Le journal en ligne Mediapart s’est spécialisé dans les enquêtes d’investigation concernant généralement le personnel politique français. Il a ainsi notamment dévoilé les scandales Cahuzac et Bettencourt-Worth. Depuis plusieurs années il s’est attaqué à l’hypothèse de fonds en provenance de Libye pour financer la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007. Mediapart a décidé d’en faire un documentaire diffusé dans les salles de cinéma et, ce n’est sans doute pas un hasard, au moment où s’est ouvert le procès de l’ancien président de la République et certains de ses proches pour, notamment, corruption et association de malfaiteurs.
Mediapart et Fabrice Arfi, son principal en quêteur, sont sans doute persuadés qu’il a eu un « pacte de corruption » entre le candidat aux élections françaises et le clan Kadhafi qui gouvernait alors la Libye, mais le documentaire est relativement factuel, la plupart des faits étant d’ailleurs reconnus par les accusés en ce moment au tribunal, sauf bien entendu le fait que des fonds libyens auraient été reçus par l’équipe de campagne Sarkozy.
L’un des personnages centraux côté libyen est Abdallah Senoussi, beau-frère du dictateur, chargé de la sécurité intérieure du pays. A ce titre, la justice française l’a jugé coupable d’avoir organisé avec quelques comparses l’attentat contre le DC10 de la compagnie française UTA en 1989 qui a fait 170 morts. Ils ont été condamnés par contumace avec émission d’un mandat de recherche international.
Près de vingt ans plus tard, un certain nombre de proches de Sarkozy (Brice Hortefeux, Claude Guéant, notamment) font le voyage de Tripoli et rencontrent… Senoussi. Ils se sont défendus ces derniers jours devant les juges qu’ils n’étaient pas au courant que le repris de justice était invité au dîner auquel ils participaient, et qu’ils n’ont pas voulu claquer la porte de la soirée pour éviter un « incident diplomatique ». La thèse du film est que la Libye monnayait un éventuel financement contre un élargissement du personnage par la justice française.
Et on ne parle même pas ici de tout le petit monde interlope d’intermédiaires affairistes ou délinquants, évoqué dans le film, qui rôdent et servent d’intermédiaires douteux entre ces dictatures et des représentants de l’Etat français…
La justice se prononcera bientôt mais quelle que soit la décision elle sera probablement contestée par la partie en défaveur de laquelle elle sera rendue. Quoi qu’il en soit on voit avec effarement, dans le documentaire et dans la vraie vie au tribunal, les petits arrangements que la France a mené avec le dictateur libyen initiateur d’actions de terrorisme international, sans parler de la gestion sanguinaire de son propre pays. Tout aussi consternant, dans le cadre de la réhabilitation du dirigeant libyen, la France a envisagé de lui vendre des centrales nucléaires civiles…
La France s’est cassé les dents à plusieurs reprises en essayant de réhabiliter d’anciens dictateurs, probablement avec naïveté et bonne foi mais que ce soient Bachar El-Assad ou Mouammar Kadhafi, ces dirigeants ont à chaque fois renoué avec leurs mauvaises habitudes. Dictateur un jour, dictateur toujours !
Paris devrait s’en souvenir alors que le nouveau dirigeant syrien est issu des mouvements terroristes islamiques et se tourne vers l’Occident, ou que le président russe, une fois la guerre d’Ukraine terminée, cherchera lui aussi à renouer. On doit pouvoir continuer les relations diplomatiques et commerciales avec les dictatures, mais le faire modestement, et sans leur vendre des centrales nucléaires ou les recevoir sur les Champs Elysées, ni bien sûr leur faire financer la politique intérieure française. C’est au moins une conclusion que l’on peut tirer de ce documentaire avant même toute décision judiciaire.