« Chéri Samba dans la collection Jean Pigozzi » au musée Maillol

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Délicieuse rétrospective de l’artiste congolais (ex-zaïrois) Chéri Samba, né en 1956 dans un village proche de la capitale Kinshasa qu’il rejoint dans les années 1970. D’abord peintre publicitaire autodidacte pour devantures de coiffeurs et de tous ces petits commerces qui maintiennent tant bien que mal la tête du peuple à peine hors de l’eau de cette ville tentaculaire où la misère fraye avec une incroyable frénésie culturelle s’exprimant via la musique, le dessin, la peinture, la mode… il est aujourd’hui un artiste internationalement reconnu. Il sait rendre avec talent la joyeuse confusion qui enveloppe Kinshasa, tournant parfois à la farce sanglante sous la botte de satrapes comme Mobutu ou Kabila père, qui ont vainement tenté de gouverner ce pays gigantesque et ingouvernable.

Dans ses peintures Chéri Samba introduit humour et couleurs éclatantes mais sous leur aspect naïf ses toiles déclinent la vision qu’il a des dérives de son pays : les enfants-soldats, la bière Primus tiède dans les nuits de Kinshasa, l’argent obsessionnel, le poids de la « fraternité » à l’africaine qui transforme la masse des inactifs en véritables sangsues consommant le salaire de ceux qui travaillent et qui ne peuvent rien refuser à leurs « frères dans le besoin », les infrastructures en ruine…

Enfant soldat (kadogo) dont un effectif important a été employé pour le renversement du dictateur Mobutu par le satrape Kabila en 1997

Samba se met souvent en scène dans ses tableaux dénotant sans doute une petite faiblesse narcissique mais dont il joue, comme toujours, avec humour. Les « sapeurs » étant une spécialité locale, ses personnages sont représentés avec des vêtements tape-à-l’œil aux couleurs voyantes, des grosses montres et tous les ustensiles propres aux m’as-t-vu qui font la réputation de Kinshasa. Il représente son fils en enfant soldat comme ceux, nombreux, que le président Laurent-Désiré Kabila a recrutés et armés pour renverser son prédécesseur le président Mobutu après 32 ans de pouvoir. Kabila, lui, a fini assassiné trois ans après son accession à la présidence, pour être remplacé par… son propre fils ! Tous ces évènements tragi-comiques font le miel de l’inspiration du peintre dont l’œil affuté sait croquer toutes ces scènes de la vie congolaise. La plupart des toiles sont de grande taille et les couleurs flashy sont percutantes mais irréelles ; quiconque connait un peu l’Afrique centrale sait qu’elle est plus souvent sous la poussière ou la pluie que sous un ciel bleu. Qu’importe, sa peinture traduit les excès d’un pays et rien n’interdit de rêver qu’il évolue sous un ciel pur et le sourire de ses citoyens dans une ambiance optimiste et rigolarde.

L’une des spécificités de Samba est de peindre aussi des textes sur ses toiles pour diffuser ses idées, souvent rédigés de façon aussi naïve que la peinture qu’ils illustrent. Dans une interview diffusée sur un grand écran, on voit l’artiste expliquer que c’est aussi un bon moyen pour que les visiteurs restent plus longtemps devant ses toiles, un objectif plutôt atteint.

Samba a commencé à exposer en dehors de l’Afrique dans les années 1980 pour devenir aujourd’hui un artiste mondialement connu de l’art africain contemporain. Les quelques 50 toiles exposées au musée Maillot sont extraites de la collection d’art africain financée par Jean Pigozzi via la Contemporary African Art Collection (CAAC) avec l’aide d’André Mangin qui parcourt le continent africain à la recherche d’œuvres intéressantes.