SANSAL Boualem, ‘Poste restante : Alger – lettre de colère et d’espoir à mes compatriotes’.

Un court livre réjouissant et décapant de Boualem Sansal, écrivain algérien né en 1944 qui fut d’abord haut-fonctionnaire de son pays puis se consacra à l’écriture à partir de la fin des années 1990. D’abord tournés contre la l’islamisme en Algérie, ses romans se sont de plus en plus transformés en une critique acerbe et ironique du régime plus ou moins militaire aux commandes du pays depuis son indépendance en 1962. A tel point que beaucoup de ses livres sont censurés localement et publiés en France.

« Poste restante » est rédigé sous forme d’une lettre adressée à « Sœurs et frères, Mes chers compatriotes, mes bons amis, » et dans laquelle M. Sansal se fait un malin plaisir de mettre le doigt sur toutes les contradictions dans lesquelles s’enferre le régime qui le gouverne. Celles-ci, nombreuses, sont passées à la paille de fer de son œil acerbe qui fait dans la dérision tout en ne manquant pas d’humour. Ceux qui connaissent un peu ce pays savent que les Algériens pratiquent beaucoup l’auto-dérision. Ils n’apprécient par contre que modérément la critique quand vient de l’étranger, d’autant moins si elle provient de la France, l’ancienne puissance coloniale chassée avec perte et fracas en 1962, mais ils aiment se régaler en critiquant les puissants et les moins puissants qui transforment depuis quelques décennies ce pays en un aimable foutoir dont sa jeunesse est prête à tout pour émigrer.

Dans un style que ne renierait pas le « Canard Enchaîné », Boualem se régale en s’attaquant à toutes les vaches sacrées de l’imaginaire de ce pays défendues par les GAT (gardiens autoproclamés du temple) : l’arabité unique du peuple algérien alors qu’il est composé d’une mosaïque de Kabyles, de Mozabites, de Touaregs, de Turcs, d’Africains, de Juifs… ; l’Islam comme religion dans un pays où subsistent bien d’autres croyances et l’athéisme ; la langue arabe classique comme langue nationale alors que cohabitent partout dans le pays le kabyle, le tamashek, l’arabe dialectal, le petit français colonial et de conclure « L’arabe classique est la langue de l’Algérie mais les Algériens parlent d’autres langues » ; la guerre de libération devenue la « propriété exclusive » du FLN (parti au pouvoir depuis l’indépendance) alors que bien d’autres mouvements ont participé à la lutte anticoloniale ; l’amnistie décrétée en 2005 à l’issue de la décennie noire pour blanchir en masse « des islamistes névrosés et [leurs] commanditaires »…

Et comme le dit le dicton « qui aime bien châtie bien », Sansal s’en prend aussi aux Français, sans cesse en train de se lamenter sur la dette, la sécurité sociale, les faillites de l’école, de l’hôpital, de la Sécurité Sociale, les grèves, les multinationales…

Mon Dieu, mais dans quel pays vivent ces pauvres Français ? Une République bananière, un pays en guerre civile, une dictature obscure, une République préislamique ?
A leur place, j’émigrerais en Algérie, il y fait chaud, on rase gratis et on a des lunettes pour non-voyants.

Mais les généraux et les services de sécurité algériens n’ont manifestement pas le même sens de l’humour que leur compatriote, qui vient d’ailleurs d’acquérir la double nationalité française, et qui commit l’imprudence de retourner en Algérie fin 2024. Il est depuis en prison à Alger où il purge une peine de 5 années de prison pour « atteinte à l’unité nationale » après avoir déclaré qu’une partie de l’ouest algérien était auparavant marocain et aurait été algérianisé durant la colonisation française.

Circonstance aggravante il avait cité Ferhat Abbas dans « Poste restante ».

J’ai cherché le peuple algérien partout, jusque dans les cimetières, je ne l’ai pas trouvé, la nation algérienne est née avec la colonisation.

Ferhat Abbas fut l’éphémère président du gouvernement provisoire puis de l’assemblée nationale constituante avant de se retirer en 1963 en opposition avec la « soviétisation » du pays, d’être exclu du FLN et de replonger dans un anonymat agrémenté de quelques séjours en prison et d’assignations à résidence.

En Algérie mieux vaut ne pas provoquer un pouvoir qui n’a définitivement ni le sens de l’humour, ni celui de la démocratie !

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