RUSSIER Gabrièle, ‘Lettres de prison précédé de « Pour Gabrielle » par Raymond Jean’.

Sortie : 1970, Chez : Editions du Seuil

Peu de gens se souviennent, ou savent ce que fut, l’affaire Gabrielle Russier. Eventuellement certains on vu le président Pompidou sur des images d’archives citer partiellement un poème d’Eluard à la fin d’une conférence de presse alors qu’il était interrogé quelques jours après le suicide de Gabrielle Russier le 01/09/1969.

Gabrielle était une professeure agrégée de lettres, trentenaire, divorcée mère de deux enfants, qui vécut une histoire d’amour avec l’un de ses élèves, mineur. Bien que Mai-68 soit passé par là, la rigidité des mentalités est loin de s’être assouplie et les parents du jeune homme portent plainte. Gabrielle est emprisonnée deux fois pour quelques semaines à Marseille pour détournement de mineur. Elle est condamnée à un an de prison avec sursis mais le parquet fait appel. Ne comprenant son « crime », elle perd progressivement pieds, en prison puis en maison de repos. La dépression prend le dessus jusqu’à sa mort volontaire.

Le prologue écrit par l’un de ses professeurs d’université explique ce qui paraît incompréhensible aujourd’hui : l’empêchement d’une histoire d’amour par deux personnes consentantes. Après avoir relaté ce qui les a rapproché, les études de lettres, l’agrégation, il décrit très factuellement mais avec beaucoup de tristesse la lente descente aux enfers de Gabrielle dont l’issue était à craindre.

Les lettres publiées après sa mort montrent son courage pour essayer de s’en sortir, ce qu’elle doit aux siens, mais aussi la progression du désespoir. Ecrites de prison où d’une maison de repos, elles mêlent les soucis quotidiens échangés avec sa voisine qui s’occupait de ses deux enfants, son chat, sa voiture chez le garagiste… et l’incompréhension devant l’acharnement que la société déploie pour empêcher cet amour et briser sa personne.

De Christian, l’être aimé, on ne dit rien. Lui-même à sa majorité livrera une unique interview sur cet amour empêché, avant de replonger dans l’anonymat et ne pas en ressortir.

Cette histoire émut l’intelligentsia de l’époque et elle fut retracée, notamment, dans le film « Mourir d’aimer » (avec une bande originale signée Charles Aznavour) dans lequel Annie Girardot fit pleurer la France entière. Juste une histoire stupide et tragique !

Interview Pompidou (INA) : https://m.ina.fr/video/I00016723

La citation de Pompidou (auteur par ailleurs d’une anthologie de la poésie française) créa elle aussi la polémique car Eluard avait écrit ce poème en hommage aux femmes tondues en 1944/45 à la libération pour complaisance avec l’ennemi. L’assimilation de Gabrielle à ces victimes fut certes accrobatique, mais avec un peu d’imagination on peut sans difficulté en reporter toute l’émotion sur ce drame Russier. Le voici en entier :

COMPRENNE QUI VOUDRA

Comprenne qui voudra
Moi mon remords ce fut
La malheureuse qui resta
Sur le pavé
La victime raisonnable
À la robe déchirée
Au regard d’enfant perdue
Découronnée défigurée
Celle qui ressemble aux morts
Qui sont morts pour être aimés

Une fille faite pour un bouquet
Et couverte
Du noir crachat des ténèbres

Une fille galante
Comme une aurore de premier mai
La plus aimable bête

Souillée et qui n’a pas compris
Qu’elle est souillée
Une bête prise au piège
Des amateurs de beauté

Et ma mère la femme
Voudrait bien dorloter
Cette image idéale
De son malheur sur terre.

Paul Eluard – 1944