Björk a délivré ce soir un show féérique dans l’arène de Bercy. La tournée de son spectacle Cornucopia avait été lancée en 2019 puis interrompue pour cause de pandémie avant d’être remodelée et relancée en Europe en ce mois de septembre. Les spectateurs sont avertis, il n’y a pas de première partie, il faut donc arriver à l’heure. En s’installant ils découvrent la scène masquée par un rideau de filins souples sur lequel est projeté une des images étranges qui peuplent l’univers éco-poétique de l’artiste, une sorte de gorgone sous-marine en couleurs pastel, pendant que sont diffusés les bruits de la jungle avec des cris d’oiseaux mélodieux.
On voit derrière en transparence et toute la soirée sera un jeu permanent d’ouverture/fermeture des différents niveaux de rideaux s’étageant sur la largeur de la scène et sur lesquels sont projetées les vidéos fantasmagoriques de l’univers de Björk depuis la sortie de ses deux derniers albums Utopia (2017) et Futura (2022). Ce dernier est basé sur l’inspiration nouvelle trouvée par l’artiste dans les champignons et la terre quand Utopia parlait de la recherche de l’amour, l’urgence écologique, le féminisme et l’exploration de l’utopie.
Au sujet de Futura, écrit et enregistré en Islande durant les confinements des années 2020-2021, elle écrit :
Chaque album commence avec un sentiment que j’essaie de transformer en son. Cette fois, le sentiment était que j’arrivais sur Terre et que j’enfonçais mes pieds dans la terre. C’est aussi lié à la façon dont j’ai vécu l’instant présent. Cette fois, 7 milliards d’entre nous en ont fait l’expérience en restant dans nos maisons, en nous isolant assez longtemps dans un seul et même endroit pour que l’on prenne racine.
Lorsque les lumières s’éteignent Björk et ses musiciens restent derrière le rideau frangé avant que celui ne s’entrouvre et laisse apparaître une scène divisée en deux pétales de nénuphar comme posés sur un lac, un peu décalés dans l’espace en hauteur et en largeur, et sur lesquels se succéderont les artistes. Une petite avancée circulaire au-dessus de la foule accueillera Björk ou l’un de ses musiciens au fil des morceaux. La disposition du parterre de Bercy est en places assises, pas d’excitation ni d’hystérie, juste la méditation que provoque la musique de l’artiste.
Sur la gauche des feuilles de nénuphar trône le percussionniste devant ses caisses et des xylophones étranges. Sur une chanson il mènera le rythme sur une espèce d’aquarium sonorisé en provoquant des effets d’eau qu’il fait couler depuis des calebasses qu’il manipule. Sur la droite se trouvent le claviériste et ses ordinateurs. Les autres musiciens sont composés par le sextet islandais de flutistes-danseurs Viibra et d’une harpiste. Les flûtes sont traversières et certaines sont singulières, la partie dans laquelle on souffle étant coudée à 180° par rapport au reste de l’instrument. Ces flutistes sont costumés de blanc, leurs atours, spécifiques à chacun d’eux, les font ressembler à des libellules ou des oiseaux plein de pureté.
Björk est habillée d’une robe bleue qui l’enserre de la tête aux pieds avec des excroissances en forme d’épaulettes, un drapé sur les jambes, un masque bleu-vert autour des yeux, descendant du front aux pommettes et, sur le ventre et le torse, comme un pétale d’hibiscus avec un grand dard dressé au milieu, au relent phallique et reproducteur peu caché, qu’elle portera fièrement durant tout le show.
Le concert débute sur trois morceaux d’Utopia et dès les premières notes de The Gate on plonge dans la musique particulière de la voix de Björk, douce et métallique, sans vibrato, qu’elle porte parfois à un paroxysme d’aigus :
My healed chest wound
Transformed into a gate
Where I receive love from
Where I give love from
And I care for you, care for you
I care for you
Care for you, care for you
Ovule est la première référence à l’album de 2022 puis on remonte aux albums Début de 1993 avec Venus as a Boy et Medulla (2004) avec Show me Forgiveness avant de revenir à ses thèmes et disques plus récents : l’amour et la rencontre (Pagan Poetry), la souffrance (Losss), le désir (Blissing Me), la nature et les racines (Fossora), les origines (Sue me), le patriarcat (Tabula Rasa)…
Chaque chanson est une chorégraphie en soi, un enchantement de projections sur les voiles vaporeux qui créent un environnement poétique céleste. On ne comprend pas grand-chose à ces formes qui se créent sous nos yeux, grossissent, rampent, s’absorbent de façon un peu inquiétante mais nimbées de couleurs douces et rassurantes. On n’arrive guère à qualifier cette musique éthérée, entre jazz et électro. Est-elle harmonieuse ? Est-elle rythmée ? Elle est Björk, tout simplement et nous transporte dans le monde si original et personnel fruit de l’imagination débordante de sa créatrice et de ceux avec qui elle collabore pour produire ses disques et ses spectacles.
Avant que les musiciens ne reviennent pour le rappel, un discours de Greta Thunberg est projeté sur le rideau. Puis Björk revient habillée d’une robe classique crème à laquelle sont accrochées des tiges supportant des pétales de fleurs blanches sur le haut du corps et ce qui ressemble à des plumes qui entourent ses jambes. Le show se termine sur Notget, une ode à l’amour comme remède à la mort :
we carry the same wound
but have different cures
similar injuries
but opposite remedies
after our love ended
your arms don’t carry me
without love i feel the abyss
understand your fear of death
i will not forget
this not get
will you not regret
having love let go after our love ended
your spirit entered me
now we are the guardians
we’ll keep her safe from death
love will keep us safe from death
Et Björk quitte la scène sur un cri en français : « merci beaucoup ».
On n’est pas sûr d’avoir tout compris ni des mots, ni de la musique, ni des images, mais on a tous été transportés dans l’univers onirique de cette artiste si particulière et, après tout, c’est l’essentiel. Et puis, le nom donné à cette tournée, Cornucopia, est le mot latin qui veut dire « corne d’abondance », tout n’est donc pas perdu.
Setlist
01. Family (intro)/ 02. The Gate/03. Utopia/ 04. Arisen My Senses/ 05. Ovule/ 06. Show Me Forgiveness/ 07. Venus As A Boy/ 08. Claimstaker/ 09. Isobel/10. Blissing Me/11. Arpegggio flute solo//12. Victimhood/ 13. Fossora / Atopos/ 14. Features Creatures/15. Courtship/16. Pagan Poetry/17. Losss/18. Sue Me/ 19. Tabula Rasa
Discours de Greta Thunberg
Rappel
20. Mycelia/ 21. Future Forever/ 22. Notget
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