Anohni & the Johnsons – 2024/06/27 – Paris Philharmonie

par

dans Catégorie :

Antony Hegarty, né au Royaume Uni en 1971 s’est d’abord fait connaître comme leader du groupe Antony & the Johnsons qui sort un premier CD en 2000. Il a souvent fait allusion dans sa création à des questionnements sur son identité « de genre » au travers de ses textes, de ses références musicales et artistiques, de ses attitudes. Au début de sa carrière il s’est produit dans des groupes de drag-queens. On se souvient qu’il avait joué son concert de 2009 à la Salle Pleyel habillé en femme. Il a suivi depuis sa transformation en femme trans. Elle se fait appeler désormais Anohni depuis 2015. Elle a continué à signer des disques sous ce seul nom ou celui de Anohni & the Johnsons comme la formation de ce soir qui se produit à la Philharmonie de Paris dans le cadre du festival Days Off.

Son dernier CD, My Back Was a Bridge For You To Cross, affiche sur sa couverture un portrait de Marta Johnson, célèbre militante drag-queen afro-américaine qui s’est battue en faveur des droits homosexuels en participant notamment aux émeutes Stonewall uprising en 1969 lorsque la police new-yorkaise harcelait la communauté dans cette boîte gay très connue à Greenwich Village. Sur le premier disque d’Anthony figurait le portrait sur son lit de mort de Candy Darling, une autre icône trans qui paraissait à la fin des années 1960 dans l’univers d’Andy Warhol. Lou Reed, lui aussi proche d’Andy Warhol, lui rendit hommage à travers ses chansons Take a Walk on the Wild Side (1971) et Candy Says (1969). Lors de sa tournée Berlin de 2006, Antony assurait les chœurs sur la partie américaine de celle-ci, mise en image par Julian Schnabel qui a donné lieu à l’édition d’un DVD d’une grande beauté ; le rappel du concert était Candy Says chanté en duo par Lou et Anthony qui en livrent une bouleversante interprétation.

Lou Reed a toujours été un fervent soutien d’Anohni et a chanté sur son deuxième disque avec les Jonhsons. I’m a bird now (2005), Anohni a chanté une très belle interprétation de Perfect Days sur l’un des derniers CD de Reed : The Raven (2003). Une courte histoire d’amitié (Lou Reed est mort en 2013) et de musique transgénérationnelle entre ces deux artistes.

Les Johnsons entrent en piste à l’extinction des lumières, ils sont neuf, tout de blanc vêtus et s’assoient sagement sur leurs chaises en arc de cercle sous un grand écran. Ils sont emmenés par le guitariste britannique Jimmy Hogarth, auteur-compositeur-producteur qui a collaboré avec de nombreux artistes, co-écrit et produit le dernier disque d’Anohni & the Johnsons. Une section de cordes (un violoncelle et deux violons) amène sa touche de classicisme lancinant bien à propos sur la musique ce soir.

Une danseuse apparaît sur la scène, enveloppée d’un voile blanc vaporeux, la tête surmontée de bois de cerf, collaboratrice d’Anohni depuis de nombreuses années. La danse et le corps sont au centre de leur inspiration commune et c’est une excellente façon d’introduire ce show dont on sait qu’il sera étrange. La même clôturera la soirée, cette fois-ci habillée de noir.

Anohni, vêtue d’une robe et d’un châle blancs, les cheveux longs, blonds peroxydés, vient ensuite démarrer le concert sur Why Am I Alive Now? susurré sur les accords légers de guitare et une batterie juste effleurée. Un morceau presque guilleret ne seraient-ce les paroles d’inquiétude écologique devant la nature qui s’effondre alors que nous sommes toujours en vie. Le morceau suivant, 4 Degrees, extrait de son disque solo HOPELESSNESS, sur une rythmique plus violente et désespérée,enfonce le clou du désastre écologique qui déjà nous cerne.

