La « ruralité » obtient des sous des contribuables mais pas des consommateurs

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Les paysans français, ou plutôt la « ruralité » comme on dit de nos jours, ont lancé une offensive éclair contre l’Etat pour obtenir des sous. Quelques bataillons de tracteurs sur les autoroutes, des forces spéciales déversant du purin dans les préfectures, des frappes d’œufs pourris ciblées sur les ministres visitant le salon de l’agriculture, des injures braillées dans les allées du salon et des actions illégales de certains mercenaires livrés à eux-mêmes, ont permis à la « ruralité » d’emporter ce blitzkrieg assez rapidement.

Les messages diffusés par des syndicats agricoles furent variés et parfois colorés. La majorité exige que les paysans soient payés « le juste prix » pour leur production et ne soient plus entravés par la « bureaucratie européenne » et tout particulièrement celle résultant de la transition écologique. Vaste programme…

Juin / Charlie Hebdo (07/02/2024)

Depuis la fin de la seconde guerre mondiale et l’apparition de l’Union européenne(UE, et son prédécesseur le « Marché Commun ») avec sa PAC (politique agricole commune) les Etats européens élus démocratiquement par leurs citoyens ont fait le choix de promouvoir l’agriculture européenne et, pour cela, de la subventionner massivement. En d’autres termes cela signifie que les contribuables subventionnent les consommateurs pour compléter les revenus des producteurs. Cela fait belle lurette que les prix d’achat des productions agricoles sont complètement déconnectés de leurs coûts réels de production et ce, pour la raison assez simple à comprendre que le consommateur ne pourrait pas ou ne voudrait pas payer son alimentation au « juste prix ».

Alors comme pour les transports en commun qui sont lourdement subventionnés en France pour les rendre acceptables par ceux qui les utilisent, c’est pareil pour le prix des carottes. Les cheminots comme les paysans vivent en partie de leur travail, mais surtout des subventions qu’ils reçoivent de l’Etat (ou de l’Europe, ce qui revient globalement au même). Ce n’est peut-être pas très valorisant pour les acteurs, voire un peu humiliant, mais c’est ainsi que le système est conçu. Si on ne se satisfait pas de celui-ci il est toujours possible de revenir aux lois du marché mais cela risquerait d’être sanglant pour la « ruralité ». Personne ne s’y est essayé en Occident. La France peut aussi sortir de l’UE, le Royaume-Uni a montré que c’était possible. Ce pays peut maintenant subventionner, ou pas, sa « ruralité » comme il l’entend et comme ses ressources l’y autorisent.

On voit toutefois que même les pays libéraux comme les Etats-Unis d’Amérique subventionnent une partie de leur agriculture. On peut subventionner les producteurs, les productions, les surfaces, les consommateurs, mais on subventionne toujours tant la nourriture des citoyens est un élément stratégique. En réalité, la production agricole est une espèce de service public et, à ce titre, émarge aux budgets des Etat et de l’UE.

Bien entendu, comme à chaque fois qu’une activité dépend de financements publics elle n’est plus totalement indépendante de faire ce qu’elle veut et « il manque toujours des sous ». Nous en sommes là, alors pour éviter de nouvelles nuisances de la « ruralité » l’Etat français a cédé assez rapidement déversant à son tour quelques tombereaux d’euros et exonérant les paysans du respect de certaines normes, notamment écologiques. Les furieux qui bloquaient les routes avec leurs tracteurs ont bénéficié d’une singulière indulgence de la part du ministère de l’intérieur au motif que la population soutiendrait le mouvement. La « ruralité » bénéficie à coup sûr d’une meilleure image que l’industrie chimique, bien qu’elle soit d’ailleurs l’un de ses plus gros clients. Comme souvent, Mme. Michu est en faveur des râleurs de l’agriculture mais n’est pas disposée à payer ses patates plus chères ni à voir augmenter ses impôts pour augmenter les subventions à la production agricole. Des gros céréaliers ou riches viticulteurs bourguignons qui se portent très bien, la presse parle très peu bien entendu, préférant faire dans le misérabilisme sur le sort du petit éleveur de moutons de la Lozère qui présente l’avantage d’emporter le soutien de Mme. Michu et la fréquentation des téléspectateurs.

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L’un des fronts de lutte sur lequel se rejoint la « ruralité » est la critique systématique de l’Union européenne, pourtant premier redistributeur de subventions agricoles, qui signe, sous mandat de ses Etats membres, des accords commerciaux avec nombre de pays de la planète. Le principe général de ces accords est d’abaisser, voire d’annuler, les droits de douane respectifs pour favoriser les échanges. Les pays européens étant généralement plus industrialisés que les pays signataires non-membres, ceux-ci sont favorisés sur leurs exportations agricoles mais, en contrepartie, acceptent les productions industrielles européennes. Comme toujours dans ce type d’accord il y a des gagnants et des perdants, le concept du « win-win (gagnant-gagnant) » relevant de l’escroquerie intellectuelle en matière industrielle et commerciale. Depuis la signature de l’accord de libre-échange entre l’UE et la Nouvelle-Zélande en 2023, Il y a certes du mouton nouveau-zélandais qui vient concurrencer la Lozère mais il y a en face des voitures et des Airbus qui rentrent plus facilement sur le marché de Nouvelle-Zélande. Dans le cas cité, peut-être les impôts encaissés par l’Etat sur la vente des Airbus à Wellington permettront de mieux subventionner l’agriculture ? Ensuite, ce qui est vrai au niveau de l’UE ne l’est pas forcément pour un pays donné. Il suffit d’amender les accords, ou d’en sortir s’ils ne donnent plus satisfaction, mais cela ne se fait pas sans contreparties. La France peut aussi ne pas voter les mandats de négociation donnés à la commission européenne mais là aussi il faudra lâcher quelque chose en échange au 26 autres pays-membres.

C’est la grandeur et la noblesse de la politique d’avoir à choisir ce qui est globalement dans l’intérêt du pays, même si au détriment de certains. Ce n’est certainement pas un métier facile. L’avenir dira si ce qui vient de se régler à la va-vite sur les bottes de paille du salon de l’agriculture est globalement favorable au pays.

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