Bruce Springsteen et les 17 musiciens du E-Street Band ont asséné un coup de massue aux 40 000 spectateurs de la Défense Arena ce soir pour le deuxième concert parisien de leur tournée mondiale. La dernière fois que ce groupe de légende et son leader de fer étaient passés par Paris remonte à 2016. A 73 ans, Bruce ne lâche pas l’affaire, continue à sortir des disques (en solo ou avec le E-Street Band), à faire des tournées internationales et, surtout, à déclencher le même déchaînement d’affectueuse reconnaissance de ses fans à travers le monde entier.
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Ce soir n’a pas dérogé à la règle maintenant bien établie depuis le début des années 1970, les débuts du groupe et la sortie son premier album : Greetings from Asbury Park, N. J.. Seule la taille des salles les accueillant et la composition de la bande a évolué vers le toujours plus grand.
Après le décès de deux membres fondateurs, Clarence Clemons, saxophoniste, en 2011 et Danny Frederici, claviériste, en 2008, tous amis très proches de Bruce, le groupe a été étoffé d’une section cuivre, dont Jack Clemons, neveu de Clarence, au saxophone et de choristes. Ce soir c’était 17 musiciens qui œuvraient sur scène pour encadrer Bruce et cela fait tout de même beaucoup de monde.
« One-Two-Three-Four »
Les lumières s’éteignent à 19h15 pour laisser entrer les musiciens qui montent, un par un, un escalier violemment éclairé pour atteindre la scène gigantesque, les images retransmises sur trois vastes écrans, déclenchant un hourvari grandissant des spectateurs, Springsteen arrivant le dernier dans un tonnerre d’acclamations. Ne perdant pas trop de temps à cultiver les applaudissement, Bruce n’a jamais le temps, il démarre le show sur My Love Will Not Let You Down et ne l’arrêtera que 3 heures plus tard, sans un instant de respiration, les notes finales d’un morceau devenant celles lançant la chanson suivante, lancée par les classiques « One, Two, Three, Four ». My Love est une chanson datant des années 1980 jouée plutôt rarement sur scène ; une excellente façon de démarrer cette soirée dont la setlist réservera d’autres surprises. Il enchaîne ensuite sur Death to My Hometown le single de Wrecking Ball sorti en 2012, reconnaissable à sa rythmique celtique jouée avec ardeur par les cuivres.
Sur No Surrender Steve arbore une guitare décorée aux couleurs bleu et jaune du drapeau ukrainien :
Blood brothers in the stormy night with a vow to defend
No retreat, baby, no surrenderThere’s a war outside still raging
You say it ain’t ours anymore to win
I want to sleep beneath peaceful skies
In my lover’s bed
With a wide open country in my eyes
And these romantic dreams in my headBecause we made a promise we swore we’d always remember
No retreat, baby, no surrender
Like brothers in the stormy night with a vow to defend
No retreat, baby, no surrender
No retreat, baby, no surrender
Régulièrement Bruce hurle « Come on Steve » et son vieux compère vient reprendre les refrains au même micro, à l’octave au-dessus, d’une voix un peu nasillarde, la tête toujours couverte d’un foulard-bandana, les oreilles décorées de plumes accrochées à des boucles, portant d’improbables costumes moitié-pirate, moitié-pacha ottoman, des bottes effilées à bouts (très) pointus et aux reflets argentés, ses guitares décorées de motifs cachemire plutôt originaux. Steve Van Zandt, le vieux pote du New Jersey, qui a déserté le E-Street Band quelques mois avant d’y redevenir le pilier qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être.
Le sombre Darkness on the Edge of Town vient calmer quelque peu l’ouragan qui fait rage dans l’Arena, extrait du disque du même nom, sorti en 1978, sans doute le meilleur de tous, dont est extrait également l’inégalable Badlands qui clôture le premier set du show.
