Le risque de change des bobos

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La banque française BNP Paribas s’est distinguée en distribuant via sa filiale Cetelem environ 800 millions d’euros de prêts « toxiques » libellés en francs suisses (CHF) et remboursables en euros (EUR) avec un mécanisme compliqué de calcul des intérêts basé sur le différentiel de taux de change EUR/CHF. Il y aurait environ 4 600 emprunteurs, généralement investisseurs immobiliers dans des opérations de défiscalisation (Scellier, Robien…). C’était avant la crise financière de 2008 et lorsque celle-ci intervint la parité EUR/CHF évolua au détriment des emprunteurs de la BNP Paribas. Ceux-ci se sont donc retrouvés avec une augmentation significative de leurs échéances qui ont dépassé largement les montants empruntés.

La plupart des emprunteurs n’ont bien entendu pas lu les documents de prêt qu’ils ont signés, ou ne les ont pas compris, et on peut compter sur les vendeurs de la BNP, ou ses intermédiaires, pour avoir soigneusement passé sous le tapis les éléments de risque. Nous étions avant la crise financière une époque où les banques ont fait exploser la planète économique en fourguant aux marchés des produits « structurés » composés de prêts immobiliers à des débiteurs insolvables. Nous les savons donc capables de tout.

Nos emprunteurs en CHF ont intenté une action en justice contre la BNP Paribas. Celle-ci a été condamnée en février dernier pour « pratique commerciale trompeuse » et devra verser des dommages et intérêts d’environ 150 millions d’euros aux 2 500 emprunteurs s’étant portés partie civile. On ne va évidemment pas pleurer sur le sort des forbans qui gouvernaient nos banques à l’époque, prêts à tout et surtout au pire, pour fourguer du grand n’importe quoi à n’importe qui afin d’alimenter leurs bonus stratosphériques et immérités. On a vu ce que cela a donné en 2008 et il fallut l’intervention des contribuables pour soutenir leur corporation qui dévasta une économie mondiale à qui il fallut une bonne décade pour se remettre de leurs avanies.

Mais on ne peut pas non plus complètement exonérer les emprunteurs dont la ligne de défense est basée sur la crédulité et leur ignorance du risque de change… Il s’agit tout de même d’investisseurs qui finançaient des montages immobiliers défiscalisant et qui devaient quand même avoir quelques neurones correctement connectés ? Après tout n’importe quel travailleur frontalier avec la Suisse sait très bien utiliser le risque de change à son profit pour aller acheter ses cigarettes en Suisse lorsque la parité est à son avantage, n’importe quel bobo parisien arbitre parfaitement ses vacances entre Phuket et Ibiza en fonction de l’évolution de la devise thaïlandaise, n’importe quel éleveur de moutons malien analphabète comprend parfaitement quand il a intérêt à aller vendre ses bêtes en Mauritanie selon l’évolution de la devise mauritanienne versus le franc CFA. Et il faudrait entériner que le bobo n’est pas en mesure de comprendre que s’il emprunte en CHF alors que ses revenus sont en EUR il fait donc face à un risque de change, même si sa banque lui dit le contraire ?

Ça n’est pas raisonnable et il faut quand même que celui qui spécule sur les devises assume une partie de ses responsabilités, même s’il spéculait « sans le savoir ». La BNP a fait appel du jugement qui contredit nombre des décisions prononcées par des juridictions civiles. Si celui-ci était cassé il serait légitime qu’un nouveau jugement laisse une partie du risque pris, même symbolique, à la charge des emprunteurs. Et en tout cas que ces derniers ne soient pas bénéficiaires d’un dédommagement de leur « préjudice moral » pour leurs spéculations.

Bien entendu la défense des parties civiles fait dans le misérabilisme en invoquant « les gens peu éduqués qui se sont fait embobiner par les vendeurs de la BNP Paribas ». Ces gens « peu éduqués » qui ont bénéficié de l’éducation de la République (le premier budget de l’Etat) ont tout de même emprunté dans une banque pour se lancer dans des investissements immobiliers le plus souvent assortis d’avantages en termes de défiscalisation. Bien ou peu « éduqués » il est juste qu’ils assument une partie de leurs erreurs de choix et de leur absence de la réflexion préalable nécessaire dans tout investissement. Les gros (la banque) paieront beaucoup et les petits (les emprunteurs irréfléchis) doivent payer un peu, sinon plus personne n’est responsable de rien et on renforce encore cette tendance à la déresponsabilisation générale qui mine notre société. Il y aura également un aspect éducatif à une sanction financière, comme à l’école, celui qui fait une bêtise prend un coup de règles sur les doigts et va au coin avec le bonnet d’âne. La fois suivante il retient bien mieux ses leçons, c’est ainsi que l’on apprend.

NB : les indemnisations auxquelles la banque a été condamnées par le tribunal correctionnel sont payables immédiatement, même en cas d’appel. La BNP se bat aussi pour faire suspendre cette décision car si l’appel cassait le jugement il ne serait évidemment pas aisé de recouvrer ces indemnités déjà versées…