Sortie : 2015, Chez : Seuil.
Sony Labou Tansi 1946-1995) est un auteur de théâtre, de romans et de poésie, né au Congo ex-Zaïre et décédé à 48 ans en République du Congo (dit Brazzaville). Il a vécu au cœur de la tourmente permanente de l’Afrique centrale, du Zaïre possession personnelle du roi de Belgique où il naît, aux affrontements terribles de la région du Pool près de Brazzaville dans les années 90′. Ecorché vif, il écrit tel qu’il pense et respire sur ce qu’il voit, ce qu’il vit et ce que la mémoire collective de l’Afrique colonisée puis décolonisée lui rappelle constamment.
Ce livre est un recueil de textes écrits entre 1973 et 1995 : des préfaces d’ouvrages jamais publiées, des lettres ouvertes, des correspondances diverses, des articles… Tous ont rapport à l’Afrique, et, le plus souvent, à la colonisation-néo-colonisation-esclavage, tryptique classique de ce genre de littérature. Le style est brillant, Sony joue avec les mots comme combustible de sa révolte. L’univers du « blanc » est chargé de moulte maux, mais celui de « l’Africain » ne sort pas non plus indemne de ses critiques. Il a le cœur au bord d’une plume acérée.
En 1987 il écrivait :
« Je travaille dans la maison des émotions, où je prends conscience de participer à l’équilibre des univers. Je sais que le premier écrivain c’est Dieu. C’est là une phrase que l’arrogance des technocrates ne peut pas comprendre. Mais qu’y puis-je ? Personne ne peut prêter ses veines et ses artères aux autres. Je prête les miennes au verbe. Je prête ma bouche à tous ceux qui, un jour, peuvent perdre la vie. »
Un peu plus loin, il conclut sa lettre ouverte à François Mitterrand de 1988 par :
« La seule réponse que l’humanité puisse donner à la mort, au fanatisme et au bâclage reste hélas l’ingérence de la conscience humaine dans les affaires intérieures du monde, à condition bien entendu que cette nouvelle conscience assure la promotion et les respect absolu de ce qui nous rapproche fondamentalement : notre différence. »
Admirateur d’Aimé Césaire, de Frantz Fanon ou de son confrère Tchicaya U Tam’si (1), il en adopte le style ardent et outré. Son écriture est un brasier, sa révolte est brûlante, celle d’un intellectuel à la vision sans concession qui, à la fin de sa vie essaya de se frotter au terrain de la politique. Elu député en 1992 , il est impuissant dans le nid de vipères qu’est le Congo à cette époque et le clan qu’il a rejoint est celui du perdant. La guerre civile sanglante continuera encore quelques années après son décès. Dure confrontation de l’intellectuel avec la réalité des hommes…
(1) Poète congolais (1931-1988)