C’est la dernière prestation du chef d’orchestre finlandais Mikko Franck à la tête de l’Orchestre philharmonique de Radio-France dont il assure la direction musicale depuis 2015. Alors il y a de l’émotion ce soir, du brio et une surprise. La présidente de la radio publique vient même prononcer un discours d’adieu avant le concert. Petite faute de goût elle lit celui-ci sur un papier. Pour un discours de trois minutes avec quatre dates à mémoriser on aurait ou s’attendre à un peu plus de naturel de sa part.
La première partie commence avec un choral de Gustav Holst (1874-1934), compositeur britannique peu connu, puissamment chanté par un chœur de 80 chanteurs. Cette œuvre « Choral Hymns from the Rig Veda » est inspiré par la tradition hindoue et son texte fondateur le Rig Veda. La musique est moderne, inhabituelle, un peu dérangeante, écrite pour mettre en valeur la très belle partie chantée.
Le concerto pour piano n°5 « L’Egyptien » de Saint-Saëns (1835-1921) est interprété ensuite par Jean-Yves Thibaudet qui entre en scène vêtue d’une veste noire scintillante dont on apprend dans le programme qu’elle a été créée par Viviane Westwood, styliste égérie du mouvement punk-rock dans les années 1970, décédée en 2022. C’est elle notamment qui a habillé les Sex Pistols avec ces fameux T-shirts déchirés, parfois bariolés de croix gammées… Bref, les costumes de cette créatrice sont assez inhabituels dans le milieu de la musique classique.
Cette tenue flamboyante inspire le soliste qui interprète le concerto avec virtuosité. Ce joyau de la musique française est un enchantement. Le public en redemande et le pianiste revient pour interpréter « Pavane pour une Infante défunte ». De Saint-Saëns à Ravel, la transition est sublime.
La seconde partie démarre par une pièce non mentionnée au programme. Mikko annonce et accueille une violoncelliste « amie » qui interprète avec l’orchestre « Elégie » de Gabriel Fauré. C’est un sommet d’émotion et de déchirement. La composition et son interprétation brisent le cœur de l’assistance.
C’est ensuite « Inlandsis » qui est interprété par l’orchestre. Ecrit par Camille Pépin (née en 1990), cette œuvre révèle la jeune compositrice française qui dédie son inspiration à la sauvegarde de la terre et de la nature. Ainsi, « Inlandsis » (terme qui désigne les immenses étendues de glace pouvant atteindre des milliers de mètres d’épaisseur) est inspiré par la fonte préoccupante des glaces. La pièce est à la hauteur de l’enjeu : tragique et glaçante. Avec cette sonorité moderne et ses accents liquides, « Inlandsis » est l’archétype de ce que la puissance du sentiment musical peut évoquer dans l’âme des auditeurs. Une remarquable composition. Camille Pépin est dans la salle, bien sûr, et est appelée sur la scène par Mikko pour partager le triomphe.
Voir aussi Camille Pépin
La dernière œuvre est le « Don Juan » de Richard Strauss (1864-1949). Cette composition, plus classique, retrace la vie du séducteur, de la frénésie de sa période conquérante à l’angoisse de sa fin qui approche. Elle est menée tambour battant par un orchestre joyeux qui se surpasse sous la baguette de son chef inspiré.
Cette belle programmation dans le très agréable auditorium de Radio-France à taille humaine rencontre un triomphe. Mikko Franck est acclamé pour cette soirée et ses dix ans de direction de l’orchestre. Alors qu’il revient sur scène pour la énième fois sous le tonnerre des applaudissements il fait signe aux musiciens de se lever pour partager ceux-ci, ils refusent, restent assis pour eux aussi applaudir le Maître et le laisser ainsi seul au firmament. Bel hommage.

Le chef finlandais, petite taille, cheveux blonds coupés courts et coiffés en brosse, grosses lunettes, toujours un t-shirt noir sous son smoking, un peu rondouillard, qui dirige le plus souvent assis, va donc aller poursuivre sa carrière sous d’autres cieux tout en revenant certainement à Paris comme chef invité de temps en temps. Il est réputé pour accorder une grande importance au fait de pouvoir se ressourcer dans la nature pour y forger sa créativité. Sans doute les prochains mois lui offriront cette opportunité.
L’auditorium de Radio-France, une espèce d’igloo de bord de Seine, à taille humaine, va continuer à nous ravir, cette fois-ci sous la baguette du chef néerlandais Jaap van Zweden pour l’Orchestre symphonique de Radio-France. Rappelons que Radio-France entretient un deuxième orchestre : l’Orchestre National de France. Pas sûr que les budgets publics de cette maison lui permettent encore longtemps de maintenir ce luxe…