chômeurs urbains, fuite de paysans devant la sécheresse, familles en route vers nulle part sur des routes rectilignes et désertes, une malheureuse valise à la main, portraits de visages ravinés par le soleil et la tristesse, maisons abandonnées dans le désert… Le noir et blanc accentue le coté tragique de ces instants prélevés sur une population désespérée.
Le reportage sur les camps d’internement où furent enfermés 150 000 personnes, de nationalité américaine ou non, mais toutes d’origine japonaise, lorsque les Etats-Unis entrèrent en guerre contre le Japon en 1941 par suite de l’attaque de Pearl Harbor. Ce qui marque dans les photos est que cette population semble plutôt bien mise et intégrée mais dû malgré tout abandonner en quelques jours ses biens et son environnement pour se retrouver dans des camps dont ils ne purent sortir qu’à la fin de la guerre. Les tirages de Lange sont touchants en ce qu’ils transmettent la discipline, et on dirait même la confiance, un mélange de résignation et de dignité qui émanent de ces populations asiatiques. Ses photos furent jugées un peu trop « révolutionnaires » et le contrat qu’elle avait signée avec le gouvernement fut résilié, les photos sont restées, heureusement. En 1988 le Congrès américain reconnut que ces internements n’étaient pas nécessaires pour la défense nationale, présenta ses excuses aux survivants et leur accorda une compensation financière.
En déambulant dans cette bouleversante exposition on pense bien sûr aux romans de Steinbeck, mais aussi aux chansons de Bruce Springsteen dans l’album Nebraska qui dégagent la même beauté triste.