A la suite d’une saisine du conseil d’Etat par l’association Reporters sans frontières (RSF) concernant le « pluralisme et l’indépendance de l’information » de la chaîne d’information en continue CNEWS, propriété du groupe Bolloré, le conseil demande à l’ARCOM, le régulateur de la communication audiovisuelle et numérique, de réexaminer dans les six mois « l’indépendance de l’information » au sein de la chaîne. Dans son communiqué le conseil d’Etat demande à l’ARCOM de ne pas comptabiliser uniquement le temps de parole des personnalités politiques invitées sur la chaîne pour mesurer son pluralisme, mais aussi les « interventions de l’ensemble des participants aux programmes diffusés, y compris les chroniqueurs, animateurs et invités ». Depuis la publication du communiqué du conseil d’Etat le 13 février, les médias du groupe Bolloré tournent en boucle sur leur indignation d’être ainsi ciblé par des institutions « de gauche » alors que les médias publics « financés avec nos impôts, repaire de gauchistes » ne sont pas mis en cause.
Il s’agit d’une énième polémique contre les télévisions Bolloré, CNEWS et C8, qui sont accusées d’être « d’extrême droite », ce qui ne veut pas dire grand-chose en soi. La réalité est que ces chaînes sont surtout « d’extrême bêtise », au sens où l’intelligence est quasiment absente de leurs plateaux. Sur « L’heure des pros », le talk-show emblématique de CNEWS, animé par Pascal Praud, un ancien commentateur de fouteballe, réunissant un quarteron de journalistes, pour beaucoup à la retraite, on ressasse principalement le sujet de l’insécurité en France, « corolaire de l’immigration incontrôlée », et du « gauchisme » supposé des médias publics. Les sujets sont lancés avec quelques micros-trottoirs dans lesquels Mme. Michu fait part de son désarroi sur l’augmentation du ticket de métro et en avant pour le « Café du Commerce » où le spectateur est submergé de poncifs, de jugements à l’emporte-pièce et de critiques systématiques de tout et son contraire. Bien entendu, très peu des journalistes ou d’invités ont lu ou étudié les textes ou décisions qu’ils passent à leur moulinette médiatique simpliste. Ils rejettent par définition la complexité du monde et de l’action publique. Tous les élus et gouvernants sont au mieux des incompétents, au pire, des voleurs et des incompétents. Seuls eux s’estiment connectés avec le peuple depuis leurs plateaux clinquants.
Pascal Praud sert un peu de tête de gondole à la chaîne qui repasse ensuite toute la sainte journée des extraits de ses deux émissions, celle du matin et celle du soir, avec les mêmes commentaires dénués d’intérêt proférés par d’autres journalistes de la chaîne.
Sur C8, autre chaîne de la galaxie Bolloré, son collègue Cyril Hanouna relaie les mêmes sujets mais cette fois-ci les « journalistes » sont remplacés par un plateau « d’animateurs » dont le niveau de réflexion est consternant. Les invités sont le plus souvent des « influenceuses » à fortes poitrines et lèvres sévèrement botoxées qui racontent leurs aventures et activités sordides, dégradantes, déclenchant l’excitation du plateau mené avec autorité par un Hanouna à la vulgarité assumée, bardé de tatouage, portant d’amples débardeurs ou des sweat-capuches, déroulant un vocabulaire assez limité, ponctué de « j’vous l’dis moi » et de « voilà » tous les trois mots. Quelques hommes politiques, oubliant l’honneur, renonçant à la décence, se commettent dans son émission « Touche pas à mon poste (TPMP) » pour participer au festin de la beaufitude à une heure de grande écoute. Une partie de la campagne électorale des dernières élections présidentielles s’est tenue avec Hanouna en 2022. Pour interroger les candidats ou leurs soutiens, le garçon portait quand même costumes-cravate pailletés et modérait un peu le ton de ses questions, n’osant tout de même pas (encore) traiter un ministre comme Loanna.
Le problème posé par ces chaînes télévisées du groupe Bolloré relève plutôt du délit de racolage des bas instincts, du vide sidéral de la réflexion, de l’excitation des réflexes primaires, bref de la glorification de la bêtise humaine, plutôt que de penchants politiques qualifiés « d’extrême droite » par les critiques de ces médias. Après-tout ils ont le droit d’afficher leurs opinions politiques et ils prennent bien soin d’avoir toujours un intervenant ou journaliste « de gauche » qui se fait généralement étouffer par le reste de la bande, mais le « pluralisme » est ainsi affiché.