Il y en a pour tous les goûts
Deux reprises (les Comodores [où a chanté Lionel Richie] et The Weavers [fondés par Pete Seeger]) donnent lieu, peut-être, à quelques longueurs durant lesquelles les cuivres sont en démonstration. Evidemment les vieux fans préfèrent la formation initiale du E-Street Band dans laquelle seul Clarence Clemons assurait les cuivres avec son sax, et il n’y avait pas de choristes. Aujourd’hui le groupe tourne parfois un peu au brass band de la Nouvelle Orléans s’éloigant de l’esprit rock d’origine. Tous ces musiciens ajoutés ne sont pas présents sur la scène pour tous les morceaux. Il y en a ainsi pour tous les goûts. C’est aussi bien.
Last Man Standing est jouée par Bruce seul à la guitare acoustique avec seulement un déchirant solo de trompette au milieu. Springsteen explique en introduction (traduite en français sur les écrans) qu’il a écrit cette chanson après la mort de son ami George Theiss : « En 1965 il m’a fait intégrer mon premier groupe de Rock & Roll, The Castiles. Il sortait avec ma sœur et c’est très bien ainsi. Il a transformé ma vie pour toujours et maintenant je suis le dernier survivant de ce groupe. La mort offre aux survivants une vision élargie de la vie elle-même. Cela m’a permis de saisir à quel point il est important de vivre chaque instant. Alors soyez bons avec vous-mêmes, avec ceux que vous aimez et envers ce monde dans lequel nous vivons. »
Born to Run
Lorsque Springsteen entame une chanson au micro, il se débarrasse de sa guitare en la balançant à un roady en fond de scène dix mètres plus loin. Dans la brulante urgence qui saisit le concert, il n’a pas le temps de la déposer sur un support, les musiciens ont déjà lancé l’intro. Bruce n’a jamais le temps, « Born to run » est la devise ! Ce soir en tout cas le roady a réceptionné les guitares sans casse à chaque envoi…
L’indestructible Roy Bittan, le seul non vêtu de noir mais d’une veste en cuir marron, entame l’intro de Because the Night, une ode à l’amour et à la jeunesse, coécrite en 1978 par Bruce et Patti Smith. Le pianiste virtuose apporte une touche particulière à l’atmosphère musicale du groupe. Il est plutôt rare de voir un piano à queue sur une scène rock mais en martelant ses accords sur les touches de son piano il enrichit l’électricité des guitares. Un cocktail parfait. Nils Lofgrens effectue un magnifique et original solo sur ce morceau. Il joue avec un onglet au pouce droit ce qui donne une allure particulière à son jeu de main. De petite taille il ressemble un peu au fou du roi : chapeau rond en cuir noir, tunique noire décorée de motifs blancs dans le bas, des morceaux de tissus sont accrochés au manche de sa guitare et volètent au fur et à mesure du jeu.
La première partie se termine sur un Badlands enfiévré repris en chœur par des gamines de 17 ans pour un morceau écrit 40 ans avant leur naissance…
Badlands, you gotta live it everyday
Let the broken hearts stand
As the price you’ve gotta pay
We’ll keep pushin’ till it’s understood
And these badlands start treating us good
Un diabolique enchaînement
Les dix-huit musiciens se réunissent sur le devant de la scène pour saluer, ne prennent même pas la peine de réintégrer les coulisses et repartent d’un seul homme sur leurs instruments pour les rappels avec un diabolique enchaînement de Born in the U.S.A./ Born to Run/ Bobby Jean/ Glory Days/ Dancing in the Dark. L’audience hurle, saute, trépigne, chante, déborde de bonheur et l’arène de Nanterre rend les armes, estourbie et comblée.
Contrairement à l’habitude Bruce n’invite pas une spectatrice sur scène sur Dancing in the Dark, grosse déception dans les premiers rangs où manifestement toute une armada de jeunes filles se préparaient à ce quart d’heure de gloire dans les bras du « Boss ». De même, il ne propose pas à l’audience de demander des chansons particulières, généralement écrites sur un carton brandi devant la scène. Les cartons fleurissent mais sans succès.
