Sortie : 2023, Chez : Grasset.
Guy Bolet, écrivain français né en 1952, a écrit ici un roman désopilant sur l’histoire de Friedrich Nietzsche (1844-1900) avec sa sœur Elisabeth Förster-Nietzsche (1846-1935). Il n’est que fort peu question de l’œuvre du philosophe ici, mais plutôt du couple étrange qu’il forma avec sa sœur, présentée comme une bigote en adoration devant son frère, dans un premier temps, puis comme une harpie avide à partir du moment où elle pris en main les affaires éditoriales de son frère devenu grabataire, jusqu’au point d’en céder les droits moraux aux nazis qui commençaient à poindre à l’horizon les dernières années de la vie d’Elisabeth.
Au vu de ce que l’on peut consulter sur Internet, la réalité de la famille Nietzsche fut suffisamment romanesque pour que Bolet n’ait pas à prendre trop de liberté avec elle pour la rédaction de son roman. L’entrevue du 7 février 1932 avec Hitler venue visiter les Archives Nietzsche à Bayreuth avec une phalange de nazillons bottés de cuir est hilarante, ne serait-ce ce qu’il est advenu de ce petit caporal et de ses idées. Il est présenté ici comme totalement inculte, n’ayant jamais lu Nietzsche mais se l’appropriant car penseur allemand réputé. Mariée avec M. Förster, un Allemand fortement antisémite parti installer une « Nouvelle Allemagne » au Paraguay et décédé de son alcoolisme suite à l’échec de sa tentative coloniale, Elisabeth ne rencontre aucun problème éthique à caviarder les écrits de son frère pour les rendre compatibles avec l’idéologie montante, d’autant plus que l’auteur n’est plus en état de contester ce détournement.
Lorsque son frère Friedrich était dans sa période faste, Elisabeth s’est occupée de lui comme un enfant afin qu’il soit dans les meilleures conditions possibles pour mener son œuvre. Elle lui était dévouée corps et âme, on a même soupçonné des relations incestueuses entre eux. Mais une fois le philosophe plongé dans l’immobilité mortuaire de sa folie, elle s’est consacrée à faire perdurer ses écrits, les rassembler dans les archives dédiées, récupérer tous les droits à son bénéfice, publier ce qui ne l’avait pas été, republier ce qui pouvait se vendre, modifier ce qu’elle pensait devoir l’être, bref, modeler la production de Nietzsche pour qu’elle corresponde à ses goûts et à ceux du marché des lecteurs, au point d’en faire la promotion pour fonder la doctrine nazie qui allait ravager le Xxe siècle. Heureusement quelques amis du philosophe ont pu limiter les dégâts pour préserver l’œuvre d’origine mais il faudra attendre le travail des historiens pour reconstituer les écrits originaux et publier la véritable œuvre philosophique et non pas celle rêvée par une sœur âpre au gain et peu capable d’en comprendre l’importance.
Sur ce sujet aride, Boley a écrit un livre plein d’humour qui se dévore, mêlant la vraie histoire littéraire allemande avec les comportements humains de seconde zone d’une sœur mégalomane qui a voulu gagner de l’argent pour se venger de sa situation sociale et d’un mariage raté, plutôt que d’être la gardienne du temple des écrits de son philosophe de frère aîné.