ROY Jules, ‘Adieu ma mère, adieu mon cœur’.

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Sortie : 1996, Chez : Albin Michel

Jules Roy (1907-2000), écrivain et officier français, né en Algérie, raconte dans ce court ouvrage un retour dans son pays natal, décidé sur un coup de tête, en plein cœur de la décennie terroriste des années 90′, pour aller se recueillir sur la tombe de sa mère et de sa famille à Sidi-Moussa près d’Alger. Escorté par les forces de sécurité locales compte tenu de sa notoriété, il déposera des roses au cimetière mais ne pourra retourner dans son village natal de Rovigoni ni à L’Arba où vécut sa mère, trop dangereux. Il pourra quand même faire un rapide pèlerinage à Blida, la ville de ses premiers émois, mais toujours encadré par les « ninjas » roulant à tombeau ouvert pour éviter les terroristes du GIA qui mettent l’Algérie (et un peu la France) à feu et à sang au nom de Dieu.

Ce livre est un touchant dialogue avec sa mère et un retour sur le temps où l’Algérie était un département français, contre toute réalité. Sa mère était l’archétype de ces pieds noirs, considérant les arabes comme des paresseux et s’attribuant les mérites d’avoir viabilisé le pays. Jules, jeune officier tirailleur algérien reste séduit par l’Action française et le maréchal Pétain jusqu’en 1942 où il rejoint le Royaume-Uni où il combattra dans la Royal Air Force. Après la libération il poursuivra avec la guerre d’Indochine avant de démissionner de l’armée en 1953 (il est alors colonel) pour protester contre les méthodes de l’armée. Il se consacre désormais pleinement à la littérature (il a déjà reçu le prix Renaudot en 1946 pour « la Vallée heureuse »). Ami de Camus et d’Amrouche, il dénonce publiquement la guerre d’Algérie et ses atrocités.

En évoquant la dure vie menée par les colons français, sa famille, et leurs sentiments qu’il ne partage pas bien entendu, ce livre est une sorte de psychothérapie-réconciliation avec ceux qui restent les êtres aimés de son enfance. Il ne justifie pas leur idées mais les expliquent. Se référant à cette Algérie sanglante des années 1990′, il admet que les jugements à l’emporte-pièce de sa mère avaient un fond de réalisme mais ces pieds-noirs ne savaient pas voir que l’indépendance du pays était inévitable et d’ailleurs souhaitable, et que la colonisation fut globalement un désastre même si nombre de situations individuelles étaient humaines, voire bénéfiques pour tous. L’illusion de la cohabitation fit long feu et se termina dans la barbarie. Il est des moments historiques où l’intérêt général doit primer sur les intérêts particuliers. Ce fut la raison pour laquelle Jules Roy pris fait et cause pour l’Algérie, contre les idées de sa famille.

Ce ne fut qu’un des multiples déchirements que généra la colonisation. Jules Roy, avec son style emporté sait le restituer avec tout l’amour qu’il n’a cessé de porter aux siens et ce dernier hommage à sa maman l’atteste avec émotion, car, comme Camus, il a toujours « …préféré sa mère à la justice » !