[huge_it_gallery id= »114″]
On sait qu’en France les papes du CAC40 ont depuis toujours un furieux appétit pour posséder les médias. Comme ceux-ci sont en permanence à moitié au bord du dépôt de bilan et ils tombent progressivement comme des fruits mûrs dans leurs escarcelles. Cela avait commencé dans les années 1950 avec Marcel Dassault, fabricant d’avions et marchand d’armes, qui avait lancé Jours de France, un hebdomadaire dit « féminin » pour salles d’attente de dentistes et ne présentait aucun intérêt, sinon les photos de têtes couronnées sur papier glacé. Il y tenait une chronique intitulée « Le Café du Commerce » donnant ainsi son nom à cette expression passée dans le langage commun pour évoquer les papotages stupides et éphémères. Il acheta plus tard Le Figaro et ses pairs du CAC40 s’inspirent depuis de son exemple en rachetant la presse française à tour de bras. Le groupe Lagardère détient Paris-Match, Elle, Télé 7 jours… Bernard Tapie possède La Provence, Nice-Matin… Bernard Arnault détient Les Echos, La Tribune…, François Pinault Le Point, L’Agefi, Le Magazine Littéraire, Xavier Niel-Matthieu Pigasse Le Monde, Daniel Kretinsky Le Monde, L’Obs, Elle, Bouygues TF1… etc. etc.
Bien entendu chacun de ces capitaines d’industrie jure la main sur le cœur qu’il n’intervient pas dans la « ligne éditoriale » de ses journaux mais tout le monde s’accorde à penser qu’il est assez peu probable que Le Figaro publie, par exemple, des articles contre les marchands d’armes. Il y a donc une forme relativement compréhensible d’autocensure, « on ne tape pas sur la main qui signe le chèque », le tout est de l’exécuter avec subtilité. Et après tout, la plupart de ces journaux seraient morts et enterrés depuis longtemps si ces capitalistes n’avaient pas accepté d’en faire leurs danseuses, parfois sur leurs deniers personnels. Sans doute ces hommes d’affaires s’imaginent-ils ainsi accroître leur pouvoir, ou plus simplement leur capacité d’influence, donc de pression, pour faire fructifier leurs activités et donc leurs revenus ! Pas vraiment sûr que ce ne soit pas une illusion. Pas grave car ils ont les moyens de se payer des illusions. En revanche, cela fait sûrement très chic dans les dîners en ville du Siècle ou d’ailleurs d’afficher non seulement sa réussite dans les affaires mais aussi son bureau dans une grande rédaction parisienne.
Plus improbable est le cas de Vincent Bolloré, le « Mozart du cashflow » comme on le surnommait au temps de sa jeunesse. Homme d’affaires breton, il est parti dans les années 1980 du business familial de papeterie pour arriver aujourd’hui à un conglomérat multicarte et international, notamment dans le secteur des médias. Une franche réussite et une habileté certaine. A la tête du groupe Vivendi il se retrouve de ce fait et, par la grâce de quelques ficelles juridiques, patron du groupe Canal+. Il va alors mettre un malin plaisir à transformer les médias de ce groupe en entreprises où le Café du Commerce est érigé en modèle et la vulgarité en mode de fonctionnement.
Il a commencé par démanteler le côté bobo de la chaîne Canal+ en supprimant son émission phare Les Guignols, il a poursuivi en recrutant Cyril Hanouna sur C8, Zemmour et Morandini sur CNews, chaîne d’information ex-I-Télé, relooké pour la circonstance, où officie un parterre de journalistes en préretraite, s’écoutant parler, ressassant le simplisme comme philosophie, la beaufitude comme stratégie, Mme Michu comme cible. La « ligne éditoriale » n’est pas même conservatrice, elle est juste « plouc ». Et c’est un franc succès d’audience, Bolloré triomphe.
Qu’est-ce qui peut pousser ce garçon à promouvoir ainsi l’abrutissement des masses ? Catholique traditionaliste, personne ne lui reproche ses idées conservatrices ni son sens de l’humour limité, mais que peut rapporter cet investissement dans la bêtise en termes de pouvoir, de fierté, de sous ? Pour choisir il faudrait au minimum le comparer avec un engagement dans l’intelligence avec les mêmes convictions conservatrices. Est-ce si compliqué que pousser vers la retraite quelques journalistes ventouses de plateaux de plus de 70 ans, faire un peu moins dans les slogans et un peu plus dans l’analyse ? Le Figaro est un média conservateur avec des journalistes et non des piliers de bistrot. Ils délivrent un journal de qualité avec un minimum d’exigence.
Merci Messieurs les capitaines d’industrie d’investir dans les médias pour vous substituer aux consommateurs qui ne veulent plus en payer le coût de l’information. De Libération au Figaro, chacun y retrouve ses petits mais quelques brebis galeuses parmi vous préfère investir dans la bêtise, ne serait-ce pas encore une illusion qui se paiera un jour collectivement ?