APPELFELD Aharon, ‘Des jours d’une stupéfiante clarté’.

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Sortie : 2018, Chez : POINTS P4908 (2018).

Aharon Appelfeld aborde dans ce roman publié en 2014 la sortie des camps de concentration par ceux qui ont survécu. Ce fut notamment son cas puisqu’il s’évada du camp de Transnistrie (frontière entre Roumanie et Ukraine) où il était prisonnier. Sa mère fut assassinée en 1940 et il retrouva son père seulement en 1957, lui aussi survivant de la Shoah.

Theo est le héros de ce récit qui démarre après la libération du camp et alors qu’il a décidé de prendre la route à pieds, seul, pour retrouver son village en Autriche, à 300 km de là. Cette décision est tout de même un peu hésitante du fait de ses remords de laisser ses camarades de détention et de l’immense incertitude dans laquelle il se trouve sur qui il va retrouver, ou pas, dans sa famille. En cours de route il croise une rescapée qui s’avère être l’ancienne amoureuse de son père, et qui est en bien triste état. Ensemble il vont parler du passé et le fils découvrir un aspect de la personnalité de son père qu’il ne connaissait pas.
Sur la route du retour la mère de Theo occupe ses pensées et son espoir. C’était une mère aimante, originale, artiste mais psychologiquement très fragile (sans doute « bipolaire » dirait-on aujourd’hui), qui avait du quitter sa famille pour s’exiler dans un monastère.

Alors Theo marche vers son destin. Il croise des rescapés qui ont plutôt tendance à rester entre eux dans des camps de fortune désormais approvisionnés en vivres. Il y dort la nuit quand il ne préfère pas le bord de la route. Il rencontre d’autres marcheurs. Il est habité par ses souvenirs familiaux et hanté par ce qu’il va en rester… Le roman se termine alors qu’il va franchir la frontière autrichienne et qu’il n’est plus qu’à quelques kilomètres de son village. Chaque lecteur fera sa propre fin mais en l’espèce, le pire était probablement dans l’esprit de l’auteur compte tenu de sa propre histoire.

Le style d’Appelfeld est lent et mystérieux. Le rythme est celui de la marche à pieds dans une nature printanière mais surtout celui du cheminement des pensées de Theo, survivant en marche vers un probable désastre. On songe à l’état d’esprit qui pouvait être celui de ces déportés survivants après leur libération. Au-delà des déportés d’ailleurs, il y eut dans l’immédiat après-guerre des mouvements massifs de population à travers toute l’Europe, les uns fuyant l’occupation soviétiques, les autres se mettant à l’abri du remodelage des frontières ou cherchant à échapper aux vengeances touchant les minorités. Ce fut une époque terrible avec son cortège de misère, de massacres et d’errements. Il a fallu quelques décennies pour s’en relever mais l’Europe ne s’en est jamais vraiment remise et débuta sa décadence à cette époque. Appelfeld consacra sa vie post-conflit à sa reconstruction personnelle qui passait par l’écriture. Son œuvre fut majoritairement consacrée au sort des juifs. Il est mort en 2018 à 85 ans. Il fit partie de la génération des derniers témoins de la Shoah, avec noblesse il en a écrit les conséquences sa vie durant.