Nick Cave & the Bad Seeds – 2024/11/17 – Paris Bercy

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Nick Cave et ses Bad Seeds sont sur la route du Wild God Tour qui assure au passage la promotion de leur dernier album Wild God. Et c’est le temps de la rédemption après les années et les œuvres dépressives qui ont suivi la mort de deux de ses enfants. Paris est la dernière étape de cette tournée européenne qui dure depuis « au moins cent ans » précisera-t-il dans l’introduction de O Children.

Dans une interview au journal Le Monde en septembre dernier, au journaliste qui l’interroge sur le titre de la chanson Joy, dans le nouveau disque, terme rarement utilisé ces dernières années d’épreuve, il répond :

J’ai pensé utiliser ce mot [joy] comme titre de l’album. Je ne l’ai pas fait, car beaucoup de gens le confondent avec la félicité. Pour moi, la joie surgit de la souffrance. Elle nous montre qu’on est en vie comme des êtres ascendants, c’est presque un sentiment religieux. La joie a été cultivée dans la mécanique du chagrin. Ce disque a été fait par quelqu’un qui a connu la perte mais qui est fondamentalement heureux dans l’existence. Je n’aurais pas pu dire cela il y a cinq ans.

Le Monde – 06/09/2024

La scène est étagée en plusieurs estrades autour d’un piano à queue, sur lesquelles s’installent six musiciens : un guitariste, un bassiste (Colin Greenwood du groupe Radiohead), une claviériste, un percussionniste, un batteur et Warren Ellis l’ami de toujours, violon et guitare. Trois choristes femmes et un homme surplombent l’ensemble du groupe, « racisés » et habillés de blanc, viennent apporter une touche de douceur gospel dans la musique des Bad Seeds.

Nick Cave entre en scène le dernier, longiligne, toujours habillé de son impeccable costume sombre cintré, chemise grise et cravate bleu-nuit, nez en trompette, ses cheveux permanentés teints en noir lui descendant sur le cou sans qu’un seul ne bouge le concert durant. Seule un peu de sueur apparaîtra sur sa chemise à la fin du concert fruits des aller-retours frénétiques qu’il pratique sur la scène. Warren est sur la droite, lui aussi en costume sombre mais sous une masse de cheveux blancs rejoignant sa longue barbe de la même couleur lui donnant un vague air de Georges Moustaki à la fin de sa vie. Il porte du vernis à ongles de couleur foncée sur les douze doigts couverts de bagouzes redoutables. Il est physiquement le négatif de son compère Nick mais le duo est fusionnel dans sa collaboration musicale d’exception. Warren réside en France, il dira fièrement et en français au cours du show « je paye mes impôts en France ! »

Le show démarre sur les trois premiers morceaux de Wild God joués dans l’ordre inverse du disque et durant lesquels sont projetées quelques paroles des refrains en lettre 3D sur un grand écran de fond de scène derrière les choristes, selon le même graphisme que celui de la couverture du dernier disque. Il est question de fées, d’un Dieu sauvage survolant les cités mourantes dans les flammes de l’anarchie, d’enfants au paradis et de « gun [in my] hand ». Le parti-pris musical est joyeux, les sons de mélotron se mêlent au chœur des vestales dans les aigus, mais tout est sombre alentour. C’est probablement l’atmosphère préférée de notre troubadour depuis qu’il a délaissé le simplisme punk il y a déjà longtemps. Dans son interview au Monde il parle de Wild God comme d’un disque « joyeux peuplé de morts ».

He was a wild god searching for what all old wild gods are searching for and he flew through the dying city like a prehistoric bird 

He went searching for the girl down on Jubilee Street
But she’d died in a bedsit in 1993

So he flew to the top of the world and looked around
And said where are my people to bring your spirit down?

Wild God

Cave est plus qu’à son aise ici. Sa voix grave, parfois sépulcrale, diffuse énergie et profondeur. Son trémolo à la Bryan Ferry ajoute émotion et tendresse sur les morceaux plus tragiques.

Il introduit longuement O Children, en cherchant à nous faire partager sa culpabilité quant au monde que nous laissons à nos enfants… Warren en profite pour délivrer les pitreries dont il est coutumier, debout sur une chaise, dos au public, martyrisant son violon électrifié dont il tire des arabesques déchirantes pendant que Cave chante cette longue lamentation derrière son grand piano et fait participer le public sur le refrain « Children, rejoice, rejoice », ce qu’il fait à pleins poumons et avec enthousiasme.

La sublime chanson Jubilee Street raconte la triste histoire de Bee, la jeune femme qui inscrivait le nom de son amoureux sur toutes les pages de son cahier noir. La montée en tension de ce morceau est encore plus phénoménale que sur le disque. Commencé pianissimo dans des arpèges de guitare, elle se termine sur un déchaînement d’électricité. Warren est complètement débraillé à force de moulinets sur sa guitare, Nick alterne entre le piano et des cavalcades sur une avant-scène composée d’une étroite bande sur toute la largeur de la fosse, qui touche le public dont il saisit les mains des premiers rangs avant de se jeter dans leurs bras.

Long Dark Night vient calmer le jeu. Une longue et douce méditation au piano sur la dernière nuit :

Maybe a long dark night is coming down
Maybe a long dark night, my precious one
Maybe a long dark night is rolling around my head
Oh Lord

From Her to Eternity nous ramène au premier disque de l’artiste en 1983. Le morceau est mené tambour battant. Warren y utilise son violon comme une guitare électrique, ajoutant au chaos musical ambiant.

I Need You dédiée à sa femme, qui est présente ce soir à Bercy, est interprétée avec grâce et fragilité. Une longue et émouvante chanson d’amour comme on en fait peu. Quelle inestimable cadeau à celle pour qui elle a été écrite !

Deux extraits de Carnage, le disque composé avec Warren au cœur du confinement lié à la Covid, sont interprétés ce soir et viennent compléter une setlist presque parfaite qui retrace la créativité de cet artiste hors normes. C’est rabâcher de noter une nouvelle fois que son charisme irradie le spectacle mais cette personnalité singulière, forcément un peu narcissique, forgée à travers les drames, les joies et les scènes du monde entier en impose à tous. Difficile de résister.

La magnificence de ce concert est surtout le fruit de textes et de compositions exceptionnels interprétés sur scène ce soir 2h30 durant par une troupe de musiciens de grand talent.

Nick Cave doit revenir à Paris bientôt et se produire cet été en solo avec Colin Greenwood au festival Days Off. Tout est déjà complet.

Setlist : Frogs/ Wild God/ Song of the Lake/ O Children/ Jubilee Street/ From Her to Eternity/ Long Dark Night/ Cinnamon Horses/ Tupelo/ Conversion/ Bright Horses/ Joy/ I Need You/ Carnage (Nick Cave & Warren Ellis cover)/ Final Rescue Attempt/ Red Right Hand/ The Mercy Seat/ White Elephant (Nick Cave & Warren Ellis cover)

Encore : O Wow O Wow (How Wonderful She Is)/ Papa Won’t Leave You, Henry/ The Weeping Song/ Into My Arms

Warmup : Black Country, New Road

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