L’univers d’Anohni est des plus sombres. Et lorsqu’il ne s’agit pas de la planète chancelante c’est de son âme et de son cœur dont il est question, et ce n’est guère plus positif. L’auditeur pourrait être trompé par une voix de tête, agile dans les aigus, parfois plongeant dans les graves avec élégance, donnant une impression de légèreté. La lecture de quelques textes suffit à nous ramener à la réalité de l’artiste qui est un bloc de souffrance. Même sa façon de se tenir exsude la douleur, lorsqu’elle chante ses mains s’imbriquent et se tordent l’une avec l’autre, ses lèvres tremblent sur ses vibratos singuliers, comme si elle allait s’effondrer en pleurs…

The way you talk to me, it must change
The things you do to me
The way you leave me
The seeds you give to me, it must change
It must change
The death inside you
That you pass into me
The truth is that I always
Thought you were beautiful
In your own way

That’s why this is so sad
That’s why this is so sad

(It Must Change)

You are my sister marque le retour à Antony. Elle est chantée sur le disque sorti en 2005 en duo avec Boy George, autre égérie du monde trans, accompagnée à la guitare par Devendra Benhart. Un très beau moment au mitan de cette soirée.

You are my sister, we were born
So innocent, so full of need
There were times we were friends but times I was so cruel
Each night I’d ask for you to watch me as I sleep
I was so afraid of the night
You seemed to move through the places that I feared
You lived inside my world so softly
Protected only by the kindness of your nature

You are my sister
And I love you

(You Are My Sister)

Le concert s’écoule dans la douceur, tout en subtilité. Le groupe est soudé autour d’Anohni, l’encadre sans s’imposer, comme s’il voulait s’effacer derrière sa voix exceptionnelle et émouvante. L’ensemble est parfait.

Anohni nous parle un long moment de son association Future Feminism pour la défense des droits des femmes, qui organise un festival pour la cause, pendant que défilent sur l’écran les images de femmes martyrisées du fait de leur condition, trans ou pas. Dans la salle, nombre de représentants du monde queer, bien visibles, manifestent leur soutien en applaudissant à tout rompre.

En rappel, Anohni, assise au piano, interprète Hope There’s Someone, le second retour à Antony, qui clôt merveilleusement bien cette soirée musicale bien mélancolique mais tellement belle, transcendée par la délicatesse des compositions portées par la voix d’Anohni.

Hope there’s someone who’ll take care of me
When I die, will I go?
Hope there’s someone who’ll set my heart free
Nice to hold when I’m tired

(Hope There’s Someone)

Un final plein d’émotion de la part de cet artiste inclassable, à la sensibilité à fleur de peau, dont les récents changements de genre ne semblent pas avoir véritablement solutionné le mal-être, mais ce sont sans doute eux qui fondent aussi une part de cette inspiration si singulière.

Setlist

Why Am I Alive Now? (Preceded by performance by Johanna Constantine dressed in white with deer antlers)/ 4 Degrees(ANOHNI song)/ Manta Ray (ANOHNI song)/ Cut the World/ Breaking (Marsha P. Johnson interview video short)/ Hopelessness (ANOHNI song)/ It Must Change/ You Are My Sister (Interpolation of spoken speech)/Sometimes I Feel Like a Motherless Child (Cover traditional song)/ Can’t/ Everglade/ Another World (New arrangement)/ Drone Bomb Me (ANOHNI song)/ Man Is the Baby (Followed by performance by Johanna Constantine dressed in black with deer antlers)/ Her Eyes Are Underneath the Ground (Was performed wearing a veil)

Encore : Hope There’s Someone (performed with Anohni on piano)

Le groupe

  • ANOHNI
  • Jimmy Hogarth, guitare
  • Leo Abrahams, guitare
  • Chris Vatalaro, batterie
  • Gael Rakotondrabe, piano, percussions
  • Sam Dixon, basse
  • Julia Kent, violoncelle
  • Max Moston, violon
  • Doug Wieselman, multi-instrumentiste
  • Mazz Swift, violon
  • Johanna Constantine, danse

Vidéos

Les vidéos d’Anohni sont disponibles sur son site web :

Video — Anohni and the Johnsons

Lire aussi