Il est vrai que la décision du conseil d’Etat est incongrue et, sans doute, impossible à mettre en œuvre dans une démocratie tant la détermination de la couleur politique de tous les intervenants est difficile à identifier. Il est probable que cette exigence du conseil tombera d’elle-même aux oubliettes compte tenu de sa non-applicabilité. Il aurait été plus avisé de se baser sur les engagements pris par ces chaînes en échange de l’attribution par l’Etat des fréquences dont elles disposent.
La relecture des conventions conclues entre le CSA (l’ancêtre de l’ARCOM) montre à quel point C8 ne respecte pas ses engagements dont l’article 2-3-4 « droits de la personne » stipule :
[L’éditeur] ne doit diffuser aucune émission portant atteinte à la dignité de la personne humaine telle qu’elle est définie par la loi et la jurisprudence.
Il respecte les droits de la personne relatifs à sa vie privée, à son image, à son honneur et à sa réputation tels qu’ils sont définis par la loi et la jurisprudence.
Il veille en particulier :
– à ce qu’il soit fait preuve de retenue dans la diffusion d’images ou de témoignages susceptibles d’humilier les personnes ;
– à éviter la complaisance dans l’évocation de la souffrance humaine ainsi que tout traitement avilissant l’individu ou le rabaissant au niveau d’objet ;
– à ce que le témoignage de personnes sur des faits relevant de leur vie privée ne soit recueilli qu’avec leur consentement éclairé ;
…
Il fait preuve de mesure lorsqu’il diffuse des informations ou des images concernant une victime ou une personne en situation de péril ou de détresse.
…
file:///C:/Users/rehve/OneDrive/Documents/02-Quoi/Divers/Presse/ARCOM_CONVENTION%20SIGNEE%20C8%20(2019)%20entr%C3%A9e%20en%20vigueur%202020.pdf
Regardons une ou deux émissions de TPMP animée par M. Hanouna et l’on peut conclure assez rapidement au non-respect de cet engagement par la chaîne qui a déjà subi de multiples sanctions pécuniaires devant l’outrance démagogique de certaines de ses émissions. Jusqu’ici, la suspension de l’utilisation de la fréquence octroyée n’a jamais été prononcée. Elle serait pourtant une œuvre de salubrité publique.
Pour ce qui concerne CNEWS il est plus difficile de démontrer la violation de ses engagements, le délit d’imbécilité ou de quasi-complotisme n’étant pas considéré comme formellement contraire à la déontologie. La convention requiert néanmoins pluralisme de l’expression des courants de pensée et d’opinion, représentation de la diversité, respect des droits de la personne, honnêteté de l’information et des programmes, indépendance éditoriale de la rédaction, et toute une série de grands principes éminemment sympathiques, mais assez flous et faciles à contourner pour un éditeur malin, capable de rester à la limite sans trop franchir la ligne jaune.
La mauvaise foi de ces médias est évidente mais non formellement constituée. Le groupe Bolloré continue à surfer sur la bêtise en se parant de son « devoir d’informer ». On imagine assez aisément que les parents Bolloré mettent leurs enfants mineurs à l’abri de la propagande racoleuse des chaînes dont ils sont propriétaires mais, à ce stade, rien ne peut les empêcher de diffuser leurs insanités « pour le peuple ». Leur puissance leur permet par ailleurs de contrer vigoureusement toute tentative en ce sens, hurlant avec les loups à « la censure du gouvernement ».
Oui, la raison voudrait que l’on censure ces Thénardier de l’infotainment mais les règles de la démocratie ne le permettent heureusement pas. Il faut donc accepter leur influence délétère sur le niveau intellectuel du pays. La seule arme restante est de parier sur l’intelligence et la réflexion en espérant que les spectateurs crédules de ces chaînes de l’abrutissement délaissent Cyril Hanouna et se dirigent progressivement vers Arte… Le combat sera long et difficile mais il y va de l’avenir de la République de le poursuivre quoi qu’il en coûte !
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