La Turquie utilise à plein sa capacité de nuisance pour asseoir une occupation illégale de la Syrie

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La Turquie accentue le trouble qu’elle sème au Proche-Orient et, par conséquence, en Europe. Ce pays occupe militairement la bande syrienne nord frontalière et se confronte désormais directement à la volonté du régime syrien de reprendre le contrôle de l’ensemble de son territoire. Les armes parlent depuis quelques jours et il y a des morts dans les armées des deux côtés. Evidemment la religion n’est jamais bien loin : les turcs sunnites, plutôt proches de la confrérie des Frères musulmans, sont opposés aux syriens alaouites, une branche de l’islam plutôt proche du chiisme d’où le soutien des iraniens et du Hezbollah libanais à Damas, qui plus est, sérieusement appuyée par l’armée russe.

Alors évidement Ankara se retrouve un peu esseulée et appelle au « soutien » de l’Europe dans son combat, sous menace de renvoyer les deux à trois millions de réfugiés syriens présents sur son territoire vers les pays européens. On ne sait pas bien le type de « soutien » attendu par la Turquie. Veut-elle que les armées européennes, ou l’OTAN, viennent combattre le régime syrien pour « légaliser » l’occupation illégale du nord de la Syrie par l’armée turque et ses séides syriens ? C’est peu réaliste ce qui n’a sans doute pas échappé à Ankara. Veut-elle plus simplement que l’Europe fasse pression sur la Syrie et son allié russe pour que les combats syro-turques se terminent ? Quand on sait que la capacité d’influence du reste du monde sur ces deux pays est quasi-inexistante comme l’ont montré de nombreux exemples, on ne voit pas bien où cela peut mener. La Turquie veut-elle plus de sous de l’Europe, plus d’armes ? Sans doute.

Hélas, les vociférations du président turques contre à peu près tous les pays européens ont légèrement découragé leurs dirigeants respectifs. Le président Erdogan a successivement accusé les allemands de « pratiques nazis », puis son homologue Macron d’être en état de « mort cérébrale », qualificatif que celui-ci avait employé à l’encontre de l’alliance atlantique OTAN dont fait partie la Turquie, ambiance… Et l’on ne parle même pas des envolées lyriques d’Erdogan qui recommande un vote aux allemands d’origine turque pour les élections allemandes ou qui suggère à ceux-ci de faire beaucoup d’enfants pour « occuper l’Europe »[1]. Comme par ailleurs la Turquie occupe illégalement Chypre depuis 1974, membre de l’Union européenne, on comprend que ce pays ne déclenche pas une empathie généralisée dans les capitales européennes, c’est le moins que l’on puisse dire…

Mais ce président colérique est là, la Turquie aussi, les communautés d’origine turque sont très présentes et influentes en Europe de l’ouest (spécialement en Allemagne) alors il faut bien faire avec et les capitales européennes essayent de se dépatouiller de cette inextricable situation. Pour bien marquer sa forte capacité de nuisance, la Turquie a dirigé depuis deux jours des réfugiés européens vers les frontières grecques terrestres et maritimes. Le cynisme de cette action n’a d’égal que sa perniciosité, mais elle a des chances de fonctionner.

Dans le même temps la Turquie a demandé aux Etats-Unis la livraison de missiles anti-aériens comme elle avait demandé et obtenu la même chose de la Russie au grand dam des occidentaux, consternés par ce double langage d’un allié de moins en moins fiable.

Jusqu’ici la Turquie agace considérablement, se trouve plutôt isolée, mais obtient plus ou moins ce qu’elle veut, c’est-à-dire assez peu de réactions à ses déclarations et ses actions va-t-en-guerre. Moscou et Damas doivent plutôt sourire en coin de voir le régime d’Ankara réussir à affaiblir l’Occident à coups de vociférations plus ou moins religieuses… mais depuis quelques jours l’affrontement militaire est direct. La tentation (pourtant forte) de les laisser se débrouiller entre eux n’est pas une option tant ses implications risqueraient d’être négatives pour les pays européens. Le sujet va être très très chauds pour les semaines à venir.

Au moins une certitude, l’option de faire adhérer la Turquie à l’Union européenne n’est plus sur la table pour au moins les 50 prochaines années, c’est déjà ça.


[1] On a même vu des dirigeants turcs tenir des meetings électoraux en Allemagne et en France avant des élections en Turquie pour « motiver » leurs électeurs locaux. On n’ose pas même imaginer la réaction turque si des pays européens envisageaient des actions réciproques sur le territoire turc…