Les dernières notes de Tenth Avenue Freeze-Out retentissent alors que les images-hommage de Clarence et Dany défilent sur les écrans. Bruce se tient ensuite en haut de l’escalier et salue chacun de ses musiciens qui le redescendent, fourbus, débordant de bonne humeur, manifestement heureux de cette nouvelle messe rock célébrée à Paris. Le dernier à passer est Jack Clemons qui échange une longue accolade avec le Boss. C’est le neveu de son ami Clarence qui a tant donné au E-Street Band. Sans doute une relation filiale qui perdure…
« The E-Sreet Band loves you Paris »
Et Springsteen revient sur scène avec sa guitare acoustique pour une émouvante interprétation de I’ll See You in My Dreams, précédé d’un « on vous aime Paris » ! Une chanson douce et mélancolique de 2020 sur l’ami qui est mort mais dont on a gardé les disques et la guitare et qu’on reverra dans nos rêves pour vivre et rire ensemble, encore, car « la mort n’est pas la fin ».
D’origine irlandaise par son père, italienne par sa mère, Bruce Springsteen a su capter comme aucun les humeurs et la vigueur de l’Amérique. Avec son incroyable et unique bande de copains-musiciens il délivre la puissance dont son pays est capable, avec ses mots simples il illustre la sensibilité des histoires de tout le monde. Sa voix rocailleuse soulève les âmes et les foules. Lorsqu’il chante les veines de son front se gonflent sous la tension, les jugulaires strient le cou, les rides sur ses joues s’étirent, ses yeux se plissent de joie et, le plus souvent, un rire éclatant illumine son visage rayonnant.
Une légende vivante
Alors bien sûr, à 73 ans les thèmes abordés tournent un peu à la mélancolie, mais qu’il parle d’histoires d’amour adolescentes, de vétérans de la guerre du Vietnam, des usines qui ferment, des Twin-Towers qui s’effondrent, des amis qui disparaissent, il le fait avec le feu et la tendresse qui lui valent le respect de tous, depuis plus de 50 ans.
On ne sait pas bien quand Springsteen raccrochera ses guitares, sans doute jamais, ce genre d’artistes meure sur scène même si on lui, et nous, souhaite encore de nombreuses années de musique. Mais quand on se retourne sur sa carrière, l’œuvre immortelle déjà laissée laisse pantois. Quand on l’entend asséner Born to Run avec la même énergie qu’il y a 50 ans : chapeau bas ! Et puis l’homme inspire aussi tellement de sympathie comme l’illustrent sa flamboyante autobiographie en 2016 « Born to Run », ses engagements politiques, sa prestation avec Pete Seeger pour chanter This Land is your Land sous la statue de Lincoln à Washington pour la première investiture du président Obama…
Bruce Springsteen, une légende américaine !
Setlist
My Love Will Not Let You Down/ Death to My Hometown/ No Surrender/ Ghosts/ Prove It All Night/ Darkness on the Edge of Town/ Letter to You/ The Promised Land/ Out in the Street/ Kitty’s Back/ Nightshift (Commodores cover)/ Mary’s Place/ Pay Me My Money Down (The Weavers cover)/ The E Street Shuffle/ Last Man Standing (acoustic, with Barry Danielian on trumpet)/ Backstreets/ Because the Night (Patti Smith Group cover)/ She’s the One/ Wrecking Ball/ The Rising/ Badlands
Encore : Born in the U.S.A./ Born to Run/ Bobby Jean/ Glory Days/ Dancing in the Dark (followed by band introductions)/ Tenth Avenue Freeze-Out (pictures of Danny Federici… more)/ I’ll See You in My Dreams (solo acoustic)
Composition du groupe ce soir
4 historiques
1 guitariste (Steve Van Zandt), 1 bassiste (Garry Talent), 1 batteur (Max Weinberg), 1 pianiste (Roy Bittan),
13 plus récents
1 guitariste (Nils Lofgrens qui joue aussi dans le groupe de Neil Young Crazy Horse, presque désormais devenu « historique »), 1 clavier (Charles Giordano), 1 violoniste/guitariste/choriste (Soozie Tyrell), 1 percussionniste, 5 cuivres (dont Jack Clemons devenu le clone instrumental de son père et avec un vague air de Laurent Voulzy en plus costaud), 4 choristes.
Patti Scialfa, Mme. Springsteen à la ville, choriste/guitariste, souvent présente sur les tournées n’est pas là ce soir.