Ambitions et réalités

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En ces temps d’accidents climatiques et d’intronisation d’une nouvelle commission de l’Union européenne (UE), ladite commission a publié le 11 décembre 2019 un texte de 28 pages (plus 5 d’annexes) intitulé « Le Pacte vert pour l’Europe ». En matière écologique la commission n’a qu’un pouvoir de proposition aux Etats membres et au parlement européen qui décideront ce qu’ils veulent retenir de cette longue litanie de bons sentiments, mais ils risquent très fortement d’y tailler à la hache en fonction de leurs intérêts nationaux propres et de la profondeur de leurs poches.

Le texte qui reste à un niveau très général est plutôt consensuel. Mis à part quelques idéologues extrémistes et peu réalistes, qui pourrait ne pas être d’accord avec les propositions qu’il contient ? Les mots-valises emportent l’agrément assez facilement dès l’introduction :

Cette nouvelle stratégie de croissance vise à transformer l’UE en une société juste et prospère, dotée d’une économie moderne, efficace dans l’utilisation des ressources et compétitive, caractérisée par l’absence d’émission nette de gaz à effet de serre d’ici 2050 et dans laquelle la croissance économique sera dissociée de l’utilisation des ressources. 

Cette stratégie vise aussi à protéger, préserver et consolider le patrimoine naturel de l’UE, ainsi qu’à protéger la santé et le bien-être des citoyens des risques et incidences liés à l’environnement. Dans le même temps, cette transition doit être juste et inclusive.

« Le Pacte vert pour l’Europe », document réf. COM(2019) 640 final

La vraie vie sera sans doute toute autre lorsque cette communication devra être transformée en mesures effectives à décider et appliquer par 27 Etats membres. Chacun tentera de défendre ses intérêts particuliers en oubliant l’objectif général. Chacun devra composer avec les considérations de ses électeurs. Les Etats déjà avancés en matière de neutralité climatique n’auront plus les mêmes objectifs que les mauvais élèves. Les Etats pauvres voudront faire payer les riches et les riches ne voudront pas financer les Etats peu rigoureux comme la France ou la Roumanie, etc. etc…

La vraie question est sans doute essentiellement comportementale : comment faire changer le mode de vie de populations plus préoccupées de leurs taux de cholestérol et de leurs modèles d’aïephones que de l’avenir climatique qu’ils laisseront à leurs enfants. Comment faire que les bobos aillent passer leurs vacances dans le Cantal plutôt qu’à Phucket, que les gamins utilisent un peu moins les réseaux de l’Internet[1] et leurs accessoires connectés, que les citoyens mangent moins de viande… Il faudra produire et consommer différemment (pour ne pas dire moins produire et moins consommer), remettre en cause les fondements de l’économie libérale qui a considérablement amélioré la condition humaine ces deux derniers siècles. C’est une révolution pacifique qu’il faudrait mener, mais par où et par qui commencer ?


[1] Les fermes de serveurs des GAFAM et leurs affidés consomment tellement d’énergie qu’elles sont délocalisées dans les zones froides voire polaires pour atténuer les coûts de refroidissement. Bien entendu les coûts du réchauffement qu’elles provoquent ne sont facturés à personne…

Les scientifiques ont beau sauter sur leurs chaises comme des cabris en criant : « c’est la fin du monde, on va tous mourir ! » c’est la grandeur de nos démocraties de ne pas savoir imposer des comportements à ses citoyens ; pour les changer il faut convaincre et il faut faire adopter des lois par des parlements élus démocratiquement. C’est ce qu’on appelle la liberté si chère à notre univers occidental. Evidement nous allons peut-être mourir de cette liberté si la planète grille avant que nous ne réagissions suffisamment mais la clé n’est pas que chez les gouvernements ou l’Union européenne ou les organisations multilatérales, elle est surtout dans les mains des citoyens qui doivent consentir à aller dans le sens de ce qu’indiquent le bon sens et… la commission européenne. Pour commencer, ils devraient lire les 28 pages du « Pacte vert » mais combien le feront bien que cette lecture ne prenne pas plus de temps qu’une mi-temps de fouteballe à la télévision (moment que M. Michu préfère généralement consacrer à l’évacuation de son trop plein de bière pendant que Mme. Recharge les pizzas industrielles « 4 fromages ») ?

La France, à la tête des pays indisciplinés et mal gérés, est un bon exemple des difficultés de la démarche. On se souvient de l’écotaxe qui avait été votée, fait très rare, à l’unanimité du parlement national, toutes couleurs politiques confondues, mais qui avait du être retirée en catastrophe en 2013 suite aux émeutes et sabotages déclenchés par une bande de furieux prêts à mettre le pays à feu et à sang pour ne pas la payer. Plus récemment, c’est l’augmentation des taxes sur le carburant diesel qui a déclenché les émeutes et blocages violents menés par des délinquants qui perturbent le pays depuis plus d’un an, et bien que là aussi le pouvoir ait renoncé à cette hausse de taxe.

