Le temps des désillusions

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Le « tribunal constitutionnel » en Pologne vient de remettre en cause la primauté du droit européen sur le droit national polonais en déclarant que certains articles des traités européens sont contraires à la Constitution de ce pays. C’est l’aboutissement juridique d’une longue bataille de Varsovie contre l’un des principes fondateurs de l’Union européenne (UE). En France, les souverainistes jubilent puisqu’ils voudraient voir Paris suivre ce « bon » exemple et les européanistes dépriment devant ce qu’ils qualifient « d’attaques contre l’UE ».

Ce n’est hélas qu’une malheureuse histoire où la malveillance s’additionne à l’individualisme. Les traités européens sont ce qu’ils sont, ils ont été, soit élaborés par les pays fondateurs, soit adoptés au fur et à mesure par les pays nouveaux-adhérents, condition sine qua non de leur adhésion. Les procédures d’évolution de ces traités existent et peuvent être appliquées dans les conditions de majorité requises. L’exemple récent de la sortie de l’Union du Royaume-Uni montre que tout est possible dans le cadre des règles élaborées, y compris la créativité comme l’accord nord-irlandais du Brexit.

Les pays est-européens, comme le Royaume-Uni d’ailleurs, n’ont jamais vraiment endossé les principes politiques de l’UE. Mais la perspective de l’accès au marché communautaire et aux subventions significatives pour la mise à niveau de leurs économies les a poussés à adhérer pour encaisser ces avantages au plus vite, quitte à voir plus tard comment compromettre, ou pas, avec les contraintes politiques qui vont avec et qu’ils ont acceptées.

Londres a essayé de modifier de l’intérieur l’esprit de l’UE, y a échoué puis est finalement parti. Varsovie est probablement plus réticente à envisager de sortir car les inconvénients socio-économiques seraient plus pénalisants pour ce pays qu’ils sont en train de l’être pour le Royaume-Uni. Elle se rend compte qu’elle n’arrivera pas à obtenir les conditions de majorité nécessaires pour faire adopter ses propres vues dans les traités, alors la Pologne reste dans l’Union, refuse d’appliquer certaines de ses règles et sème la zizanie, espérant peut-être convaincre certains Etats-membres de suivre pour éviter le chaos général.

Evidemment cela agace un peu les partisans de l’esprit des pères fondateurs qui considèrent que si l’on bénéficie des ressources financières et des avantages commerciaux d’un groupe de pays, il convient de respecter les règles existantes, ou alors de les changer, mais en suivant les procédures élaborées à cet effet. Ce sont finalement des règles de fonctionnement qui sont assez similaires avec celles qui existent dans une copropriété en France.

Les pays est-européens pensent différemment et ne veulent plus respecter les traités qu’ils ont acceptés au départ puis échoué à faire changer de façon consensuelle. Alors ils essayent de l’intérieur, comme un Cheval de Troie. Leur capacité de nuisance est importante et l’avenir dira s’il valait mieux partir en claquant la porte comme le Royaume-Uni ou rester en semant le chaos comme la Pologne ou la Hongrie. Entre une position claire et une attitude machiavélique, bien malin qui croit savoir qui l’emportera.

C’est une nouvelle confirmation de l’erreur que fut l’ouverture de l’Union européenne à nombre de pays qui, dès le départ, n’étaient pas en mesure d’en accepter les contraintes ni n’avaient la volonté d’en respecter l’esprit. Une union politique ne peut valablement fonctionner qu’entre vrais amis. Une zone commerciale peut en revanche être étendue à des tiers avec qui l’on n’est pas forcément amis comme pour l’Espace économique européen (EEE) ouvert à la Confédération Helvétique ou la Norvège.

Vous avez aimé le Brexit ? Vous allez adorer le chaos est-européen. Voici venu le temps des désillusions européennes !