« Frantz Fanon, la trajectoire d’un révolté » de Audrey Maurion et Mathieu Glissant

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Un très bon documentaire sur la vie et la pensée de Frantz Fanon (1925-1961), psychiatre né en Martinique qui théorisa l’influence de la colonisation sur les troubles mentaux des colonisés. Affecté à l’hôpital psychiatrique de Blida en Algérie « française » il y soigne les gens du peuple ainsi que les victimes de la guerre d’indépendance, les torturés comme leurs bourreaux, qui fait alors rage. Solidaire de la cause algérienne, il démissionne de l’hôpital, renonce à sa nationalité française et devient l’un des compagnons de route du Front de libération nationale (FLN) qui mène la lutte contre la France colonisatrice.

Il devient l’un des penseurs majeurs du fait colonial et de son pendant, la décolonisation. Dans « Peau noire, masques blancs » il analyse de façon lumineuse comment la colonisation des esprits s’est surajoutée à celles des pays rendant le combat pour l’indépendance encore plus difficile car il faut non seulement reconquérir le territoire mais aussi les esprits. Outre son association au combat pour l’indépendance du FLN, Fanon va participer aux différentes conférences internationales qui se déroulent à la fin des années 1950 sur la décolonisation de l’Afrique, l’émergence du concept des « pays non-alignés », parfois en représentation du FLN. A son décès des suites d’une leucémie (soignée d’abord à Moscou, puis aux Etats-Unis) à 36 ans, il est enterré en Algérie en héros, porté en terre par ses camarades du FLN.

Il ne connaîtra, ni l’indépendance de l’Algérie, ni celles de la majorité des pays africains, ni, surtout, ce qu’en ont fait les peuples et les dirigeants de ces nouvelles nations. Il aurait été intéressant qu’il poursuive sa réflexion sur ces sujets. Car bien sûr, les années 1960 jusqu’à nos jours ont montré combien était clairvoyante sa vision de l’intrusion du phénomène colonial dans l’esprit des colonisés. Nombre de des anciennes colonies françaises ont poursuivi l’aliénation de leurs propres peuples via la mise en place de dictatures plus ou moins liées à l’ancienne puissance colonisatrice.

Les écrits de Fanon comme son action n’ont pas vraiment proposé de méthodes pour réussir la décolonisation, pour atteindre la responsabilisation pleine et entière des nouveaux dirigeants. La vérité est probablement que personne ne sait vraiment comment décoloniser de façon apaisée et efficace. Vu de très haut on pourrait penser que la décolonisation des pays ex-britanniques fut plus aisée que celle des pays ex-français. Peut-être est-ce aussi le fait que dans le cas de l’Empire britannique Londres a moins cherché à s’emparer des esprits, que la France qui a installé des écoles pour enseigner « nos ancêtres les gaulois » au fond de la brousse !

La situation troublée actuelle des départements d’outre-mer français, les derniers confettis de l’Empire, illustre à l’envie l’analyse de Fanon sur la colonisation intrusive des esprits. Les contradictions explosives dans lesquelles s’enferrent les populations de ces territoires confirment l’impasse dans laquelle se trouvent les parties sans solution pour décoloniser les esprits.

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Le documentaire est ponctué d’interventions de l’écrivain martiniquais Patrick Chamoiseau dont l’œuvre et l’action sont tournées vers la « créolité », des interventions souriantes qui amènent un peu de légèreté dans ce film habité par la fièvre de Fanon pour son combat.

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