DA EMPOLI Giuliano, ‘Le mage du Kremlin.’

Sortie : 2022, Chez : Gallimard – NRF

Giuliano da Empoli est un journaliste et essayiste italien travaillant sur la géopolitique. « Le mage du Kremlin » est son premier roman qui lui fut inspiré par Vladislav Sourkov, né en 1964, ex-conseiller du président Poutine au Kremlin durant 20 ans, et même un moment ministre, avant de rendre récemment son tablier. Il se dit qu’il fut l’un des inspirateur de la stratégie russe belliqueuse à l’encontre de l’Ukraine, notamment. A priori, ce n’était pas à proprement parler un poète…

La fiction est construite sur un long monologue de Vadim Baranov, dont on ne sait pas bien s’il est totalement libre de ses mouvements, après s’être retiré des cercles du pouvoir dans sa datcha. Il décrit ceux-ci tels qu’on les imagine depuis l’Ouest, notamment les oligarques peints comme une bande de personnages douteux, incultes, attirés par le clinquant, l’argent et l’illusion de leur influence.

Baranov est une sorte de conseiller en communication qui intègre le Kremlin après avoir travaillé dans les médias d’un de ces oligarques (Boris Berezovsky) retrouvé « suicidé » dans sa résidence londonienne (dans la fiction comme dans la vraie vie). Au cœur du pouvoir, son action est censée attirer les bonnes grâces du milieu artistique, de la jeunesse et d’autres franges russes en faveur du président Poutine. Il assiste (et participe) à la transformation du monarque, d’une marionnette dans les mains de Berezovsky, mis en place par l’oligarque pour servir ses intérêts financiers, à un tsar implacable et sauvage, obsédé par l’idée de rétablir la peur que doit inspirer la Fédération de Russie, tant à l’intérieur de ses frontières que sur la scène internationale, à la hauteur de celle qu’inspirait l’URSS.

Baranov relate les pensées du prince avide de rétablir « la verticale » de son pouvoir, loin des « gadgets » occidentaux que sont la démocratie et le débat. L’objectif est la revanche : contre l’Occident qui tente de réduire la grande Russie à une usine du tiers-monde, contre les oligarques russes qui veulent transformer le pays en supermarché low-cost, contre le petit peuple qui n’a pas de conviction…

Ce roman présente le tsar du Kremlin et ses proches comme un nid de serpents à sonnettes, prêts à tout pour se maintenir dans leurs fauteuils, animés d’une idéologie de Café du commerce et tournés vers le pouvoir, celui de l’argent tape-à-l’œil pour les oligarques, celui de la puissance vengeresse pour les politiques. Le président Poutine est présenté comme un animal à sang froid, parfois capable d’ironie, théorisant sa politique comme un combat titanesque pour rendre à la Russie son lustre d’antan, et à son président son rang d’ogre du monde inspirant l’effroi après les présidences rocambolesques de Eltsine (alcoolique) et Gorbatchev (défaitiste).

On ne sait pas bien ce qu’il en est dans la « vraie vie » tant le Kremlin cultive l’opacité sur ses modes de fonctionnement depuis des décennies. Le président, ses ministres et conseillers doivent quand même passer aussi un peu de temps dans leurs journées à gérer les affaires courantes de la Fédération de Russie, le plus vaste Etat de la planète, faire des choses plus triviales et moins glamours que de répandre une capacité de nuisance à travers la planète ou faire la guerre à ses voisins ? Peut-être même dînent-ils de temps en temps avec leurs épouses et leurs enfants ? Le tsar est présenté exclusivement comme un deus ex-machina isolé dans les tours du Kremlin où il donne l’impression de se réveiller tous les matins avec comme seul question du jour : « comment vais-je pouvoir nuire à mon prochain aujourd’hui plus qu’hier ? » Peut-être est-ce ainsi, peut-être pas !

Le livre se termine sur l’image de Baranov caressant tendrement les cheveux blonds de fille de 10 ans en expliquant qu’elle est désormais l’unique sens de sa vie et la raison pour laquelle il a abandonné son poste de conseiller du prince. Le lecteur écrase une larme en refermant ce livre haletant, éclairé aussi par l’actualité…

Souriez, ce n’est qu’un roman !