Les amateurs de films d’art & essai qui ont vu le film « Les feuilles mortes » du finlandais Aki Kaurismäki y ont découvert le groupe Maustetytöt (Spice Girls en anglais) qui jouait une de ses chansons au milieu de cette fiction glaçantes. Elles deux sœurs, Anna et Kaisa Karjalainen, l’une chanteuse & claviers, l’autre guitare & chant, blondes comme seuls les pays scandinaves savent engendrer de pareils torrents de cheveux couleur paille. La petite salle du Hasard Ludique est comble.
Habillées toutes deux de jupes noires, Anna porte une élégante chemise en Bazin de la même couleur, Kaisa est en T-shirt noir. Le light-show rayonne de couleurs bleutées, les musiciennes sont souvent en contre-jour et dans l’obscurité de la salle on ne voit que l’or de leurs chevelures, comme un champ de blé dans un tableau de Van Gogh. Anna joue de ses claviers et active une boîte à rythme ; après chaque morceau elle tourne les pages d’un petit carnet sur lequel sont sagement inscrits les accords de la prochaine chanson. Kaisa porte en bandoulière sa guitare Rickenbaker qu’elle jouera durant tout le concert. Toutes les deux chantent merveilleusement bien. Si Anna assure le chant principal elle est le plus souvent accompagnée de sa sœur, à l’octave ou décalée, voire avec un murmure, un filet de voix qui arrive dans les enceintes comme un instrument supplémentaire.
La musique est de base électronique, harmonieuse et plutôt mélancolique. Bien sûr on ne comprend pas un traître mot de ces chansons écrites et chantées en finnois. Anna nous précise, en anglais, qu’elle est consciente de cette incommunicabilité en dehors de la Finlande mais, alors qu’elle se croyait la chanteuse d’un groupe à textes, elle découvre que ce n’est pas que ça puisqu’elles rencontrent le succès à l’international, dont Paris ce soir. Dans le film de Kaurismäki, leur chanson était sous-titrée en français et on trouve sur Youtube des traductions en anglais de certaines autres. Les mots sont à l’image du film et de l’impression qu’elles veulent donner par leur attitude et leur musique : froideur et élégance. Elles font d’ailleurs un peu dans l’autodérision sur scène vantant les mérites de la Finlande le pays « le plus heureux du monde » quand on sait que le taux de dépression et de suicide y est plutôt plus élevé que la moyenne…
Sur scène elles ne sourient jamais, parlent plutôt peu et déroulent leur musique un peu mécaniquement. Aucune attitude démonstrative bien sûr mais l’harmonie de leur chant et leurs notes suffisent à emporter l’enthousiasme des spectateurs. Et lorsqu’elles lancent Syntynyt suruun ja puettu pettymyksin (Né avec tristesse et vêtu de déception), le morceau qu’elles jouent dans Les feuilles morte, c’est une salve d’applaudissements qui couvre l’intro. Elles sont toutes deux froides comme des glaçons de la Baltique au fond d’un fjord en plein hiver mais elles nous font fondre de bonheur devant l’harmonie musicale et visuelle qu’elles prodiguent.
Les deux musiciennes affichent leur sororité sans avoir besoin de l’exprimer, leur complicité est subtile et le résultat est parfait, celui d’une musique électronique portée par la mélancolie et le charme des voix. Le dernier morceau est chanté par Kaisa et brode autour du thème : « si tu n’étais pas ma sœur il n’y aurait rien dans la vie ».
Après le concert elles dédicacent des sweat-shirts ornés d’un emoji qui affiche sa tristesse… Tout un programme !
Le groupe est très populaire en Finlande et le film Les feuilles mortes est en train de leur apporter un succès bien mérité au-delà de leurs frontières nordiques. En plus elles sont sympas : ce sont elles qui accordent leurs instruments sur scène avant leur prestation, et modestes : elles voyagent en Van. Quelques jours avant le show de Paris elles publiaient une photo d’elles deux, dépitées devant leur véhicule en panne dans un garage ce qui les a obligées à annuler le concert prévu le soir même à Cologne.
Warmup : Mikko Joensuu, musicien folk, lui aussi… très blond et talentueux !