GRAY Martin, ‘Au nom de tous les miens’.

Sortie : 1971, Chez : Robert Laffont & Livre de Poche 4203

Martin Gray (1922-2016) est un écrivain né en Pologne. De confession juive il s’est sorti vivant de la deuxième guerre mondiale qu’il commença dans le ghetto de Varsovie pour finir à Berlin sous l’uniforme vainqueur des Soviétiques.

Commençons par la polémique : la vie de Gray a été recueillie par l’historien-écrivain Max Gallo (1932-2017) qui aurait pris quelques libertés avec la réalité, mêlant un peu de fiction avec la vraie vie de son héros sans que l’on sache vraiment si ces « imprécisions » ont été ajoutées à la demande de ce dernier ou de Gallo. Le livre de poche n°4203 s’intitule « Récit ». Le doute existe notamment sur la réalité de son emprisonnement, et donc de son évasion, du camp d’extermination de Treblinka près de Varsovie dans lequel périt toute sa famille, ce qui est malheureusement historiquement avéré. A la limite ce n’est pas d’une importance considérable tant ce qui est raconté de Treblinka l’a également été par les survivants et doit donc se rapprocher de la réalité. Cela jette seulement un petit doute sur la qualité d’historien de Gallo qui a par ailleurs été impliqué dans d’autres polémiques similaires dans certains de ses ouvrages.

Gray a traversé les tragédies de la Pologne avec beaucoup de courage et, sans doute, un peu de chance puisqu’il en est sorti vivant, mais pas indemne. Avec les juifs de Varsovie il a été forcé de s’installer dans le ghetto constitué et muré par les Allemand à partir de 1940. Son père étant entré dans la clandestinité, Martin cache sa famille dans de faux placards de leur appartement et se lance dans des opérations d’achat-revente de produits alimentaires qu’il va chercher illégalement dans la Varsovie « aryenne » pour les revendre dans le ghetto. Il assiste impuissant au dépérissement des juifs du ghetto soumis à la sauvagerie des Allemands, mais aussi de bande de voyous polonais, antisémites ou juste profiteurs, qui cherchent à exploiter leur misère.

Et alors que le ghetto se vide de ses habitants qui sont transférés au camp de Treblinka, ce qu’on leur présente comme une opération de « repeuplement vers l’Est », les siens sont arrêtés et embarqués dans un train pour le camp. Il décide de se joindre à eux. S’en suivent les descriptions apocalyptiques de la survie dans ces camps pour ceux qui n’y sont pas exterminés dans les chambres à gaz immédiatement après leur arrivée. Il n’y a pas de fours crématoires à Treblinka, alors les corps de ces malheureux sont enfouis dans des fosses sableuses creusées en permanence par une excavatrice dont le bruit sonorise le camp jours et nuits.

Martin Gray aurait fait partie des « Sonderkommandos » qui charriaient les cadavres vers les fosses à la sortie du gazage. Et alors que tous les déportés ayant appartenu à ces équipes sont systématiquement exécutés pour éviter qu’ils ne témoignent un jour, il réussit à s’évader de Treblinka. C’est d’ailleurs dans le même esprit que le camp est démantelé en 1943 et transformé en ferme agricole, pour ne pas laisser de traces. Il y eut entre huit cent mille et un million de juifs polonais exterminés à Treblinka en quelques mois.

Evadé, Gray parcourt la campagne polonaise, cachant sa religion juive par peur de l’antisémitisme toujours aigu dans le pays. Il parvient à rejoindre le ghetto où il retrouve son père avec lequel il participe aux combats de l’insurrection de ce ghetto à partir d’avril 1943, les résistants juifs polonais pressentant que les Allemands voulaient exterminer les derniers survivants. Son père meurt, il survit. Il est alors recruté par l’armée soviétique et enrôlé dans les troupes du NKVD (ancêtre du KGB/FSB) qu’il suit jusqu’à Berlin pour réaliser la vengeance de « tous les siens » en chassant les traîtres et les dénonciateurs. Après les Allemands, les Ukrainiens sont particulièrement en ligne de mire car nombre d’entre eux constituaient des équipes de tortionnaires dans les camps au service des Nazis.

Et puis la guerre se termine, il n’est pas très enthousiaste à l’idée de poursuivre le « rêve » soviétique d’un monde nouveau dont il a déjà vu les limites. Il rejoint sa grand-mère installée à New York, y fait des affaires, s’enrichit, se marie et vient avec sa femme s’installer dans l’arrière-pays varois où sa femme, leurs quatre enfants et leurs deux chiens… meurent pris dans un incendie de forêt en 1970, après avoir vécu dix ans de bonheur total dans ce qui semblait une juste retour après la dévastation de sa famille polonaise et de « tous les siens » au cours de la Iie guerre mondiale.

Le lecteur est ébranlé devant le sort qui s’est acharné contre Martin Gray durant ce siècle de toutes les horreurs. Un incroyable instinct de survie lui a permis de surmonter toutes ces tragédies toujours animé par une vocation : être celui qui pourra témoigner. Ainsi il a dit, parmi tant d’autres voix, ce que furent la barbarie nazie et l’antisémitisme européen au mitan du siècle. Et, après le décès tragique de sa nouvelle famille en France il a témoigné pour faire vivre le souvenir des siens et s’est engagé dans des actions bénévoles à vocation écologique, notamment contre les incendies de forêt. Une personnalité exceptionnelle animée d’une vitalité inébranlable, que même l’accumulation des malheurs n’a pas stoppée et qui lui a sans doute permis de survivre sans sombrer.

Il est décédé en 2016 à 94 ans.