OUFKIR Malika, ‘La prisonnière’.

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Sortie : 1999, Chez : Grasset / Le Livre de Poche n°14884

Ecrit avec Michèle Fitoussi.

C’est l’histoire d’une haine, féroce, définitive… royale, celle du roi du Maroc Hassan II à l’encontre de la famille Oufkir dont le père et mari : Mohamed, a commis le crise de lèse majesté en attentant à la vie du monarque lors d’une tentative de coup d’Etat avortée en 1972 alors qu’il était ministre des armées et proche conseiller du roi. Selon les versions, il se serait suicidé ou aurait été exécuté après l’échec de cette tentative de renversement. Dans les vingt années qui suivirent, sa femme et ses six enfants furent emprisonnés et le simple nom « Oufkir » rayé du langage marocain.

Durant son règne, le roi Hassan II a souvent fait preuve d’une grande intelligence dans sa capacité à gérer les relations internationales à l’avantage de son pays, tout spécialement avec la France, ancienne puissance chargée du « protectorat ». On se souvient notamment de son combat pour récupérer la souveraineté sur le « Sahara espagnol » après sa décolonisation et des mots qu’il eut avec beaucoup d’adresse contre Danièle Mitterrand (l’épouse « morganatique ») qui défendait l’indépendance de ce nouveau territoire. On sut également qu’à l’intérieur du pays il était un roi de pouvoir absolu qui n’hésitait pas à défendre ses prérogatives et son pouvoir, sans états d’âme et par tous les moyens à sa disposition, qui étaient nombreux.

Ce livre de Malika Oufkir révèle la réalité d’un régime politique d’un autre âge qui de plus, dans le cas du Maroc, investit son titulaire du titre de « commandeur des croyants » dont on ne sait pas exactement ce qu’il recouvre sinon de donner un aspect religieux au pouvoir absolu du roi du Maroc. Déjà proche de la famille royale, habituée du Palais et de ses mondanités monarchique, la famille Oufkir s’est fait notifier la décision du roi d’adopter leur fille aînée, Malika, car celle-ci distrait sa propre fille. Malika a 5 ou 6 ans, la décision est exécutoire pour le soir même et c’est un déchirement pour cette gamine qui verra beaucoup moins sa famille et va vivre une dizaine d’année dans le cocon monarchique aux pratiques moyenâgeuses : bataillons d’esclaves (de vrais esclaves dont la vie entière est dédiée au roi), de domestiques, harem renouvelé régulièrement (le roi pioche dans sa « réserve » mais a une femme officielle), fêtes fastueuses, résidences de luxe dans le monde entier, valse des courtisans, shopping organisé sur un coup de tête à Paris ou à Londres, large famille entretenue luxueusement à ne rien faire, etc. etc. On était dans les années 1970 mais il n’est pas bien sûr que les choses aient fondamentalement changé aujourd’hui. Peut-être quand même les esclaves sont maintenant qualifiés de serviteurs ?

Mais ce livre va surtout raconter les vingt années d’emprisonnement dans des conditions qui sont allées en empirant, probablement sur décision du roi. Après la mort du « félon » Mohamed Oufkir (suicide ou exécution), l’objectif était de faire disparaître la famille et le nom même des Oufkir. Sans doute l’idée d’exécuter toute cette famille a-t-elle effleuré Hassan II mais sans doute aussi recula-t-il devant les réactions internationales qui se seraient immanquablement produites. Les exiler 20 années au milieu du désert a finalement provoqué bien moins de récriminations…

Malika est la fille aînée, âgée d’une vingtaine d’années au début de l’exil, elle va prendre la tête de la famille, assurer l’éducation de ses frères et sœurs plus jeunes, écrire de multiples lettres au roi pour implorer sa clémence, essayer de rendre leurs conditions de détention les moins pénibles possibles, puis mener à bien un incroyable projet d’évasion qui lui permettra de rejoindre Rabat avec trois autres prisonniers Oufkir et alerter la presse internationale et certaines ambassades. Une fois leur évasion rendue publique le roi sera forcé de libérer toute la famille qui découvrira combien la simple mention du nom « Oufkir » terrorise la population marocaine, expliquant ainsi l’abandon dans lequel une bonne partie du pays a laissé cette famille. Hassan II les maintiendra encore cinq ans en résidence surveillée à Marrakech avant de leur rendre leurs passeports et les autoriser à quitter le Maroc.

Ce témoignage raconte aussi ce qu’est cette monarchie marocaine de droit divin : un régime inique et intraitable, mais efficace pour durer. Le statut du roi n’est quasiment jamais remis en cause et Malika elle-même, lorsqu’elle parle de son monarque, le fait avec respect. Ce pouvoir absolu ferait rêver n’importe quel dictateur de la planète à la merci des révolutions, fussent-elles de palais, mais au Maroc, le « commandeur des croyants » semble en place pour des siècles, et avec l’approbation de ses sujets, quelles que soient ses infâmies.