« Les graines du figuier sauvage » de Mohammad Rasoulof

Nous sommes en Iran après la mort de Mahsa Amini, étudiante iranienne d’origine kurde et de religion sunnite, arrêtée pour port de son voile non conforme. La ville de Téhéran est parcourue de manifestations de protestation contre ce qui ressemble fortement à un assassinat dans les locaux des services de sécurité. Le scénario du film de Mohammad Rasoulof nous emmène au cœur d’une famille bourgeoise iranienne tiraillée entre les tensions qui déchirent le pays depuis l’instauration de la dictature religieuse après la destitution du Shah d’Iran en 1979. Le père est enquêteur au ministère de la justice et, à ce titre, est impliqué dans la répression féroce que la police islamique mène contre les manifestants avec nombre d’exécutions décidées contre ceux-ci. Il est lui-même embrigadé par la propagande du régime qu’il sert tout en étant troublé par les décisions qu’il prend dans le cadre de ses fonctions. Son épouse est partagée entre son mari qu’elle aime et leurs deux filles, l’une étudiante, l’autre lycéenne, toutes deux en révolte contre le conservatisme de leur pays et… de leur père.

Cette atmosphère familiale est à l’image de celle de l’Iran, écrasé sous la botte d’un pouvoir religieux moyenâgeux mais qui reste soutenu par une partie significative de la population. Comment concilier Dieu et le pouvoir temporel qui permet de développer un pays et sa population ? L’Iran n’a pas trouvé la solution et sa jeunesse aspire à une gouvernance éclairée sur un modèle plus ou moins occidental qui, notamment, permette l’émancipation des femmes maintenues, au nom de Dieu, dans un statut inférieur.

Le film est parsemé d’images réelles des manifestations prises à l’aide des téléphones des manifestants illustrant la violence de la répression policière. La classique opposition entre les jeunes générations et leurs parents est ici exacerbée par l’aspect religieux qui rend non négociable la parole de Dieu pour gouverner le pays. C’est en son nom que plus de 500 manifestants ont été tués dans les rues, des milliers d’autres arrêtés et certains pendus après des simulacres de procès. Dans le film la foi du père dans ses certitudes religieuses le mène à appliquer les mêmes méthodes répressives contre sa propre famille qui se défend. Les choses ne vont pas se terminer très bien.

Cette œuvre qui a reçu un prix spécial du jury au festival de Cannes 2024. Il laisse le spectateur fort peu optimiste sur l’avenir à court terme de l’Iran. La parole de Dieu apparaît irréconciliable avec les ambitions d’une jeunesse éprise de liberté et de Lumières. Les pays occidentaux ont eux aussi été confrontés à l’immobilisme et l’arbitraire religieux à un moment ou un autre de leur histoire. Ils en sont sortis en suivant des chemins différents. En France, les Lumières ont abouti à la laïcité, aujourd’hui remise en cause par une partie de sa population. Dans d’autres pays occidentaux le retour du fanatisme religieux veut rétablir la prééminence de la parole de Dieu sur la gouvernance des hommes. Personne n’est à l’abri d’un retour de l’obscurantisme et l’Iran ne semble pas prêt d’en sortir tant les religieux ont verrouillé le pouvoir dans leurs mains.

D’ailleurs, le réalisateur Rasoulof qui a fait l’objet d’une nouvelle condamnation à 8 ans de prison en mai dernier pour « collusion contre la sécurité nationale », a fui clandestinement son pays pour pouvoir participer au festival cannois cette année. Auteur de différents films et documentaires critiquant le régime il avait déjà été emprisonné à plusieurs reprises.

Après sa fuite d’Iran il a déclaré :

J’ai toujours pensé que si je restais en prison pendant des années, je n’aurais ni la force ni la capacité de faire ces films… donc je dois d’abord les faire, et puis après, il sera toujours temps de rentrer et d’aller en prison.

Lire aussi