En fait, seul le coût peut avoir un effet pédagogique sur les producteurs et les consommateurs : si le coût du démantèlement des centrales nucléaires était facturé aux consommateurs ils allumeraient leurs radiateurs avec plus de parcimonie, si les coûts écologiques étaient inclus dans la facturation du transport aérien les bobos achèteraient un peu moins de kiwis importés de Nouvelle-Zélande et consommeraient un peu plus de pommes normandes, etc. Le capitalisme a toujours fait montre d’une remarquable plasticité pour s’adapter aux changements de son environnement, il le fera de nouveau face au défi climatique s’il y a intérêt. Mais il faut savoir introduire ces coûts de façon maligne, sans doute les compenser par des baisses d’autres impôts et taxes par ailleurs pour que la charge globale reste la même mais le principe « pollueur-payeur » signifie bien que le pollueur… payera plus et donc, ne sera pas content. Mais répartir de nouveaux coûts sur des critères écologiques cela veut dire jouer avec les règles de la concurrence, démanteler certains secteurs économiques et certaines activités humaines, en promouvoir de nouveaux. C’est difficile, il y a des intérêts, des enjeux, des pressions. Pour le moment personne n’y a vraiment réussi et les citoyens ne sont pas véritablement demandeurs au-delà des slogans de circonstance. Au contraire, ils ont élu des dirigeants climatosceptiques aux Etats-Unis, en Australie, au Brésil… Peut-être l’aggravation de la situation écologique aboutira à la prise de conscience citoyenne à laquelle les pouvoirs actuels échouent ?

Les dirigeants élus dans nos démocraties doivent composer avec tous ces éléments contradictoires et surfer sur les humeurs de Mme. Michu. On voit en France ces derniers mois que cela n’est pas aisé alors que très peu de changements ont pour l’instant été instaurés en faveur du climat , mais tout de même un peu. L’inertie des comportements et l’égoïsme des citoyens ne poussent pas vraiment à l’optimisme ; la difficulté pour aboutir à une entente planétaire opérationnelle, ne l’est guère plus. Les plus pessimistes (voir les cabris ci-dessus) perdent déjà tout espoir, les masses attendent la sortie du prochain modèle d’aïephone, certains hurluberlus ne peuvent pas s’empêcher de penser qu’à la fin des fins, au bord de l’abîme, il y aura bien des réactions salutaires et que le monde survivra, même avec 2 ou 3° de plus ! L’avenir le dira. En attendant, que chacun prenne ses responsabilités, agisse là où il le peut et cherche à entraîner son voisin vers un comportement plus vertueux, ce sera déjà ça de pris.

Télécharger le texte de la Commission européenne : Le Pacte vert pour l’Europe, Annexe

Ce que dit la communication

La croissance doit être « durable et inclusive », bien sûr. Les mesures à prendre doivent être « audacieuses et complètes », évidemment, etc.

S’en suivent d’intéressants développements sur la nécessaire transformation des économies des Etats membres pour atteindre la « neutralité climatique » en 2050 avec une réduction des gaz à effets de serre en 2030 de 55% par rapport au niveau de 1990 en instaurant une taxation des émissions de carbone dans l’Union et, éventuellement, une taxation des produits à l’entrée dans l’Union si les pays tiers ne consentent pas les mêmes efforts. Il faudra transformer l’économie « linéaire » de l’industrie actuelle, qui représente 20% des émissions de gaz à effet de serre de l’Union, en une économie « circulaire » qui est censée limiter le gaspillage des ressources et l’impact environnemental. Il est recommandé d’améliorer l’information des consommateurs afin qu’ils optent pour des produits durables et d’utiliser les technologies numériques pour atteindre les objectifs du pacte vert.

Les bâtiments représentant 40% de la consommation d’énergie en Europe, le pacte recommande l’engagement d’une « vague de rénovation » des bâtiments publics et privés. De même, la transition vers une « mobilité durable et intelligente », notamment en incluant dans les prix du transport les coûts environnementaux. Il est question de concevoir un système alimentaire « juste, sain et respectueux de l’environnement » de « la ferme à la table » avec notamment une baisse de l’utilisation des produits chimiques dans l’agriculture et le lancement de l’économie circulaire générant moins d’impacts environnementaux. Il faudra « préserver et rétablir les écosystèmes et la biodiversité », développer une « ambition zéro pollution pour un environnement exempt de substances toxiques », cela va sans dire.

Le maître mot est la « durabilité » qui devra être intégrée dans toutes les politiques de l’UE en promouvant la finance et l’investissement verts et en assurant une transition juste. Et là apparaît la première évaluation financière de la commission qui estime à 260 milliards les investissements annuels qu’il convient de lancer pour atteindre les objectifs climatiques de l’horizon 2030, l’ampleur de ces sommes nécessitant la mobilisation des secteurs privés et publics. La commission recommande que les budgets nationaux soient « verdis » avec une fiscalité adaptée. La recherche doit également être fortement impliquée pour identifier « des solutions durables » et une « innovation de rupture ». L’éducation également sera un point d’entrée clé pour la réussite du pacte vert.

L’UE se veut le « chef de file » mondial pour encourager les pays tiers à adopter des mesures similaires afin que ce « pacte vert » devienne mondial, condition indispensable à sa réussite. L’Union mettrait en place une « diplomatie du pacte vert » en appuyant les accords multilatéraux comme l’Accord de Paris aussi bien que les accords bilatéraux, particulièrement avec les pays voisins. L’idée des marchés internationaux du carbone est relancée[1]. Enfin, la commission souhaite lancer un « pacte européen pour le climat » pour mobiliser les citoyens en faveur du climat.


[1] Après les résultats plutôt mitigés des premières expériences qui ont plus brillé par les fraudes colossales qu’elles ont engendrées, plutôt que leur impact sur la décarbonation…