Le point Godwin et les gaulois brailleurs

Avez-vous remarqué qu’en France un citoyen qui respecte plus ou moins les règles est plutôt l’exception au milieu d’un peuple qui met un point d’honneur à traverser en dehors des clous ou à ne pas porter son masque sanitaire dans les zones où celui-ci est obligatoire. Il faut de tout pour faire un monde et ce n’est pas bien grave si des gens traversent dans les clous pendant que d’autres traversent en dehors, même si l’on peut penser que la première solution est meilleure pour la santé. De toute façon, le piéton qui se fait écraser en dehors des clous sera soigné et financièrement pris en charge par la communauté des cotisants de la même façon que celui qui se fait écraser sur les clous, le coût de la transgression est donc nul. C’est plus confortable ainsi !

Ce qui est aussi caractéristique de cette population française de gaulois brailleurs c’est que celui qui traverse en dehors des clous a tendance à rapidement railler celui qui traverse sur les clous, taxé de psychorigidité, d’être aveuglé par son sens de la discipline et autres joyeusetés du même ordre. Ce dernier se croît parfois obligé de se justifier mais à peine aura-t-il avancé l’éventuel intérêt général de la Loi primant sur les intérêts personnels qu’il se fait agonir de sarcasmes et d’ironie sur son comportement moutonnier qui est forcément condamnable. La charge de la preuve est inversée, c’est celui qui respecte les règles qui doit s’expliquer devant celui qui y déroge.

Si la discussion se prolonge elle atteint son « point Godwin » et celui qui s’écarte des règles pose à celui qui les respecte la question : « mais pendant l’occupation allemande de la France entre 1940 et 1944 de quel côté te serais-tu situé ? » en ajoutant que les lois anti-juives du régime Pétain « ont été légalement adoptées par le Parlement français » … Bien sûr le contrevenant laisse entendre que respecter la Loi en 2021 fait potentiellement de vous un « collaborateur des nazis ». C’est un peu désagréable à entendre mais c’est la confirmation de la « loi de Godwin » qui veut que :

[elle] repose sur l’hypothèse selon laquelle une discussion qui dure peut amener à remplacer des arguments par des analogies extrêmes. L’exemple le plus courant consiste à comparer le thème de la discussion avec une opinion nazie ou à traiter son interlocuteur de nazi.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_de_Godwin

En France, les petits arrangements avec les lois et les règles sont considérés comme chics et romantiques. Ils marquent le côté rebelle de leurs auteurs qui se sentent ainsi des Danton de circonstance, des Rimbaud de quartier, des Jean Moulin d’opérette. Cela rassure à peu de frais ; en ne respectant pas les règles on se croit à l’écart des sentiers battus, au-dessus de la masse, mais on est bien content de bénéficier de ces règles lorsqu’elle vous protège.

Dans des situations dramatiques comme l’occupation de la France par les Allemands, bien malin qui peut prévoir qui d’entre nous sera résistant et qui sera collabo. Les actuels contrevenants-chics se rassurent en se disant que le fait qu’ils refusent de traverser dans les clous, leur comportement « rebelle » d’aujourd’hui, sans véritable risque, les classerait bien entendu dans le camp des résistants à l’oppression. Rien n’est évidemment écrit d’avance et le mieux est de faire preuve de modestie en la matière.